vendredi 15 février 2019

Qui fait si peur à l’établissement américain pour qu’il se sente obligé d’exorciser le... socialisme? par Yorgos Mitralias

Ce n’est ni la première, et hélas, ni la dernière fois que les médias internationaux passent à coté d’un grand événement sans qu’ils s’en aperçoivent. Ceci est arrivé maintes fois dans l’histoire contemporaine et la dernière était il y a quelques jours, quand ils ont passé sous silence non seulement la déclaration “historique” du president Trump que “les États Unis ne seront jamais socialistes”, mais aussi la tempête d’applaudissements, de vivats patriotiques et d’acclamations rythmées (USA-USA-USA) de la part des députés et des sénateurs tant Républicains que Démocrates! 

Mais, ce qui est encore plus important est qu’en passant sous silence la nouvelle, nos bons médias ont raté l’occasion de l’analyser et la commenter. C’est à dire, de faire ce qu’ont fait et continuent de faire les médias nord-américains lesquels savent très bien ce que tous les médias européens et aussi plusieurs gens de gauche Européens persistent à ignorer: Que le “socialisme” attire dernièrement une grande partie des citoyens et surtout, la majorité de jeunes de moins de 36 ans (Millennials) aux États Unis d’Amérique!... 


Voici donc la raison qui pousse le president Trump à “rassurer” ses amis et ses ennemis dans l’établissement américain, en déclarant que jamais, au grand jamais, les États Unis ne seront socialistes: 

Au contraire de ce qui se passe partout ailleurs de par le monde, le socialisme et le besoin de socialisme en tant qu’antidote à la barbarie capitaliste néolibérale est suffisamment populaire dans la société de la super-puissance mondiale pour inquiéter ou même faire paniquer son établissement. 

Évidemment,il n’y pas de révolution socialiste à l’ordre du jour, et même la création du grand parti du Travail des États Unis que tous les “pères du marxisme”, Karl Marx le premier, souhaitaient ardemment depuis 140 ans, n’est pas une question de temps. 

Tout simplement”, on voit se multiplier ces derniers temps aux USA, les événements fondateurs d’un changement social mais aussi politique qui pourraient avoir une importance historique pour tout le monde. Pourquoi? Mais, parce qu'on nous avait habitué à l’idée que le socialisme était tout simplement impensable aux États Unis, et aussi parce que les États Unis étaient et restent le pilier et en même temps la force directrice du système capitaliste mondial. 

Voici donc quelques exemples de ces “événements fondateurs”, commençant par celui qui concerne l'organisation de gauche des Socialistes Démocrates d’Amérique (Democratic Socialists of America-DSA), qui après avoir végété durant les derniers 40-45 ans, a vu ses membres croître de 7.000 en 2016 à plus de 55.000 fin 2018 (!), l’écrasante majorité de ces nouveaux membres étant des jeunes de moins de 30 ans. 

En même temps, les DSA ont été métamorphosés d’organisation pratiquement à la remorque du Parti Démocrate et proche de la social-démocratie européenne, à un parti aux tendances très radicales, participant activement à tous les mouvements sociaux du pays et disposant de quelques centaines d’éluEs à tous les niveaux, des conseils communaux et des parlements locaux jusqu’à même la Chambre des Représentants ! 

Qu’est-ce que tout cela veut dire? Ça veut dire que ça fait au moins 70 ans que les États Unis n’ont pas vu une organisation de gauche aussi grande que les DSA, et que ça fait peut être 110 ans, depuis le temps du Parti Socialiste du grand Eugene Debs, que les socialistes n’avaient pas gagné des élections pour se faire élire par centaines, comme maintenant, et à tous les niveaux.! 

Et ça veut dire aussi, qu’il faut être un sectaire invétéré ou un “marxiste de salon” pour feindre ignorer ou snober un tel développement et un tel événement au cœur même de la super-puissance capitaliste mondiale... 

Il va sans dire que tous ces jeunes de DSA mais aussi ceux des grands mouvements sociaux qui balaient les États Unis, sont en grande partie des “enfants” de Bernie Sanders ou plutôt de sa campagne électorale en 2015-2016, qui a radicalisé la jeunesse américaine et a fait sortir de la quarantaine ce qui était jusqu’alors “le mot sale commençant par un S”, le socialisme. 

Une jeunesse américaine qui a trouvé en Alexandria Ocasio-Cortez,cette jeune métisse de Bronx de 29 ans et d’origine portoricaine -et aussi de lointaine origine juive-, sa personnalité la plus représentative et la plus emblématique. (1) 

Il y en a eu ceux qui, sans être de mauvaise foi, avaient exprimé un certain scepticisme quant à la capacité de la “jeune et inexpérimentée” députée Ocasio-Cortez (que les médias américains appellent désormais par ses initiales AOC) à résister aux tentations de sa nouvelle vie de parlementaire et à continuer à défendre avec le même zèle ses credo radicaux. Maintenant, on peut le dire sans hésiter: Ils se sont tous trompés! AOC non seulement n’a pas cédé aux “tentations” en mettant de l’eau dans son vin radical, mais elle s’est imposée en tant que bête noire No 1 de l’établissement nord-américain. Non seulement celui de Trump et de ses Républicains, mais aussi de celui du Parti Démocrate qui menace d’écraser et d’évincer Alexandria du Parlement en 2020! Et tout ça pour deux raisons: 

- Parce qu’elle traduit toutes ses paroles en actes, proposant jour après jour, à la Chambre des Représentants avec des projets de loi et dans la rue avec des manifestations, des mesures sans précédent et en tout cas incroyablement radicales pour les États Unis des dernières décennies, comme la fin totale de la dépendance aux énergies fossiles (Green New Deal), l’imposition à un taux de 70% des revenus des ultra-riches, le doublement du salaire horaire minimum qui passerait de 7,5 a 15 dollars, ou l’abolition de la police de l’immigration (ICE) qui réprime les migrants et les sans papiers. 

- Et surtout, parce que toutes ces propositions acquièrent une “force matérielle” puisqu’elles mobilisent dans la rue et sont partagées par la majorité de ses compatriotes et même par 40%-45% des Républicains! 

Et en plus de tout ça réalisés en à peine un mois (!), Alexandria est en train de devenir l’épouvantail de Trump et du Parti Républicain mais aussi de grands médias de toute sensibilité partidaire (New York Times, Washington Post,…) car elle sait se défendre avec une rare maestria des attaques quotidiennes (y compris vulgaires) contre elle, tandis qu’en même temps elle introduit dans la vie politique américaine des nouvelles mœurs, démythifiant l’obscurantisme pudibond des uns, et dénonçant le “progressisme” néolibérale des autres. 

Alerte et omniprésente, Ocasio-Cortez, qui n’est pas et ne déclare pas être communiste, combine la théorie avec l’action, l’activisme dans et hors les institutions, et évidemment ne surprend pas que 74% des membres et des sympathisants du Parti Démocrate n’excluent pas voter pour elle aux... élections présidentielles de 2024, c’est à dire quand Alexandria aura l'âge requis de 35 ans! Et ça bien qu’elle soit la bête noire et peut être la personne la plus haïe des dirigeants de leur parti… 

Alors, quand Trump “galvanise” l’établissement américain (de tout sensibilité politique) déclarant que “les États Unis ne seront jamais socialistes”, il est clair qu’il ne parle pas de manière abstraite mais qu’il se réfère à une menace concrète qui a désormais nom et adresse: Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib (la députée récemment élue d’origine palestinienne, membre aussi des DSA)… et les dizaines de millions de leurs compatriotes qui s’inspirent de leur exemple et luttent avec eux et elles dans ce qui est en train de devenir le plus grand -et peut être le plus décisif- affrontement de classe de notre époque! 

Un affrontement de classe dont l’issue décidera en grande partie de notre propre sort…(2) 

Note 1. Voir aussi sur ce sujet notre précédent article: http://www.cadtm.org/Etats-Unis-Fin-d-epoque-avec-la-gauche-radicale-qui-enfonce-un-coin-dans-le 

2. Tous ces événements ainsi que les développements sociaux et politiques au sommet et surtout à la base de la société nord-américaine, sont couverts par des informations et des analyses, des textes et des vidéos venant des mouvements, des organisations, des syndicats et des sites progressistes des États Unis, et qui se renouvellent chaque deux heures, au Facebook : https://www.facebook.com/EuropeansForBerniesMassMovement/

Yorgos Mitralias 
Journaliste, Giorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission.


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