vendredi 22 juillet 2016

Le PSU, une histoire à connaître, par Jean-Marie Harribey


L’historien Bernard Ravenel a publié ce printemps Quand la gauche se réinventait : Le PSU, histoire d’un parti visionnaire, 1960-1989 (La Découverte, 2016). Ce livre raconte l’intégralité de l’histoire d’un parti politique, depuis sa naissance au plus fort de ladite guerre d’Algérie jusqu’à sa disparition quand triomphait le capitalisme financier qui allait entraîner la social-démocratie dans la déroute de la gestion néolibérale de la société.

Nous sommes à la fin des années 1950, la IVe république, dirigée alternativement par la droite et par le parti socialiste de l’époque (SFIO, Section française de l’Internationale ouvrière), s’enfonce définitivement dans la pire politique menée contre le peuple algérien qui aspire à l’indépendance. Un regroupement de réfractaires à cette politique, issus du Parti socialiste autonome (PSA) provenant d’une scission de la SFIO, de l’Union de la gauche socialiste (UGS), et du Parti communiste, aboutit à la création du PSU en 1960.

Bernard Ravenel, qui fut membre du PSU et l’un des principaux responsables de ce parti à un moment charnière de son histoire, replace celle-ci dans une époque : celle de l’après-guerre qui voit la reconstruction se terminer en même temps que la phase dite des « Trente glorieuses », quand apparaissent les premiers signes d’une crise qui dure encore. Il s’ensuit une transformation radicale du capitalisme mondial, faite de capitaux totalement libres de circuler et de bouleverser la division internationale du travail. Dans le même temps, la guerre froide est sur le point de s’achever par la défaite du camp soviétique, sans pour autant faire disparaître des conflits tragiques comme celui entre l’État d’Israël et les Palestiniens.


Dans ce contexte, l’histoire du PSU se partage entre plusieurs étapes. Celle de la décolonisation d’abord. Alors que la SFIO ne sait pas faire autre chose que réprimer quand elle est au pouvoir, que le Parti communiste français entend ne rien lâcher de sa domination sur le mouvement ouvrier, le PSU est de toutes les mobilisations pour exiger la fin de cette guerre qui ne dit pas son nom. Les évènements tournent à de nombreuses reprises au tragique : massacre de centaines d’Algériens à Paris par la police dirigée par le sinistre Maurice Papon le 17 octobre 1961, massacre au métro Charonne de neuf personnes manifestant le 8 février 1962 à l’appel de toutes les organisations politiques et syndicales de gauche contre l’Organisation de l’armée secrète (OAS), véritable organisation fasciste ayant multiplié les attentats après le putsch raté des généraux en avril 1961.

Après que le pouvoir gaulliste fut obligé de mettre un terme aux hostilités, commence une période aussi riche que tumultueuse pour le jeune PSU. Au carrefour des influences ou traditions politiques révolutionnaires de l’époque, notamment trotskiste et maoïste, le PSU est le théâtre de débats et d’affrontements internes sur des questions clés de la révolution socialiste, telles qu’elles se posaient à ce moment-là, sur fond de luttes sociales très dures, comme celle des mineurs en 1963 : quel modèle de société socialiste, quel rôle doit jouer le parti révolutionnaire, quelle alliance politique avec les autres forces, la social-démocratie et le Parti communiste, ou quelle autonomie vis-à-vis d’elles ? Une période de tâtonnements théoriques mais aussi d’expériences concrètes menées par des militants engagés dans une gestion municipale innovante par son caractère démocratique (Grenoble, Louviers…).

La recherche d’une alternative au gaullisme, l’ébauche d’un contre-plan, la lutte contre l’armement atomique et les mobilisations contre la guerre du Vietnam rythment la décennie 1960. C’est aussi pendant cette décennie de 1960 que commence à émerger la figure marquante de Michel Rocard, qui réussit un temps à incarner une synthèse entre des stratégies politiques disparates. Alors survient « la divine surprise » de Mai 68, selon l’expression de Bernard Ravenel, où le PSU part « à l’assaut du ciel ». 

Le PSU fut la principale force politique à être en symbiose avec le mouvement, et il s’en fallut peut-être d’un cheveu que l’histoire tourne différemment. Las, lors du fameux meeting de Charléty le 27 mai, le PSU ne réussit pas à convaincre Pierre Mendès-France, alors membre du parti, de faire une proposition d’alternative politique à De Gaulle. Pendant ce temps, la CGT, tenue par un Parti communiste hostile au mouvement étudiant et à sa jonction avec la classe ouvrière, s’inscrit dans une démarche de négociations avec le gouvernement sur des objectifs quantitatifs. L’histoire va tourner dans le mauvais sens : pendant que le PC renonce à tout objectif politique qui n’entre pas dans son cadre de pensée stalinien, la droite se ressaisit et retourne la France profonde comme une crêpe.
Pourtant, les choses ont bougé. La question du pouvoir démocratique va désormais s’incarner dans le mot d’ordre d’autogestion que va porter dorénavant inlassablement le PSU. De son côté, la CFDT, sur la lancée de sa déconfessionnalisation, rejoint le projet autogestionnaire, avec d’autant plus de netteté que de nombreuses luttes ouvrières s’en inspirent. De plus, chamboulée par le capitalisme, la paysannerie voit naître en son sein un courant de « paysans travailleurs » qui sera l’ancêtre de la Confédération paysanne que nous connaissons aujourd’hui. 

 Les quelques années qui suivent Mai 68 sont marquées par l’aspiration autogestionnaire qui culmine dans la célèbre lutte des « Lip » et leurs mots d’ordre « l’usine est là où sont les travailleurs » ou « on fabrique, on vend, on se paie ».
Lip, le Larzac, la lutte anti-nucléaire et beaucoup d’autres sont autant de batailles dans lesquelles le PSU est partie prenante, tandis que le Parti communiste reste englué dans son soutien indéfectible à l’URSS finissante mais dangereuse (Budapest, Prague, Varsovie), et que François Mitterrand tisse patiemment sa toile pour prendre d’assaut le PS au congrès d’Épinay (1971). Le PSU tranche, il ne participera pas à ce nouveau conglomérat social-démocrate, pas plus qu’il n’adhérera au processus conduisant au programme commun de gouvernement du PS, du PC et des radicaux de gauche (1972). 

Au contraire, le PSU approfondit sa stratégie autogestionnaire et propose une transition au socialisme qui mêle l’autogestion, la planification, la réduction du temps de travail et la prise en compte des nouveaux champs de lutte qui émergent : les revendications des femmes pour l’avortement et la contraception, l’écologie et le cadre de vie. Le PSU élabore le « Manifeste de Toulouse » (1972) qu’on peut considérer comme la première tentative de synthèse politique en France du socialisme, de l’écologie et de la libération des femmes.

Le PSU y croit mais il ne parvient pas à élargir le cercle électoral de son audience. L’échec aux législatives de 1973 est lourd de conséquences, d’autant que le PC et le PS semblent bénéficier de l’effet « programme commun ». Survient alors la mort du président Pompidou en avril 1974, qui précipite le rapprochement de Rocard avec le PS, déjà amorcé depuis l’année précédente semble-t-il. 

Le PSU est traversé par un clivage fort : soutenir Mitterrand dès le premier tour de la présidentielle ou bien présenter Charles Piaget, animateur de la lutte des Lip, à qui Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT, s’oppose vigoureusement. Rocard l’emporte, le PSU appelle à voter Mitterrand. Rocard tente d’entraîner le PSU au PS : ce sera l’affaire des « Assises du socialisme » à l’automne 1974, menée entre le PS, la branche rocardienne du PSU et l’état-major de la CFDT. Opération politique réussie pour Mitterrand qui veut « Rocard tout nu ».

Le PSU se maintient majoritairement, résiste une décennie de plus, met la main à de fortes mobilisations : contre la loi Debré, contre les centrales nucléaires en construction, contre la répression envers les comités de soldats[1]. Mais les forces s’effilochent, au fur et à mesure que les transformations du capitalisme défont tous les collectifs de travail et entraînent la social-démocratie sur la pente social-libérale de moins en moins sociale, dont nous payons maintenant la facture en termes de chômage, de précarité, d’inégalités, et d’allégeance à « l’ennemie » qu’est la finance.
La candidature d’Huguette Bouchardeau à la présidentielle de 1981 qui recueille 1,1 % des voix est le dernier feu allumé par le PSU. Bouchardeau sera secrétaire d’État à l’environnement du gouvernement Mauroy en 1983, puis ministre dans le gouvernement Fabius en 1984. Son action ne fut pas négligeable puisqu’on lui doit la première écotaxe (la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique), les travaux d’utilité collective et une première démocratisation des enquêtes publiques.

« Mourir à trente ans », tel est le sort qui attend le PSU, nous dit Bernard Ravenel, puisque les derniers adhérents décidèrent sa dissolution en 1989. Un échec ? Ce n’est pas si sûr. Une conscience aiguë et prémonitoire de ce qui allait advenir de la société soumise aux coups de boutoirs du capitalisme néolibéral et de l’Union européenne[2], mais aussi une conscience que la construction du socialisme ne pourrait s’accomplir qu’en alliant la démocratie à la lutte sociale, en réunissant tous les fronts de luttes dans et hors de l’entreprise.

Le livre de Bernard Ravel est un grand livre. Non seulement parce qu’il donne à voir un pan de notre histoire sociale et politique que les générations de moins de 50 ans ne connaissent pas. Mais aussi et surtout parce qu’il inscrit cette histoire dans une continuité : le dépassement du capitalisme est une quête qui n’est pas finie et les formes de luttes se renouvellent sans cesse. Du « contrôler aujourd’hui pour décider demain » des travailleurs de Lip, des ouvrières du Joint français[3] et des paysans du Larzac, aux altermondialistes, aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes, aux Indignés et aux « Nuit debout », qui veulent reconquérir la démocratie, le besoin de dignité est le même. La trace du PSU reste visible.[4] Pour cela, il fallait « écrire l’histoire à partir du point de vue des vaincus »[5].

N.B. On pourra lire aussi le commentaire de Gustave Massiah, « Le PSU, une comète dans le ciel : quelles leçons pour aujourd’hui », Les Possibles, n° 10, été 2016.

[1] Sur l’histoire des comités de soldats, voir J.-M. Harribey, « Comités et syndicat de soldats : une épreuve pour la gauche syndicale et politique », in Jean-Claude Gillet et Michel Mousel (coord. et dir.) Parti et mouvement social, Le chantier ouvert par le PSU, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 309-319.

[2] À juste titre, B. Ravenel cite le livre de Bernard Jaumont, Daniel Lenègre, Michel Rocard, Le marché commun contre l’Europe, Seuil 1973, qui, selon moi, est le plus ancien et le plus féroce réquisitoire contre la construction qu’on n’appelait pas encore néolibérale de l’Union européenne, et cela dès 1973, et, qui plus est, signé par Rocard.

[3] En 1972, les ouvrières du « Joint français » (filiale de la Compagnie générale d’électricité) à Saint-Brieuc mènent une grève de huit semaines pour obtenir l’égalité de leurs salaires avec ceux de la maison mère, supérieurs de 20 %. Elles gagnent la bataille avec le soutien de la population et de la municipalité conduite par le PSU.


[4] En 2010, lors des 50 ans de la création du PSU, l’association « Les amis de Tribune socialiste » crée l’ « Institut Tribune socialiste » qui prolonge l’activité intellectuelle en faveur « des idées pour un socialisme du XXIe siècle ».

[5] B. Ravenel, page 13, citant Walter Benjamin.

 http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2016/07/12/livres-pour-l%e2%80%99ete-1-le-psu-une-histoire-a-connaitre/

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