mardi 2 mai 2017

Quelques réflexions à propos d'un premier tour, par Gustave Massiah

Les résultats du premier tour achèvent provisoirement une campagne électorale étonnante marquée par des rebondissements inattendus. Il n’est pas inintéressant d’en tirer quelques leçons. En tenant compte du contexte sur la situation politique en France, la crise européenne accentuée par le Brexit, la situation internationale marquée par l’élection de Trump. 

La colère et le « ras-le-bol » traduisent en fait un profond désir de renouvellement. Le rejet des partis de gouvernement, particulièrement le PS et les Républicains, s’est traduit par un véritable jeu de quilles qui a fait tomber successivement : Hollande, Sarkozy, Juppé, Valls, Fillon. 

Pour beaucoup, il s’agissait avec un bulletin de vote, abstention comprise, de répondre à trois questions : quel serait le moins mauvais président ou le moins mauvais programme ? comment faire barrage au Front national ? comment le mieux préparer la suite pour une recomposition de la gauche ?
 

Les voix de gauche se sont réparties en fonction de la priorité donnée à une des questions. Aucune de ces questions n’est hors de propos. Ces questions restent posées pour le second tour, pour lequel restent en lice Emmanuel Macron et Marine Le Pen. 

Beaucoup se détermineront d’abord contre l’un des deux candidats, voire contre les deux. Du point de vue de la présidence et des programmes, sans se valoir pour autant, les deux programmes sont détestables et contradictoires. 

Celui de Marine Le Pen se présente de manière factice comme celui de la défense des pauvres nationaux contre la mondialisation et l’oligarchie, particulièrement européenne. Il verse dans une version xénophobe et raciste du nationalisme. 

Celui d’Emmanuel Macron est une réaffirmation du néolibéralisme le plus débridé, une soumission au capital financier et la précarisation du travail. Il combine la modernisation économique avec un libéralisme politique qui ne se rallie pas (pas encore ?) aux dérives autoritaires. 

La question du barrage au Front National n’est pas secondaire. Elle est renforcée par le large mouvement d’opinion international en faveur des mouvements identitaires, souvent d’extrême droite, dont on a vu l’actualité avec l’élection de Donald Trump, l’évolution des régimes notamment en Amérique Latine, en Inde, en Russie et ailleurs. Cette évolution démontre malheureusement que le pire n’est pas impossible. 

L’accord est facile sur « pas une voix pour Marine Le Pen » sans se laisser arrêter par le mélange de ceux qui adopteront cette position. Le fait qu’en France l’extrême droite n’ait pas réussi une percée annoncée n’est pas négligeable et pour la France et pour l’évolution politique internationale. Et le fait que Marine Le Pen ne soit pas arrivée en tête n’est pas non plus négligeable. 

« Pas une voix pour le Pen et pas une voix pour Macron » peut être séduisant. Je préfère pour ma part : « battre Le Pen, combattre Macron ». 

Renvoyer dos à dos deux options que l’on refuse ne revient pas seulement à montrer le rejet du néolibéralisme dont on a pu mesurer les conséquences, y compris dans la montée des nationalismes xénophobes. Il suggère aussi que les deux situations, celle d’un néolibéralisme que nous avons connu et combattu est équivalent à celle d’un système reposant sur l’affirmation de la xénophobie et du racisme. 

Pour l’instant, la priorité est de ne pas diviser profondément ceux qui pour battre le Front National s’abstiendront et ceux qui voteront. Est-ce qu’il vaut mieux que le Front National n’ait pas un bon résultat ou que Macron n’en ait pas un trop bon ? De fait, pour la gauche aucun des deux ne pourra se prévaloir d’un soutien à son programme. 

On peut aussi se réfugier derrière l’idée que l’abstention est sans risque en comptant sur ceux qui voteront pour éviter le pire. En réalité, le pari est risqué surtout pour ceux qui se donnent pour objectif de faire battre de très peu le Front National. 

Dans tous les cas, même si les conséquences peuvent être graves, les évidences ne sont pas incontestables. Le droit de vote est essentiel contre la tendance aux dictatures et régimes autoritaires ; le choix du vote est un choix tactique individuel qui dépend des situations. Pour l’inscrire dans un choix collectif, la discussion porte sur la construction d’un projet alternatif. 

Du point de vue de l’avenir, le plus important est le renforcement d’une gauche de gauche, d’une gauche radicale. C’était inattendu et c’est une très bonne nouvelle. Jean Luc Mélenchon a su porter son audience et en être le catalyseur en recueillant près de 20% des suffrages. Elle a atteint 28% des votes avec quatre candidats, manifestement assez de voix mais trop de candidats pour être au second tour. 

Cette gauche radicale est diverse, active, revendicative, inventive ; c’est ce qu‘elle a montré. Elle a avancé en mettant en avant plusieurs propositions intéressantes et nouvelles, en esquissant un projet alternatif qui comprend plusieurs variantes sur des points importants. Elle n’a pas vraiment démontré son envie et sa capacité à mettre en avant un projet de gouvernement correspondant à la situation actuelle et à ses contradictions. Cette question qui paraissait lointaine s’est imposée à l’ordre du jour. 

C’est l’enjeu de la période que lui ouvre son succès inachevé. A condition que les affrontements pour le deuxième tour et les législatives ne dégénèrent pas en guerre de religion et ne viennent pas compromettre les espoirs. 

Les législatives vont intervenir dans une période d’incertitudes. Elles vont s’inscrire dans une profonde crise institutionnelle. Depuis plus d’un siècle, dans les régimes parlementaires, deux coalitions, l’une de centre droit, l’autre de centre gauche se disputent le pouvoir gouvernemental. Depuis les années 1970, on a vu une extrême droite monter en puissance à la droite de la droite et une gauche radicale contester la gauche classique. 

Chacun des camps a radicalisé son discours pour rallier ses ailes, comme en France, François Mitterrand pour la gauche, Nicolas Sarkozy pour la droite. Ou alors, en trouvant une réponse comme en Allemagne, qui a mis en place un cabinet d’union nationale. 

L’effondrement des courants classiques de la gauche et de la droite se traduit par l’affirmation de quatre courants plus ou moins stabilisés, sans oublier l’abstention et le refus de vote. Le fonctionnement des régimes parlementaires va en être bouleversé. 

Aujourd'hui, l'évidence d'une "majorité présidentielle" aux législatives n'est pas assurée. Les scores cumulés des "gauches de gauches" indiquent qu'il serait possible de porter à l'assemblée nationale un groupe conséquent ou une coalition de groupes conséquente. 

Mais pour cela il faudrait qu'un seul candidat incarne dans chaque circonscription cette gauche écologique et sociale, et non pas les 4 ou 5 annoncés par les commentateurs. Un candidat pour défendre un programme d'urgence sur quelques points majeurs (comme on sut le faire dans un contexte institutionnel différent, les gauches portugaises). 

Faute de quoi, compte tenu du système électoral la gauche radicale serait incapable à l’Assemblée de s'opposer et de résister aux diktats antisociaux ou aux dérives autoritaires Il serait certes très opportun, mais fort peu probable que la gauche radicale parvienne à se mettre d’accord, par une discussion d’appareils politiques, même sous la pression du « peuple de gauche ». 

Pour les échéances immédiates, le second tour et les législatives, on peut tenter d’éviter les affrontements pour préserver les espérances nées de la période récente. 

Pour cela, une méthode est de travailler à construire une alternative de gauche radicale, en partant des enjeux, par le renforcement des mobilisations et le débat, dans ces mobilisations, des propositions sociales et écologiques, politiques et idéologiques. Ce sera long, mais on a vu avec l’évolution du débat dans le premier tour des élections, comment les candidats ont pris en compte les positions issues des mobilisations. C’est au-delà des élections, la réponse à Marine Le Pen et à Emmanuel Macron. 

Proposons d’identifier les mobilisations correspondant à ces enjeux, celles à partir desquelles peut se définir le projet politique et se construire l’unité de la gauche radicale. 

La mobilisation sociale commencera par le refus de la soumission du droit du travail au patronat. La mobilisation économique mettra en cause le pouvoir de la financiarisation et les paradis fiscaux. 

La mobilisation écologique, qui a progressé dans la gauche radicale, devra être mise en œuvre à travers les pratiques alternatives et les pressions sur les politiques publiques. 

La lutte idéologique contre le racisme, la xénophobie et les attaques des migrants peut s’appuyer sur les résistances de la société française ; comme le montre la campagne Sursaut citoyen qui en quelques semaines a identifié plus de mille initiatives de solidarité avec les migrants. Et comme le démontre aussi la résistance de larges secteurs de la société française aux offensives de charme du Front National. 

Il existe une relation dialectique entre bases sociales et projet d’émancipation ; mais il n’y a pas de strict déterminisme entre les deux. 

Aujourd’hui en France, et de manière analogue dans presque toutes les sociétés, en dehors des bases sociales des couches dirigeantes (élites, compétents, actionnaires), trois bases sociales populaires s’expriment dans les mobilisations. 

L’une d’entre elles est formée des travailleurs salariés stables, ouvriers, employés et techniciens ; elle s’est exprimée dans les mobilisations contre la loi travail. Une autre est formée des scolarisés précarisés qui ne se réduisent pas à la petite bourgeoisie ; elle s’est exprimée dans les mobilisations de Nuit Debout. La troisième est celle des quartiers populaires ; elle s’est exprimée par les luttes contre les discriminations, les racismes et les xénophobies. 

Le défi principal de la période à venir est de faire émerger un projet commun d’émancipation, respectueux des positions issues des différentes situations. Les mobilisations et les réflexions portent aussi sur les instances politiques. 

La réponse à la mondialisation dominante passe par l’articulation entre les formes de pouvoir local, national, européen et mondial. Au niveau local, l’exemple de Barcelone et Madrid ouvre de nouvelles pistes qui pourraient être explorées pour les prochaines élections locales. Le niveau mondial est celui du droit international. 

A ce niveau deux questions fortes sont d’actualité, celle de la paix et celle de l’affirmation des droits civils, politiques, économiques, sociaux, écologiques et culturels. Le niveau européen est le plus difficile ; la nécessité européenne ne peut être confondue avec ce que représente l’Union Européenne. 

La question de l’Europe est ouverte pour la gauche. La question nationale, toujours présente, doit être renouvelée. La souveraineté nationale ne peut être confondue avec le nationalisme xénophobe. 

La bonne nouvelle c’est que la gauche est de nouveau d’actualité. Quelle différence avec le début de la campagne électorale ! A ce moment nous paraissions condamnés à un duel Le Pen – Fillon pour le deuxième tour. C’était conforme à l’évolution internationale confirmée par l’élection de Donald Trump. Aujourd’hui, la gauche est présente et c’est la gauche radicale. La colère contre la mondialisation néo-libérale et l’oligarchie n’est plus l’apanage des mouvements identitaires, xénophobes et racistes. 
Avec les mobilisations contre Donald Trump et la montée de la gauche radicale en France, la tendance est peut-être en train de s’inverser et les contradictions vont s’aiguiser. Ne manquons pas les opportunités de faire revivre la gauche.

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