dimanche 12 février 2017

Ce que structure le mode de scrutin présidentiel, par Eugène Begoc

Il y eut l'élection de 1965 - de Gaulle tout juste mis en ballotage - et l'élection de 1969, dont le second tour opposa deux droites :bien avant le 21 avril 2002, le scrutin présidentielzoomait sur les failles des gauches. 

En 2017, l’éclairage est particulièrement éprouvant : une des gauches les plus bêtes au monde se démet au profit d’une droite qui ne l’est pas moins dans une architecture constitutionnel et un mode de scrutin sans équivalent dans le continent. 

Tant bien que mal, le vote unipersonnel à deux tours favorise une confrontation de premier tour disposée sur quatre cases : deux à droite, deux à gauche. Pour de Gaulle il s'agissait d'installer un nationalisme modéré entre les droites atlantistes et poujadistes ; le PC réunissant une voix sur cinq, il s’agissait également de préserver le bloc qui le concurrençait à gauche, la SFIO et les autres partis de la troisième voie que le bellicisme en Algérie avait discrédités. 


 Six décennies plus tard, le paysage a changé mais la quadripartition des expressions politiques perdurent. Étrillée dans ses difficultés à accompagner les stratégies des multinationales françaises, la droite gouvernementale n'a cessé de changer de posture et de tactique vis-à-vis de son flanc droit, le FN, dont l'assise électorale égale la sienne. 

 La gauche gouvernementale n’a jamais renoncé à siphonner une fois pour toute la case de la gauche radicale. De fait, l’étiage de celle-ci avoisine un petit 10%. Ce sont les mouvements de 1986, 1995, 2005, 2010 et 2016 qui ont fait échouer ce dessein d’éradication. 

Chacun de ces quatre camps abordent 2017 avec des enjeux très différents. Bref essai de l’état des lieux. 

Le Front national: les législatives d'abord 

Pour le FN, l'objectif est de rester en lice dans le plus grand nombre de circonscriptions le 18 juin 2017. Unique opposition aux Républicains dans les très importantes régions des Hauts-de-France, du Grand-Est et de PACA, le FN a pour objectif de devenir le premier groupe d'opposition à l'Assemblée nationale. 

Relevons que le non renouvellement d'une adhésion sur deux l’an dernier rappelle son handicap n°1 : son électorat, pour xénophobe qu’il soit, tarde à se porter au niveau de radicalité qu’appelle l’orientation néofasciste de sa direction.Des recettes de marketing pour sortir de ce hiatus : c’est ce qui est la constante du binôme Philipot – Le Pen, dans l’appel au sursaut du peuple français entre Trump et Poutine par exemple. 

Les Républicains et l'UDI : les élus locaux en renfort 

Dans la deuxième case, UDI et LR laissent leurs électeurss'inquiéterde la privatisation de 90% des remboursements de santé et des suppressions de fonctionnaires. Leur pari en effet est que, si une partie des très inquiets ira au premier tour sur le FN, l'essentiel passera sur l’inquiétude et le défaut d'enthousiasme. 

Au final, voter Fillon plutôt que de s'exposer à une deuxième défaite en cinq ans est une évidence et un acte de foibien ancrés dans cette deuxième case de la politique française. 

Les meilleurs des agents électoraux étant les candidat.e.s député.e.s faisant campagne pour eux-mêmes, l’heure est à la capitalisation des reconquêtes engrangées régionalement, conseillers départementaux et régionaux et surtout mairies et communautés de communes.Ces multiples contacts de proximité font contrefeu au « tribunal médiatique » enclenché par l’information de la presse indépendante sur le sarkofillongate. 

 Du maire-adjoint en place au candidat député ou ministre, la droite française vit dans une communauté d'intérêts permanente avec les gros et les moins gros du « France d’abord » : de Castries, Dassault, Bolloré, Bouyghes, SNCF, BNPParibas, EDF-Areva, Free, Suez-GDF, Crédit agricole, PSA, Renault, Orange, Decaux... Un maillage serré des territoires et des activités s'organise à travers cette consanguinité des milieux d'affaires, élus professionnels et fonctionnaires d'autorité. Les excès français en matière de spéculation immobilière et de cherté du logement sont - comme en Espagne et en Angleterre - une des plaies directes qui en découlent pour les salarié.e.s. 

Le parti Valls-Hollande ne disparaîtra pas 

En lambeaux dans les villes et dans les régions, le PS est tombé, à l'image de ses alliés, PRG et EELV, en deçà du seuil de viabilité d'un parti de gouvernement. La situation d'agglomérations comme Lyon et Montpellier montre l'ampleur des questions posées à la gauche modérée : un noyau partisan divisé par trois, des rivalités d'appareils décourageant tout renouvellement d'idées et d'ambitions collectives, un discrédit durable dans la jeunesse et chez les salarié.e.s, cadres inclus, et une vacuité assuméedans la nécessaire articulation des échelles démocratiques, du local au niveau européen. 

Le PS ne disparaîtra pas : les implantations confirmées ces deux ou trois dernières décennies, en Bretagne et à Paris spécialement, lui garantissent de bénéficier encore de la prime du scrutin majoritaire à deux tours.

Mais un schéma est caduque : celui de l'alternance entre le PS et le RPR-UMP-LR. Le PS est durablement installé dans le statut du parti d'opposition à vocation minoritaire. Valls-Hollande viennent de réussir l'exploit de donner la réplique au Mollet de 1958, à nouveau pour le plus grand profit de la droite. 

La gauche la plus bête du monde vient de rétablir la droite la plus bête du monde dans tous ses privilèges du scrutin majoritaire à deux tours et de la constitution du coup de force institutionnel permanent. 

L'autre gauche en ruine 

Ce qui nous intéresse est évidemment la case de l'autre gauche, la quatrième sur l'échiquier. C'est celle où l'impératif de refondation est à son paroxysme, tant les stratégies vieilles d’un demi-siècle n’en peuvent mais. 

Le PCF s'est pensé comme un appareil à construire pour occuper l'appareil d'État et en prendre la relève ; la LCR puis le NPA se sont eux pensés comme appareil à substituer à la direction du PCet occuper la quatrième case électorale quand il sera devenu évident que les communistes ont renoncé à toute ambition de transformation sociale. LO et le Parti de gauche ne connaissent pas d’autre ambition. 

Aucune de ces stratégies ne sortira validée de 2017 : il serait évidemment utile que leur mort clinique soit enfin reconnue. 

On voit mal comment l'autre gauche peut encore échapper au choix stratégique premier : déterminer pour quelle visée et comment se constituer en gauche d'opposition ET d'alternative. Il ne s'agit pas seulement de mettre à distance les codes du présidentialisme et de l'électoralisme façon Ve République. 

Il s'agit de redonner à l'action politique une assise sérieuse, une stratégie de renforcements des mouvements sociaux sans laquelle la constitution de l'acteur de la transformation sociale est impensable. C'est donc dans la quatrième case que le renouvellement des formes politiques, des conceptions et des pratiques est l’impératif absolu. 

L’heure n’est-elle pas aux initiatives mettant un terme ici et maintenant à laRépublique de 1958 ? Au dumping social infra-hexagonal ? À l'Europe forteresse, où l’état d’urgence instille une révision des droits et libertés proprement anti-libérale ?

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