mardi 5 avril 2016

Après la rencontre du 2 avril, contribution d'Eugène Bégoc


Dans la première partie de son intervention à l'AGECA le 2 avril, Pierre Zarka nous invitait à articuler court terme et long terme. Et nous avons été plusieurs à rejoindre cette prise en compte du temps de la stratégie. 

Sans exploration de la société de demain, des finalités sociales et sociétales que nous retenons comme souhaitables, il n'y a pas d'interventions immédiates sérieuses ; nous nous condamnerions à nous fondre dans l'aplatissement des propositions, derrière quelques femmes et hommes habiles à se promouvoir. 


Le propos est ancien chez Pierre. Dans Gauche année zéro - Oser la vraie rupture (éditions l'Archipel - 2012) il a livré un travail de dialogue assez complet avec toutes celles et ceux qui considèrent que la défense des acquits vaut bien de tenter une nouvelle fois la radicalisation des mécontentements tant l'ampleur des actes à droite sape le moral et l'avenir du peuple de gauche. 

Certes Hollande, Ayrault, Valls poussent à un degré inédit et tout simplement ahurissant de lourds précédents : hier Jospin et la gauche plurielle, avant-hier Mitterand, Fabius et Rocard. Mais plus fondamentalement, c'est toute l'armature du mouvement ouvrier qui est en cause. 

Extrait de la quatrième de couverture de Gauche année zéro : "Dans toutes les sphères de la société émerge le désir d'autonomie des individus. Pourquoi la politique ne le prendrait-elle pas en compte ? Doit-on continuer à faire de ceux qu'on élit les maîtres de notre sort ? Les luttes ne peuvent-elles s'étendre jusqu'au sein des organes de décision ? Ainsi le mouvement populaire peut devenir force politique et lieu de pouvoir. À travers lui se produit simultanément la transformation de l'individu et de la société. Ce livre fustige une culture politique devenue obsolète et tente d'explorer de nouveaux chemins d'émancipation.

Un récent texte - "Révolution et émancipation : le présent dépend de l'avenir" - précise cette prise en compte des temporalités dans ce moment que certainEs voudraient réduire à une veillée d'armes avant le scrutin présidentiel, ce que bouscule l'installation de secteurs entiers du syndicalisme et les organisations anti-précariat dans la contestation globale (http://www.cerisesenligne.fr/article/?id=5241). 

Mon propos n'est pas de faire l'éloge de ce travail théorique et des orientations pratiques auxquelles il dégage la voie - ce qui pourrait être pleinement justifié d'ailleurs. Il est de pointer l'utilité pour AAAEF d'approfondir le dialogue entamé le 2 avril sur cette question de l'articulation entre temps long et actions immédiates. 

Il était entendu depuis les années 68 que les initiatives et luttes dans la société posaient aux individus et aux groupes la question de l'extension de leurs avancées et donc la question de la dimension spécifiquement politique - ainsi des transformations sociales et politiques majeures portées par les féministes, par les mouvements pour les droits et la citoyenneté, par les régionalismes. Il était aussi entendu que l'intervention politique ne se limitait pas aux confrontations électorales - ainsi de l'émergence de structures d'un type nouveau, croisant syndicats, associations, militantEs radicaux comme Aid, ATTAC, AC, DAL ou Copernic. 

Ces exigences demeurent, et il serait utile de faire sur ces deux axes, non pas un bilan, mais une évaluation collective continuités / discontinuités. 

Mais il serait au moins aussi utile de poser pleinement la question de la stratégie. 

Dans quel moment des transformations du capitalisme sommes-nous ? 
Quinze ans après l'émergence à une large échelle de l'altermondialisme et la critique l'Empire de Negri et Hardt, comment caractériser l'emboîtement nouveaux ordres intérieurs et nouvelle division internationale du travail ? 

Comment combattre en particulier le néo-nationalisme qui agite les partis de gouvernement de l'Union, libéraux, conservateurs, chrétiens démocrates ou sociaux démocrates ? 

Si on pense que l'évènement fait l'acteur, autrement dit que le "nous" se constitue quand "eux" radicalisent leur domination, quels germes de nouvelle culture politique choisissons-nous de développer ? 

Que pensons-nous des transformations du travail, de "l'économie de la connaissance" ou de "l'immatériel" ? ... 

Dans AAAEF, dans l'association Autogestion et dans le débat Émancipation d'Ensemble!Front de gauche, cette question de la stratégie émerge et c'est la question d'une stratégie autogestionnaire qui peut explicitement être remise en chantier. 

Auteur de l'article "problèmes théoriques de l'autogestion" dans le cahier n°1 de la revue Autogestion (décembre 1966, pages 59 à 70), Henri Lefebvre n'aborde explicitement l'autogestion que dans un nombre d'articles limité, souvent peu connus dans une oeuvre abondante. Je vous communique un de ces articles, celui paru dans les Actes du colloque Nouvel ordre intérieur organisé par l'université de Vincennes les 22, 23 et 24 mars 1979 (La question centrale est celle de la stratégie pages 339 à 348, Actes sous la responsabilité de Pierre Dommergues - Éditions Alain Moreau - 1980). 

Sa proposition de "constituer une stratégie de l'autogestion" reste quarante ans plus tard stimulante. Elle pourrait nous inciter à choisir quelques uns des chapitres du programme de travail à réfléchir au sein d'AAAEF.

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