dimanche 20 novembre 2016

1986, le mouvement étudiant contre la réforme Devaquet, un contenu autogestionnaire balbutiant



Il y a trente ans, à l’automne 1986, un projet de réforme de l’université, le « projet Devaquet » du nom du secrétaire d’Etat de l’époque à l’Enseignement supérieur et à la recherche, provoquait une mobilisation sans précédent depuis les « années 1968 ». Nous ne revenons pas ici sur le contenu précis du projet de réforme ni sur l’évènement qui fait l’objet à l’occasion des commémorations d’initiatives diverses : ateliers archives et mémoires étudiantes, projection-débats, rencontres et cérémonie en l’honneur du jeune Malik Oussékine frappé à mort par les forces de police (voir les annonces et liens après l’article) mais sur deux aspects  qui relèvent de nos préoccupations : la forme de la lutte, et la question des alternatives « en positif » à une réforme gouvernementale.

La suite de l’article est à lire sur le site de l’association autogestion http://www.autogestion.asso.fr/?p=6453.

Ci-dessous un article du secteur jeunes du PSU paru le 8 décembre 1986 dans "2A" le journal de ce mouvement. En effet on trouve dans ce texte datant de 30 ans outre des considérations qui trouvent des échos sur la réalité d’aujourd’hui comme la tendance à la « rentabilisation » de l’Université ou la tentation d’introduire la sélection à son entrée, un certain nombre de propositions à caractère autogestionnaire. 

Il est en effet proposé en écho à ce qui était apparu en 1968 : «  Sans attendre un changement de société, il est possible dès maintenant de revendiquer et de réaliser des changements pratiques dans la vie universitaire à travers l’exercice d’un contrôle collectif des étudiants sur des aspects de la gestion et de la pédagogie des universités. » 

Cette idée à la base de toute démarche autogestionnaire que les usagers et les usagères d’un service public devaient avoir leur mot à dire sur le fonctionnement de celui-ci. Proposition qui aurait à nouveau toute sa place dans les revendications des organisations universitaires et étudiantes !

Henri Mermé 
2A Autogestion L’Alternative PSU 
N°155 8 décembre 1986 Pages 2 et 3 

Face à la loi Devaquet, les étudiants peuvent continuer à peser et imposer des choix différents

par le secteur Jeunes du PSU

Les militants et sympathisants du secteur jeunes du PSU ont participé, avec les centaines de milliers d’étudiants et de lycéens qui ont fait grève et manifesté à travers toute la France, à l’action pour empêcher la loi Devaquet. Même si, après le premier recul du pouvoir que constituait le renvoi en commission, la loi est finalement votée, les choses n’en restent pas là : on peut continuer à agir, dans le concret de la vie des universités. 

C’est ce qu’explique la déclaration du secteur jeunes qui a été diffusée lors de la manifestation du 27 novembre, et qui esquisse quelques orientations différentes, dans un sens réellement autogestionnaire .

Les réformes de renseignement ont été nombreuses depuis 10 ans. Le projet de loi d’orientation sur les universités élaboré par le ministre Devaquet est particulièrement dangereux puisque sa mise en application entraînerait l’impossibilité pour de très nombreux jeunes de milieux populaires d’avoir accès à l’enseignement supérieur, et, pour beaucoup d’autres, une dégradation de leurs conditions de formation. 

Le projet Devaquet, c’est la sélection à l’entrée des universités 

Actuellement, en théorie, le bac suffit pour s’inscrire en première année d’université. Le projet Devaquet prévoit d’officialiser la sélection (pratiquée déjà de façon illégale par certaines universités) en permettant à chaque établissement de fixer librement les critères d’inscription. Les jeunes bacheliers qui ne correspondront pas au « profil » souhaité en seront quittes pour pointer directement au chômage. 

Le projet Devaquet, c’est l’université payante 

Les droits d’inscription dans les universités ont déjà augmenté de 1 000% en 10 ans... Devaquet prévoit beaucoup mieux : chaque université fixera elle-même le montant de ses droits. Les étudiants des milieux socialement défavorisés qui ne pourront payer iront voir ailleurs... 

Le projet Devaquet, c’est le développement des inégalités entre universités

Actuellement, les diplômes délivrés par toutes les universités sont des diplômes nationaux ; les diplômes « Devaquet » porteront mention de l’université d’origine : les conditions de formation et de délivrance des diplômes étant différentes, les diplômes des universités « mal loties » s’en trouveront dévalorisés sur le marché du travail. 

Le projet Devaquet : un projet revanchard 

Tous ces aspects du projet vont dans le même sens : c’est un projet « revanchard » qui vise à liquider toutes les évolutions des universités depuis mai 68. Il est prévu que les étudiants soient pratiquement exclus des conseils d’administration d’université, tout le pouvoir aux professeurs les plus conservateurs. 

Ce projet correspond donc bien à la politique réactionnaire du gouvernement Chirac. Pandraud veut chasser les immigrés de France et Devaquet les étudiants des facs... 

Agir pour un autre système de formation

Face à cette politique, le PSU revendique des transformations profondes de l’université qui aboutissent à un système de formation intégré à la vie quotidienne. Il faut une université ouverte, ouverte aux salariés, en lien avec la formation permanente, ouverte aux non-bacheliers : chacun doit pouvoir bénéficier dans sa vie d’un « crédit- formation » utilisable à tout moment, en alternance ou parallèlement avec son activité professionnelle, ce qui suppose une réduction massive du temps de travail. 

Une évolution importante dans ce sens serait pour les actuels étudiants, un statut de jeune travailleur en formation, leur permettant de bénéficier d’un « pré-salaire ». 

L’objectif à long terme, c’est de supprimer la division arbitraire entre monde des étudiants et monde du travail, monde des passifs et monde des productifs, grâce à un système de formation ouvert à tous et à toutes afin que chacun puisse être étudiant et travailleur. 

Des solutions alternatives dès maintenant 

Sans attendre un changement de société, il est possible dès maintenant de revendiquer et de réaliser des changements pratiques dans la vie universitaire à travers l’exercice d’un contrôle collectif des étudiants sur des aspects de la gestion et de la pédagogie des universités. 

En effet, la loi Devaquet ne sera qu’un cadre juridique. L’essentiel se déroulera dans chaque établissement : et à ce niveau-là, l’intervention des étudiants peut être efficace. N’oublions pas que, bien que la loi d’orientation Savary ait été promulguée en janvier 1984, seulement deux universités sur trois avaient commencé, deux ans plus tard, à l’appliquer. 

La loi Savary n’a pu en fait passer dans les actes car une grande partie des « professeurs de rang A » attachés à leur privilège (les « mandarins ») a réussi à faire suffisamment pression pour que son application n’ait pas d’effets pratiques. 

De même, face à la loi Devaquet rétrograde, les étudiants peuvent peser et imposer des choix différents, autour de quelques pistes. 

Priorité à l’enseignement 

Les universités et les universitaires sont là parce qu’il y a des étudiants. Or, trop d’enseignants ne sont guère disponibles aux étudiants en dehors de quelques heures de cours et une grande partie des moyens en matériel, en documentation et en locaux — déjà très insuffisants — des universités sont utilisés à tout autre chose que l’enseignement. 

Si les universités ont d’autres missions que l’enseignement (notamment la recherche et la formation continue), c’est en priorité vers l’enseignement que doit être orienté leur potentiel humain et matériel : c’est la condition essentielle du caractère réellement « qualifiant » des formations délivrées par l’université. 

D’autres choix budgétaires 

Les étudiants sont de plus en plus sollicités financièrement par l’augmentation des droits d’inscription et des frais de scolarité annexes. Mais si les étudiants payent plus, il faut que le service rendu soit amélioré d’autant... 

Auprès des différents conseils et commissions actuellement existants, à travers les représentants élus des étudiants ou par toute autre voie, nous devons exiger qu’une somme au moins égale au total des droits d’inscription soit affectée aux dépenses directement pédagogiques. 

Est-il en effet normal que la totalité des crédits à vocation pédagogique d’une université moyenne soit inférieure à ses dépenses de communications téléphoniques ? 

Une évaluation non arbitraire et mutuelle des enseignements délivrés 

L’enseignant dispose d’une liberté presque totale d’évaluation des connaissances des étudiants. 

Pour éviter tout arbitraire, nous devons proposer au début de chaque année universitaire une négociation avec l’enseignant sur le contenu de ses enseignements et les modalités de contrôle des connaissances, qui débouche sur un « véritable contrat pédagogique ». Cela n’a rien d’utopique puisque cette pratique était courante il y a une dizaine d’années dans certaines universités. 

Par ailleurs, la condition du sérieux des enseignements délivrés ne peut se situer ailleurs que dans l’évaluation des enseignants par les étudiants selon des modalités diverses (questionnaires, débats...). Sur ce point aussi les expériences, françaises et étrangè-res, sont nombreuses et concluantes. Toutes ces revendications sont réalisables dans un court terme. 

L’essentiel, c’est que les étudiants ne soient plus considérés comme des intrus, des « empêcheurs de tourner en rond » dans leur propre université, mais soient euxmêmes les acteurs des changements nécessaires. C’est cela la démarche autogestionnaire, c’est en avançant des solutions alternatives à tous les niveaux dès maintenant que l’on peut préparer une société fondée sur le socialisme et l’autogestion. 

Paris le 27/11/1986

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