dimanche 6 novembre 2016

Révolution longue, autogestion, quelle transition. Sur la révolution longue, par Bruno Della Sudda

Pourquoi publier des anciens textes des Alternatifs ? 

Les Alternatifs organisation de la gauche alternative et écologique ayant au cœur de son projet l’autogestion comme but, chemin et même culture a – outre son activité militante quotidienne - pendant les années de son existence fait un travail d’élaboration sur cette thématique en particulier lors de ses congrès et Universités d’été. 

A la suite de la dissolution des Alternatifs a été créé le Réseau qui présentait comme suit ses objectifs : militantes et militants aux trajectoires politiques diverses, souvent issu.e.s des Alternatifs, adhérent.e.s d'Ensemble ! mais aussi d'autres formations de la gauche de gauche, toutes et tous attaché.e.s au patrimoine politique incarné depuis près de 50 ans par différentes organisations de la gauche autogestionnaire, nous avons souhaité constituer, sous forme associative, un Réseau pour l'Autogestion, les Alternatives, l'Altermondialisme, l'Écologie et le Féminisme. 


Ce Réseau n'est pas une nouvelle organisation ayant vocation à se manifester dans le champ habituellement investi par les partis et mouvements politiques. C'est un espace ouvert d'élaboration et de réflexion qui entend faire vivre le patrimoine autogestionnaire enrichi par les expériences de contestation et d'alternative nées dans le champ des résistances ouvrières, de l'écologie, du féminisme et de l'altermondialisme. 

C’est dans cet esprit que nous publions sur ce blog un certain nombre des textes issus du travail de réflexion des Alternatifs comme nous le faisons également pour d’autres organisations, bien sûr en tant que matériaux issus des élaborations passées mais surtout parce qu’il nous semble que ceux-ci sont – pour l’essentiel - toujours d’actualité et pourraient servir aux réflexions d’aujourd’hui. 

Le texte qui suit a été présenté et discuté lors de la dernière Université d’été de ce mouvement en 2013. Il était accompagné d'une contribution de Pierre Zarka que nous publierons prochainement.m(ais qu'il est d'ores et déjà possible de retrouver dans les archives de Rouge et Vert n° 368, 18 septembre 2013)

Même si les évènements vont vite – en particulier en Amérique Latine – ils nous semblent pouvoir être des éléments pour les analyses et discussions actuelles. 

Henri Mermé

Sur la révolution longue, par Bruno Della Sudda

Finie, la crise ? A entendre Hollande, la courbe du chômage s'inversera à la fin de l'année ou début 2014. Une petite musique se fait entendre depuis quelques semaines, selon laquelle la crise est derrière nous : une reprise de la croissance est annoncée ici et à l'échelle mondiale, déjà à l'oeuvre aux Etats-Unis et dans les pays émergents et ce sont les rigidités (coût du travail, poids du secteur public, absence de flexibilité, coût des retraites...etc) des sociétés européennes qui fondamentalement seraient à l'origine de la crise en Europe.

Ceux qui font entendre cette petite musique se paient même le luxe, parfois et non sans raison cette fois-ci, d'ajouter à ces facteurs de rigidité... les politiques d'austérité, jugées excessives il est vrai par le FMI lui-même ! 

En réalité, derrière ce nouvel écran de fumée de l'implacable fuite en avant néo-libérale, se cache un avenir plus sombre : la croissance vertigineuse des pays émergents comme le Brésil ou la Chine a déjà fortement ralenti, la récession demeure l'horizon économique de l'Europe, la croissance états-unienne est très largement artificielle et liée à de nouvelles bulles spéculatives du type de celle qui provient de l'exploitation des gaz de schiste, ce qui fait penser à de nouvelles bombes à retardement comme celles qui avaient déclenché la crise de 2007/2008.

Fondamentalement, la crise est toujours là et bien là, dans sa dimension économico-financière, avec le grossissement continu du chômage et de la précarité dans sa dimension sociale et les pressions continues sur le monde du travail et les conquêtes sociales obtenues tout au long du siècle passé.

Et surtout, la crise ne saurait être réduite à ces dimensions : rappelons ici qu'il s'agit d'une crise globale et profonde, une crise de civilisation, démocratique, écologique, géostratégique.

Démocratique, avec la mise à nu de la corruption au Nord comme au Sud, le discrédit quasi-total de la vie politique perçue comme le monde des combines, du carriérisme et du cynisme, le recul de la participation électorale (en particulier populaire et jeune), le mépris affiché de la souveraineté populaire, et ce que nous appelons la crise de la politique et de sa représentation.

Ecologique, avec la contradiction majeure entre la conscience écologique aujourd'hui planétaire d'une part, et d'autre part la course folle aux pollutions de l'air, des mers et de l'eau, le réchauffement climatique, le recul de la biodiversité, la terreur nucléaire maintenue y compris au Japon où capitalistes et politiciens professionnels, dans leur majorité, considèrent l'horreur de Fukushima comme l'aubaine justifiant le redéploiement de l'industrie nucléaire.

Et ce ne sont pas les piteux résultats des conférences de Copenhague (2009) et de Rio (2012) qui inversent la tendance, sur fond d'épuisement du modèle industriel et productiviste et d'exigence d'un autre développement et du « buen vivir ».

Géostratégique enfin, avec le début de la fin de la domination de cinq siècles du Nord sur le Sud, ce dont il y a tout lieu de se réjouir avec les peuples du Sud, mais qui pose problème dans les sociétés du Nord et particulièrement dans une Europe vieillissante et dépassée, dont le seul dynamisme démographique repose sur l'apport des immigrations post-coloniales, ce qui explique pour une large part le climat délétère, la menace raciste et xénophobe et l'islamophobie grandissante liée au mythe délirant de l'islamisation des sociétés, en particulier en France... mais pas seulement. 

Le rôle de premier plan des pays émergents sur la scène mondiale depuis le début de ce siècle et le prolongement des révolutions anticoloniales à travers le printemps arabe sont des révélateurs de cette dimension géostratégique de la crise.

En quoi la crise globale referme-t-elle l'espace du réformisme politique ? 

Sur le plan politique, cette crise globale enterre l'espace du réformisme politique incarné en Europe durant les Trente glorieuses par la social-démocratie et aussi dans la dernière décennie du siècle passé par les partis écologistes, et préfiguré avant cela aux Etats-Unis fugitivement par le New Deal. Cet espace s'était déjà considérablement rétracté durant les deux dernières décennies du XX° siècle, pour deux raisons essentielles : 

1) la fin de la forte croissance fordiste ne laissait que peu de marge de manœuvre aux capitalistes pour concéder quoi que ce soit aux classes populaires et aux couches moyennes

2) la chute du Mur et la dislocation de l'URSS en 1991 ont fait disparaître un moyen de pression majeur sur les capitalistes, dans la continuité d'octobre 1917 et indépendamment du vieux débat sur la continuité ou la discontinuité entre bolchevisme et stalinisme, indépendamment de notre appréciation du bilan du « socialisme réellement existant ».

C'est, sur le fond, ce qui explique, combiné à l'insuffisance des mouvements sociaux, le bilan, quasi-nul en terme de réformes pour le monde du travail, de la présence des sociaux-démocrates et des verts au pouvoir dans la majorité des pays européens dans les deux dernières décennies du XX° siècle.

Dire que l'espace du réformisme n'existe plus ne signifie pas pour autant qu'aucune force politique y prétendant a mécaniquement disparu du paysage politique : le réformisme en tant qu'orientation de réformes graduelles conduisant au changement de société (le socialisme) sans affrontement avec le capitalisme (et donc sans révolution) a été l'orientation majoritaire du mouvement ouvrier européen pendant près d'un siècle et il en reste des traces encore aujourd'hui dans la social-démocratie devenue social-libérale et dans le mouvement syndical notamment en Europe. 

Le cas des partis écologistes institutionnels des décennies 1980/1990 relève d'une autre histoire. Mais, pour les mêmes raisons fondamentales, eux-aussi sont privés d'espace réformiste aujourd'hui et le bilan misérable des ministères de l'écologie en France par exemple en est le reflet. 

Il faut ajouter à cela un élément essentiel : une nouvelle culture politique émerge depuis la fin du XX° siècle, dont l'altermondialisme et les forums sociaux sont l'expression la plus emblématique, avec de nouvelles formes de luttes et de mobilisations, avec ce qu'ont fait les Indignés et d'autres encore, une culture horizontale et anti-hiérarchique, anti-délégataire et égalitaire. Or il est frappant de constater que cette nouvelle culture politique se déploie à l'extérieur de la politique traditionnelle et des partis qu'on appelait autrefois« réformistes ». 

La révolution est de retour... mais cela suffit-il ? 

A moins de renoncer au changement de société, la fin d'un espace politique pour le réformisme rouvre donc celui du changement radical, celui de la révolution. Disant cela, on se rend compte du contexte nouveau qui est le nôtre : l'option de la révolution n'avait pas de légitimité, sauf dans nos cercles très restreints, voici quelques années encore. 

Elle a aujourd'hui retrouvé une légitimité (qui n'est pas verbalement opposé au capitalisme, tout au moins à ses excès, aujourd'hui?), à un moment paradoxal : d'une part le néo-libéralisme continue de s'appliquer de manière brutale par la droite et plus ou moins adoucie par la social-démocratie mutée en social-libéralisme... mais d'autre part le capitalisme est largement délégitimé à l'échelle mondiale -et l'altermondialisme y a fortement contribué- 

Mais l'option de la révolution pose immédiatement un redoutable problème -à moins de s'en dédouaner comme l'avait fait Olivier Besancenot voici quelques années à propos des pays de l'est- : le terrible discrédit qui l'a frappé à travers l'héritage du stalinisme.

On ne peut s'exonérer du bilan tragique des révolutions anticapitalistes du XX° siècle : si elles ont apporté aux sociétés concernées de réelles avancées en terme d'accès égalitaire à la culture, à la santé et à l'éducation, la confiscation du pouvoir par le parti unique, l'absence de démocratie réelle en elle-même et l'horreur de la répression de masse ont anéanti les perspectives d'émancipation dont ces expériences ont été dans un premier temps porteuses toute portée émancipatrice de ces expériences dites socialistes ou communistes. 

La révolution, oui, mais à redéfinir impérativement : qui en voudrait si la société qui en découle est, sur le terrain de l'émancipation, en deçà de la société actuelle ? 

La révolution longue, un processus : de quoi s'agit-il ? 

Depuis leur congrès de 2000, les Alternatifs parlent de révolution longue et il faut, rapidement, y revenir et s'en expliquer, y compris pour dissiper des malentendus, même si les réalités des processus en cours tout près de nous permettent d'illustrer le propos. 

D'abord la révolution longue est un processus, sur la durée, et non pas une fulgurance telle qu'octobre 1917 dans l'imaginaire qui est encore souvent le nôtre et qui a marqué la culture politique de la gauche communiste et radicale. 

Ensuite c'est un processus non linéaire, fait d'une accumulation de ruptures plus ou moins radicales et de sauts qualitatifs et non d'une seule rupture, même si on peut émettre l'hypothèse que l'une de ces ruptures sera particulière en ce sens qu'elle correspondra au moment de l'expropriation capitaliste et à l'amorce de la transition vers la société alternative. 

Et puis la révolution longue, c'est le reflet d'une exigence de plus en plus forte : celle du temps de la démocratie, du temps de la délibération. 

On peut immédiatement dissiper un malentendu : la révolution longue n'évite pas l'affrontement avec la bourgeoisie et son appareil d'Etat, il ne s'agit pas d'un « processus long sans rupture » 

A examiner le passé de plus près, on constate que dans l'Histoire de manière générale, les révolutions sont bel et bien des processus longs, étalés sur plusieurs mois ou plusieurs années, voire même quelques décennies, que ces révolutions aient été à la fois bourgeoises et populaires, anticapitalistes et antiimpérialistes ou anticoloniales.

On peut dire à propos des révolutions anticoloniales qu'elles illustrent bien ce temps étiré : amorcées au XIX° et dans la première partie du XX° siècle, puis amplifiées après la seconde guerre mondiale dans une longue première phase (avec quelques exceptions comme la domination coloniale maintenue encore aujourd'hui par la France sur ses « confettis de l'empire », ou le cas particulier de la création très tardive de l'Etat d'Israël en 1948) ; avec ensuite un temps de confiscation de ces révolutions par l'arrivée au pouvoir de bourgeoisies locales adossées aux diverses formes de néo-colonialisme ou par la mise en place de régimes autoritaires liés au Bloc de l'est du temps de la Guerre froide. 

Ce temps suspendu est aussi celui de la fin du Tiers-Monde en tant que « force politique globale » alternative à l'impérialisme, et des diktats du capitalisme mondialisé sur le Sud notamment par les plans d'ajustement structurel du FMI.

Mais une seconde phase de la révolution anticoloniale est amorcée dès la fin du XX° siècle : les peuples du Sud, particulièrement en Amérique et dans le monde arabe ont repris le chemin de l'appropriation de leur souveraineté populaire jusque-là confisquée depuis leur indépendance et la constitution de leur territoire en Etat-nation. 

Amérique indo-afro-latine et Printemps arabes : la révolution longue ... sous nos yeux ! 

C'est dans ce qu'on a longtemps appelé Amérique latine et dans le monde arabe qu'à l'échelle mondiale des changements majeurs sont en cours, depuis une vingtaine d'années dans le premier cas et plus récemment (2010/2011) dans le second. 

Ces processus sont bel et bien des processus révolutionnaires (et pas de simples révoltes quand elles se traduisent par des mobilisations de masse mettant à bas des dictatures ou des régimes si fortement corrompus), porteurs d'une dynamique à la fois sociale et démocratique, à dimension anticoloniale et à l'échelle d'espaces de type régions du monde (en tant qu'appellation géographique).

Le ressort démocratique, en tant qu'aspiration irrépressible, de ces révolutions longues est essentiel : il plonge ses racines dans le mouvement de sécularisation de ces sociétés, lui-même alimenté par la scolarisation de masse et notamment celle des filles d'une part et d'autre part, la fin de la transition démographique qu'elle entraîne et qui se traduit par la stabilisation de l'indicateur de fécondité à un taux très bas, comparable aux standards européens. 

Dans le monde arabe -et c'est aussi le cas en Iran-, on retiendra que le mouvement de sécularisation se traduit, comme on l'a connu plus tôt en Europe, par le recul de l'emprise religieuse et l'arrivée de nouvelles générations cultivées dans les sociétés : contrairement au discours dominant en Europe et particulièrement en France, le poids très fort de l'islam sur ces sociétés n'empêche pas le développement d'un lent processus de « désislamisation » des sociétés (comparable au lent processus de déchristianisation des sociétés européennes que nous avons connu), et c'est ce phénomène qui a rendu impossible la mainmise des islamistes sur la société en Tunisie comme en Egypte.

Le ressort social n'en est pas moins essentiel lui-aussi dans ces processus révolutionnaires : l'exigence du partage des richesses est omniprésente, réactivée de manière permanente par le refus des politiques néo-libérales qui perdurent par exemple en Egypte et en Tunisie.

A l'interface de l'aspect démocratique et de l'aspect social, le refus total de la corruption est un ingrédient décisif : il est présent dans tous ces processus. En réalité, tous ces aspects sont imbriqués, complètement liés les uns aux autres et des ruptures importantes ont déjà eu lieu, à la fois sur le plan démocratique et social en Amérique indo-afro-latine (plus précisément au Venezuela, en Bolivie, en Equateur), et surtout sur le plan démocratique en Tunisie et en Egypte (et très peu sur le plan social, d'où l'effervescence du cours actuel).

Pour aussi importantes qu'elles soient, les ruptures intervenues sont des ruptures partielles et le basculement ou la rupture majeure n'a pas ou n'a pas encore eu lieu, y compris au Venezuela. Mais des politiques publiques de redistribution des richesses et de priorité aux budgets éducatifs et sociaux sont déjà de premiers acquis considérables et il existe des germes de pouvoir populaire et de démocratie active (budgets participatifs, entreprises récupérées et coopératives...) significatifs. 

Les thématiques écologiques progressent aussi dans ces processus, mais de manière contradictoire car les logiques extractivistes et les grands projets, par exemple en Equateur, ont des partisans au sein même de ces processus. 

La thématique du« buen vivir » se développe mais elle-aussi se heurte à d'importants obstacles au sein même des nouveaux pouvoirs politiques issus des processus révolutionnaires de cette partie de l'Amérique. Il s'agit bien de processus en cours, fragiles, non-linéaires, parfois contradictoires, et, ne l'oublions pas, à contre-courant du contexte mondial global et en butte au capitalisme mondialisé. 

Les incertitudes au Venezuela illustrent bien cette fragilité. Et les évènements les plus récents en Egypte et en Tunisie montrent bien que rien n'y est joué. Mais dans tous ces pays, des mobilisations citoyennes parfois considérables, de puissants mouvements sociaux ont été le vecteur essentiel de ces processus, en pesant de manière décisive sur les changements électoraux et institutionnels. 

Et malgré les menaces et les incertitudes, on peut faire le pari raisonnable que la soif de démocratie, d'égalité, de partage des richesses ne peut disparaître du jour au lendemain. En tant que processus, ces révolutions longues sont en cours et sont loin d'être terminées. Et à ce jour, nulle part, malgré les menaces, les pouvoirs politiques qui ont été chassés n'y ont été rétablis... 

REVOLUTION LONGUE ET AUTOGESTION

Qu'est-ce que l'autogestion, pour nous ? Un but, un moyen, un chemin 

L'échec tragique des révolutions anticapitalistes du XX° siècle ne peut être réduit aux fautes et aux crimes des pouvoirs politiques concernés, pas plus qu'aux orientations politiques de tel ou tel courant politique du mouvement ouvrier. 

Cet échec, c'est aussi le nôtre au sens large : il concerne l'ensemble du mouvement ouvrier et plus largement toutes celles et tous ceux qui prétendent changer le monde et militent pour l'émancipation humaine. Se réclamer de la révolution comme nous le faisons exige (de notre part) de donner à voir pour ne pas reproduire de tels échecs.

L'autogestion, qui a largement échappé au discrédit de la terminologie socialiste et communiste, est de retour après une éclipse de plusieurs décennies, et elle est une réponse au problème qui nous est posé en ce sens qu'elle est pour nous à la fois un but (le contenu d'émancipation, de désaliénation et d'auto-détermination de la société que nous voulons), un moyen (une pratique qui prépare et anticipe les ruptures anticapitalistes) et un chemin (une stratégie pour y parvenir). 

Présente dès la révolution d'octobre 1917 et dans toutes les révolutions anticapitalistes du XX° siècle, mais aussi sous une forme plus discrète dans des contextes de moindre intensité, l'autogestion n'est jamais un a-priori idéologique ou une décision d'état-major : c'est toujours une réponse immédiate et collective, une réponse concrète à un problème concret, la remise en route de la production ouvrière et paysanne par les hommes et les femmes confronté-e-s au problème de la vacance du pouvoir « en bas » (elle va alors au-delà d'un simple contrôle ouvrier ou populaire sur la production), et dans les territoires la prise en charge et la gestion directe des problèmes de transport, de ravitaillement, de fonctionnement des structures collectives...etc 

Dans un contexte révolutionnaire, l'autogestion dans l'Histoire reflue avec la révolution elle-même quand vient la bureaucratisation et la confiscation de la révolution par un parti unique. 

Dans un contexte moins intense, l'autogestion est rapidement menacée par la pression capitaliste et c'est celle-ci qui rend impossible le déploiement de l'autogestion dans le cadre du capitalisme. 

Mais les pratiques autogestionnaires sont pour nous essentielles : dès aujourd'hui, même de courte durée car vite étouffées (pour les raisons indiquées), elles déconstruisent l'imaginaire capitaliste, démontrent -y compris à celles et ceux qui s'engagent dans de telles pratiques- qu'on peut se passer des patrons et des chefs petits et grands, qu'on est capable soi-même et dans la coopération avec les autres de faire fonctionner l'entreprise, la cité (où la démocratie active est un élément de réponse à la crise de la démocratie représentative à bout de souffle), et donc la société tout entière, d'inventer d'autres relations sociales alternatives à celles de la concurrence et de la hiérarchie. 

Quel lien entre stratégie autogestionnaire et révolution longue ? 

Aujourd'hui, et plus encore dans un contexte de crise généralisée qui appelle l'invention d'une alternative anticapitaliste globale, l'enjeu, pour une gauche alternative digne de ce nom, est donc d'aller au-delà du recensement des pratiques coopératives qui tendent à se développer dans le monde du travail et des expériences autogestionnaires, et de tenter de les raccorder, sans jamais les instrumentaliser, à la question de la prise de pouvoir et du changement de société. 

C'est en ce sens que l'autogestion est aussi un chemin, une stratégie politique qui renouvelle la problématique du changement de société et donc de la révolution,et il y a donc corrélation entre autogestion et révolution longue.

Dès aujourd'hui, dans les résistances à l'ordre établi, les mobilisations citoyennes, les mouvements sociaux et plus largement les pratiques qui, même de manière limitée ou partielle, remettent en cause, dans tous les domaines et à tous les niveaux, les situations d'inégalité, les dominations, les aliénations, se combinent contestation radicale, propositions alternatives et auto-organisation, dessinant déjà la société de demain. 

La stratégie autogestionnaire prend appui sur ces résistances, ces luttes et ces pratiques alternatives, qui sont des germes de basculement avec l'ordre existant et qui annoncent, préparent et conditionnent les ruptures sans lesquelles aucune avancée durable n'est possible, les ruptures de ce processus de révolution longue.

En quoi l'existence d'un pouvoir populaire /pouvoir citoyen est-elle un enjeu ? 

C'est donc à la lumière des échecs tragiques des révolutions anticapitalistes du XX° siècle que la révolution longue doit s'appuyer sur l'auto-organisation et l'autogestion, et sur la construction d'un pouvoir populaire exercé directement par les citoyennes et les citoyens, et la vigilance pour que la révolution ne soit confisquée par aucune force politique ou autre prétendant représenter le peuple. 

Si nul ne peut déterminer à l'avance les formes exactes de ce pouvoir populaire ou citoyen, nous pouvons cependant affirmer que pour se déployer et jouer le rôle indispensable qui est le sien, ce pouvoir doit être totalement distinct des institutions représentatives -qui par ailleurs doivent être totalement repensées dans un processus constituant-. 

Non seulement distinct mais peu susceptible d'harmonie : il sera certainement appelé selon les moments et les rapports de force du processus, à entrer en conflit avec le pouvoir institutionnel, voire même à l'affronter : en ce cas, en tant qu'autogestionnaires, nous faisons le choix de la radicalité et des exigences du pouvoir populaire ou citoyen, et pas celui des institutions même si les élu-e-s autogestionnaires y sont en majorité. 

C'est essentiel aujourd'hui et demain : pas de changement de société, pas d'alternative sans la mobilisation et la poussée du bas. Cela ne signifie pas que nous ignorons les institutions, la nécessité d'y participer à certaines conditions et la possibilité dès maintenant de réorienter radicalement les politiques publiques dans le sens de l'écologie, des solidarités, du féminisme et de l'autogestion.

Et, au passage, cela ne signifie pas, dans une perspective autogestionnaire, qu'avec le dépérissement de l'Etat, nous devrons pour autant nous passer d'institutions. 

Mais nous ne pouvons méconnaître les très fortes et multiples pressions, dans le contexte du capitalisme mondialisé et d'un appareil d'Etat maintenu, visant à étouffer, récupérer, détourner, tout pas en avant dans le sens du changement et toute réorientation des politiques publiques à partir des institutions mêmes largement démocratisées.

PROJET, FORCE POLITIQUE, TRANSITION 

Un projet alternatif 

Révolution longue, autogestion, projet alternatif : ces trois éléments sont indissociables. 

A crise globale, réponse globale : la fin d'un espace réformiste appelle un projet anticapitaliste, un projet alternatif. Celui-ci existe-t-il ? La réponse ne peut être univoque car s'il n'existe pas sous forme de projet clé en mains, des éléments de ce projet nous sont cependant donnés par les révolutions du passé et par les processus de révolution longue en cours, par les aspirations populaires et les multiples réflexions produites à partir des luttes, à l'échelle mondiale, par le mouvement altermondialiste et les forces politiques, syndicales, associatives qui en sont partie prenante. 

Ce projet ne peut répondre à une seule des dimensions de la crise globale à laquelle nous sommes confronté-e-s : il doit nécessairement correspondre à un projet d'émancipation humaine et d'égalité des droits, contre toutes les discriminations et toutes les oppressions, il sera encore et tout autant celui du féminisme en tant qu'égalité des droits et droits spécifiques des femmes, de l'écologie en tant qu'objection de croissance et alter-développement, du partage des richesses enfin, reprenant et prolongeant les aspirations qui se sont exprimées dans le passé au travers des références socialiste et communiste.

De l'écosocialisme à l'arc-en-ciel 

La crise étant globale et multidimensionnelle, il semble problématique de le réduire à un projet rouge et vert et davantage encore à un projet à étiquette écosocialiste, même si ces deux terminologies constituent une avancée majeure de la fin du XX° siècle, par rapport à la référence socialiste d'autrefois qui renvoie à une conception étroite et au paradigme rouge selon lequel les problèmes de la société seront mécaniquement réglés par l'appropriation sociale et le partage des richesses. 

Se réclamer du rouge et du vert a représenté cette avancée essentielle consistant à rompre de fait avec le paradigme rouge sans pour autant, et c'est heureux, le remplacer par le paradigme vert, celui de l'écologie profonde prétendant répondre comme par magie, par la seule référence à l'écologie, à l'ensemble des problèmes et des contradictions. 

La référence écosocialiste est en deçà du rouge et vert : si la volonté de synthèse semble la même, le primat du socialisme demeure, avec une coloration écologiste certes forte et nouvelle mais facteur second en dernière instance, et reste alors posé le problème de la pertinence du terme socialiste. Même si elle ne s'y réduit pas, la crise globale est pour une part une crise de la démocratie, comme nous le montre le processus en cours dans le monde arabe, et l'exigence d'égalité des droits dans tous les domaines correspond à une aspiration irrépressible partout dans le monde. Il faut donc aller au-delà du rouge et du vert, et les Alternatifs en ont eu l'intuition à leur congrès de l'an dernier en y ajoutant le violet du féminisme 

C'est pourquoi avec quelques camarades -dont toutes et tous ne sont pas membres des Alternatifs- nous avons, dans une contribution collective printanière qui doit beaucoup à Philippe Zarifian et Stéphane Lavignotte, fait la proposition de la référence à l'arc-en-ciel qui permet un élargissement supplémentaire et constitue un clin d'oeil aux luttes contre toutes les discriminations et toutes les oppressions, sans amoindrir en quoi que se soit le contenu que nous avons représenté par le rouge, le vert, le violet.

Une force politique ? Pour quoi faire ? 

Pour lutter, se mobiliser, se lancer dans des pratiques alternatives et autogestionnaires et même amorcer un processus de révolution longue, avons-nous besoin d'une force politique ? La réponse est non, et beaucoup autour de nous en tirent la conclusion que les réseaux suffisent et que le temps des partis est derrière nous.

S'il s'agit des partis bourgeois à l'ancienne, synonymes de défense de l'ordre établi, de carriérisme et d'électoralisme, le diagnostic est difficile. Et s'il s'agit des partis du mouvement ouvrier, qui peut affirmer aujourd'hui qu'ils n'ont pas les mêmes travers ? C'est pour eux que le diagnostic est paradoxalement plus simple : la fin d'un espace de négociation avec les capitalistes remet en cause leur fonction même 

Pourtant, l'existence de lieux politiques défendant l'émancipation et l'autogestion, de lieux dans lesquels la mémoire, la socialisation et le travail d'élaboration en tant qu'intellectuel collectif seraient possibles, paraît nécessaire et indispensable, d'autant plus que dans l'optique d'un projet alternatif ni les syndicats ni les associations ne peuvent jouer le rôle de synthèse, de force généraliste comme une force politique peut le faire. 

D'où l'idée du parti-mouvement : un nouveau type de force politique, au fonctionnement radicalement différent de celui des partis traditionnels, dont la fonction sera d'animer et non pas de diriger (en ce sens, ce sera donc un mouvement), et de renouer avec le meilleur des partis ouvriers d'hier (mémoire, ancrage populaire, socialisation) 

A propos de la transition : quelques pistes et questionnements 

La transition, dans la tradition de la gauche radicale, est ce moment durant lequel se fait le passage du capitalisme au communisme, ce point de passage obligé appelé socialisme. Dans cette tradition, la transition est aussi une méthode pour penser au-delà de l'immédiat et raccorder celui-ci aux objectifs plus fondamentaux du communisme, ce qui permet de fixer des objectifs ou revendications transitoires (la RTT en est un exemple). 

Cette vision est très marquée par l'histoire des affrontements politiques et sociaux de la fin du XIX° siècle et du siècle suivant, et des révolutions dans les sociétés rurales ou récemment industrialisées. Dans cette vision, l'essentiel des objectifs mis en avant est d'ordre social et économique, lié au partage des richesses et à l'appropriation sociale 

Ne faut-il donc pas questionner la transition elle-même ? La penser dans les mêmes termes qu'autrefois se justifie-t-il aujourd'hui ? 

On peut émettre l'hypothèse que dans le capitalisme mondialisé et sur la base du processus de la révolution longue, les mutations du capitalisme et des sociétés débouchent sur des germes de possibles et de société alternative au sein même du capitalisme, posant plus rapidement qu'on ne le pense la question des biens communs, de la reconversion écologique de la production et de la société, de l'égalité des droits et du partage des richesses. Bref, la question d'une société communiste au sens originel du terme, d'une société d'autogestion généralisée, dans un étrange paradoxe : à la fois en opposition au capitalisme mondialisé... mais à portée de main ! 

Au sein du mouvement altermondialiste, dont nous sommes partie prenante, nos ami-e-s d'ATTAC posent la question de la transition comme celle que nous devons nous poser aujourd'hui, dans un monde fini et sur des bases qui sont éloignées de celles de la tradition de la gauche radicale des temps passés.

C'est aussi dans le cadre de l'altermondialisme que cette question de la transition doit être repensée et largement débattue, sans que pour autant nous nous abstenions d'ouvrir une réflexion spécifique de la gauche alternative sur cette question

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