jeudi 29 avril 2021

Se fédérer : l'intervention du Resaeu

 

Intervention faite par Bruno Della Sudda, écrite en concertation avec Jean Louis Griveau et Henri Mermé lors de la réunion en visio conférence organisée par
l’appel « Se Federer » dimanche matin 18/0/2021 sur le thème :
 2022, quels enjeux, quelle stratégie pour les anticapitalistes 

 

Avant d'en venir à 2022, quelques mots sur le contexte général. Nous sommes dans une situation extrêmement paradoxale. Malgré la crise sanitaire, et après la sidération qui a marqué le début du premier confinement, les mouvements sociaux et les mobilisations citoyennes gardent une vigueur qui n'est pas négligeable. Le niveau de conflictualité sociale reste significatif et pas seulement pour des luttes (défensives) en défense de l'emploi (il y a aussi des luttes pour les salaires).  En fait, depuis plusieurs années, depuis la mobilisation contre la loi "El Khomri", il y a un mouvement social rampant et des mobilisations citoyennes sous diverses formes (Gilets Jaunes, Notre Dame des Landes, mouvement contre la casse des retraites etc). Dans la dernière période les mobilisations pour le climat, pour la journée internationale pour les droits des femmes, les manifestations contre la stigmatisation des habitant.e.s des quartiers populaires et singulièrement contre l’islamophobie systémique et contre les lois liberticides ont aussi été des temps forts. Il y a une vraie colère sociale, liée en partie à la gestion de la crise sanitaire par la Macronie, même si cette colère a du mal à s'exprimer pleinement du fait des contraintes liées à la situation sanitaire. 

Dans le même temps, la pandémie et sa gestion ont provoqué une prise de conscience de masse des impasses du capitalisme mondialisé. Cette période a aussi révélé, surtout dans les premiers mois, des capacités d'auto-organisation dans de larges pans de la population, en particulier pour des solidarités de proximité dans les quartiers populaires et dans les localités mais aussi une certaine forme de prise en main de leur outil de travail par les personnels d’hôpital public en particulier pendant le premier confinement. 

Parallèlement, et c'est là qu'est tout le paradoxe, la Gauche politique, dans la diversité de ses composantes, apparaît de plus en plus "hors champ" et se trouve de plus en plus affaiblie. Les sondages sur les intentions de vote et les études sociologiques qui sortent dans la perspective de la présidentielle sont particulièrement inquiétants. Toutes tendances confondues, de la Gauche molle à la Gauche plus radicale en passant par les écologistes, on plafonne à à peine trente pour cent des personnes interrogées qui seraient prêtes aujourd'hui à voter pour une candidature de gauche. Pire : au cas très hypothétique où un ou une candidat-e de gauche passerait la barre du 1er tour, il ou elle serait loin de l'emporter face à Le Pen, les derniers sondages montrent même qu’il serait sûr d’être battu. C'est moins une question de crise des valeurs de la Gauche (solidarité, égalité, démocratie etc) pour lesquelles l'attachement reste très fort, qu'une crise de légitimité des forces politiques qui prétendent incarner ces valeurs. 

On ne redressera pas collectivement cette situation par un simple ripolinage des logiciels de la Gauche politique, ni par des raccourcis simplistes, et pas davantage en souhaitant ressusciter une union de la gauche façon cartel, et sur une orientation réformiste et écologiste tiède. 

Trop de forces de Gauche, y compris de la Gauche soi-disant radicale, se sont coulées au fil du temps dans le moule des institutions de la 5ème République, de sa logique présidentialiste et de la professionnalisation de la politique, à laquelle nous opposons une autre conception de la politique, basée sur la démocratie active et l'autogestion, sur la socialisation de la politique qui doit être l'affaire de toutes et de tous. S'y ajoute encore trop souvent l'idée que les élections seraient le débouché naturel des luttes, ce qui procède d’une vision sociale-démocrate, électoraliste et manipulatoire de répartition des tâches. Sans même parler immédiatement d'autogestion, rompre avec le modèle de la 5ème République devient vital pour la simple restauration de la démocratie. Le modèle gaullien d’un homme ou d’une femme providentielle s’adressant directement à un peuple-objet, sans médiation des organisations citoyennes, sans débats collectifs sur les éléments essentiels des projets proposés, susceptibles de les faire évoluer, n’est plus adapté aux exigences actuelles de la démocratie. Le risque est alors d’accroître encore la distance qui sépare la classe politique, de plus en plus perçue comme homogène, de la grande majorité des citoyens, accentuant la désaffection populaire et donnant des gages supplémentaires au Front national. 

Les institutions de la Ve République qui établissent une véritable monarchie présidentielle constituent un puissant verrou bloquant toute possibilité de dépasser la crise de la démocratie. Et plus cette crise perdure, plus elle menace de rendre inutiles les fondements de la démocratie aux yeux de millions de femmes et d’hommes. C’est pourquoi les mobilisations visant à dépasser ce verrou doivent s’amplifier. 

Allons plus loin. On peut légitimement se demander si, dans une perspective d’émancipation, il est politiquement tenable d’être présent·es à cette échéance sans y défendre une perspective alternative : celle d’une autre République, sociale et féministe, écologiste et autogérée  s’appuyant sur un régime parlementaire et participatif (au sens de démocratie active), remettant en cause la professionnalisation massive de la politique (non cumul de mandats à la durée limitée) en valorisant une démarche misant sur une inversion de l’organisation des pouvoirs, de bas en haut, du quartier et de la localité à l’échelle nationale et internationale. C'est bien de l'engagement d'un processus constituant dont il devrait être question à l'occasion de l'élection présidentielle ; un processus constituant qui ne peut se concevoir sans la participation la plus large des citoyens et citoyennes. 

Deuxième élément de réflexion, il nous faut prendre très au sérieux la possibilité d'une victoire du RN aux élections de 2022. Les débats parlementaires autour des lois de sécurité globale et contre le soi-disant séparatisme ont montré comment l'idéologie d'extrême droite avait diffusé non seulement dans la droite dite républicaine mais aussi dans une large partie des rangs de la Macronie. Du côté du RN même, il y a une forme d'aggiornamento sur la question de l'euro. Cela peut ouvrir une possibilité de recomposition d'une droite autoritaire dont le RN serait le noyau. Il y a un réel danger néo-fasciste qu'il ne faut pas sous-estimer. 

Troisième remarque, l'électorat populaire, celui qui ne va souvent plus voter, ne se mobilisera pas et il ne pourra pas y avoir de victoire d'un ou une candidate de gauche en 2022 si on en rabat sur les ambitions de transformation sociale, écologique et démocratique. Cà pose la question du projet en termes de contenus et en termes de méthode d'élaboration. Sur les contenus, il doit donner à voir un avenir désirable autour de la satisfaction des aspirations qui s'expriment dans les mouvements sociaux et les mobilisations citoyennes et de la réponse aux impasses du capitalisme. Sur la méthode, pour que ce soit crédible et mobilisateur, c'est par la base, au sein de collectifs citoyens ou d'assemblées citoyennes qu'il doit s'élaborer. 

Dernier point :  les dangers qui nous menacent, et en particulier le projet néo-fasciste du FN, font qu'on ne peut rayer d'un trait de plume la question de l'unité. Pas d'une unité sans principes et sur la base du plus petit dénominateur commun, bien sûr. D'où l'importance du projet tel qu'indiqué plus haut. C'est bien le projet, anticapitaliste et alternatif, son contenu et sa méthodologie qui doivent déterminer le périmètre de l'unité et pas les accords au sommet entre forces politiques ; accords dont découlerait le programme soumis aux électeurs et aux électrices. A ce stade même il faut continuer à dire et sans doute avec plus de force que la multiplication des annonces de candidatures sans même que les citoyen.nes soient consulté·es et en particulier et surtout sur ce qu’il faudrait défendre lors de ces élections c’est la certitude de l’échec. Par contre, dans quelques mois, devant l’évidence qu’un remake d’un deuxième tour Macon-Le Pen serait une catastrophe, il peut y avoir un sursaut et il faut travailler dès maintenant à une révolte citoyenne pour que s’impose une candidature unitaire sur la base d’un changement radical de politique et mettre fin à cette « fausse bonne idée » qu’est l’élection présidentielle. 

 

Dans l'intervention de conclusion, au nom du Réseau 3AEF : 

  • Une précision : une candidature unitaire ne peut pas être issue des seules forces politiques mais devrait associer en priorité les mouvements sociaux et lesmobilisations citoyennes ;  
  • Des remerciements à l'équipe d'animation de l'Appel Se fédérer pour l'initiative du jour, foisonnante et réussie* ; 
Un rappel de l'attachement du Réseau 3AEF au dialogue et aux initiatives communes de toute la mouvance de la gauche alternative, avec les réseaux et les appels comme Se fédérer et d'autres, comme on a commencé à le faire avec Cerises la coopérative, avec des camarades du NPA... et demain avec bien d'autres encore ! 

 

*Il y avait une centaine de participant·es 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire