Evelyne BECKER cheffe de file Amiens |
Construction municipaliste à gauche
Une liste authentiquement citoyenne – « municipaliste » – a pris la main avec deux meetings de plus de 500 personnes et quatre temps forts de travail qui ont réuni à chaque fois de 100 à 150 femmes et hommes, parmi lesquels moins d’un tiers sont membres d’un des huit groupes politiques qui ont intégré le processus (1). Très majoritairement ce sont des participant.e.s qui ont eu vingt ans entre l’alternance de 1986, le meurtre de Malik Oussekine et la mobilisation Picardie citoyenne de 1998.
Deux figures incarnent plus particulièrement cet investissement de la confrontation droite / gauche : Evelyne Becker, 55 ans, déléguée prudhommale et responsable CHSCT de l’usine Goodyear pendant la lutte contre les 4 fois 8 heures et contre la liquidation, soutenue par François Ruffin pour être en position éligible LFI à l’élection européenne ; Julien Pradat, architecte pratiquant une maîtrise d’œuvre à l’écart des facilités des promoteurs en vue, plus connu encore pour participer à un investissement culturel qui a su soustraire de haute lutte des lieux urbains historiques à la spéculation immobilière.
La dynamique générationnelle est vigoureuse et c’est heureux car la marche est haute. Redonner sens au politique à gauche ne se fera pas en un claquement de doigts. A Amiens comme ailleurs, reconstruire les clivages droite et gauche exige des actes, bien au-delà des déclarations et proclamations. Indice du chemin à parcourir : l’étude de l’IFOP commanditée par le groupe Fiducial et le Courrier Picard jette une lumière crue sur un très petit niveau d’adhésion électorale à gauche puisque les intentions de vote comptabilisées sur les six listes de droite totalisent près de 60% (5).
Clore le mandat de l'affairisme
Faire face aux droites amiénoises ne peut pas se faire dans l’ouate ordinaire de la civilité car elles se donnent le rôle d’aligner les affaires de la cité sur les besoins de leurs commanditaires, propriétaires fonciers, moyens industriels et gros intermédiaires de distribution. Elargi à LR par la venue de Macron le 22 novembre, l’accord amiénois LRM-UDI ambitionne de reconduire la droite à la Mairie dès le premier tour mais aussi de baliser le scrutin cantonal et régional de 2021 dans la Somme : après le désastre de l’élection européenne et sa réplique nationale annoncée le 15 mars, Macron veut voir dans la double élection de 2021 son ultime corde de rappel.
Le pari amiénois de Macron peut-il réussir ? En tout cas, le satisfecit gouvernemental sur le front de l’emploi se décline ici sans fausse pudeur. Et de fait, après la saignée des 1150 licenciements de Dunlop Goodyear de 2014, le bassin amiénois a dernièrement renoué avec la croissance : solde net de 700 emplois en 2017, de 900 en 2018 et encore de 150 en 2019. Car Amiens connait un boom logistique depuis 10 ans : le fournisseur blanc-meslinois de Babou, de la Foire fouille etc. a fait en 2007 d’Amiens nord sa base principale, imité en 2015 par Amazon. Et connectée aux réseaux de fibres optiques transmanche et transatlantique, Amiens est de plus en plus en pointe dans les activités de télévente : Bank Orange ouvre prochainement un 5ème plateau de plus de cinq cents postes. Pèse encore le récent regroupement de toutes les activités d’un CHU d’exception et, corollaire majeur, l’essor des établissements privés qui le dédouble.
Le bilan des sortant.e.s est pourtant détestable sur ce qui est la colonne vertébrale du bassin de vie : l’agro-industrie, la chimie végétale, la pétrochimie et le façonnage métallurgique. La Communauté d’agglomération, loin de tirer les enseignements de Lubrizol, vient de délivrer un permis de construire qui contrevient totalement à la préservation de cette excellence industrielle : à l’emplacement de l’ex-usine Goodyear, ce permis autorise l’entreposage de produits inflammables or ses 28 hectares ne sont qu’à un kilomètre de distance de deux usines très performantes, celle de l’américain Procter&Gamble et celle du japonais Ajinomoto.
Le 28 mai prochain, le prononcé de la condamnation de Goodyear pour licenciement sans cause économique ne manquera donc pas d’ouvrir le procès de la délivrance de ce permis de construire. En fait, l’exécutif amiénois sortant et les hauts fonctionnaires d’Etat ont en partage de gérer fiasco sur fiasco face à Goodyear et face à la multinationale du gros électro-ménager Whirlpool. N’est-il pas incroyable que Gest-Fouré s’adossent en comité de suivi Whirlpool à Pannier-Runacher qui, au nom de Bercy, délie la multinationale de ses obligations de PSE pour les transférer à l’exécutif régional ?
Le défaut de discipline de la nouvelle droite
LRM L’étude de l’IFOP chiffre de 31 à 37% les intentions de vote pour la coalition sortante LR/UDI renforcée par LRM. Et la rédaction du Courrier Picard souligne que cela représente une perte de 10 points en six ans. L’IFOP décèle un plébiscite pour la dissidence solitaire de l’adjoint au commerce qui atteindrait le deuxième score dans les listes de droite testées, en résonnance avec trois années de récriminations commerçantes tous azimuts contre l’ouverture de Shopping travaux et des travaux menés sans ménagement des usagers et des habitants. Facteur encore du recul de l’union de la droite chiffré par l’IFOP : deux dissidences LRM bravent l’adoubement présidentiel de l’exécutif local sortant. L’IFOP les voit approcher 10% pour peu qu’elles fassent cause commune.
La liste citoyenne incluant 8 partis polarise la scène électorale
La liste de gauche elle est évaluée à 21, 24 ou 27%, une fourchette sujette à caution en l’absence de publication des taux de refus essuyés par les enquêteurs. La liste gremetzienne labellisée Amiens Insoumise friserait elle 5%, une prudence de l’institut qui ne fait que reconduire là le score de 8% que l’Aube Nouvelle avait atteint le 23 mars 2014.
A gauche donc, l’étape décisive de la confrontation électorale s’engage. Dans les raisons d’agir qui s’imposent en ce début de campagne, citons les deux friches commerciales qui pèsent lourdement sur le quotidien d’Amiens Nord et d’Amiens sud-ouest : elles résultent de l’affrontement local d’Auchan et de Carrefour il y a dix ans, un affrontement qui est entré dans une nouvelle phase. S’impose également de s’opposer à la SA HLM adossée à la Chambre de commerce : elle a entrepris de vider des cages d’escalier de la manière la plus détestable sur le grand ensemble de 7000 habitant.e.s qu’elle gère seule à 6 kilomètres du centre-ville. Son objectif est de contraindre l’ANRU à une deuxième grosse opération de démolition et de contraindre au départ des ménages que son conseil d’administration juge indésirables (familles monoparentales, salarié.e.s retraité.e.s etc).
De fait encore l’intérim étant une clé centrale pour les employeurs des industries comme des services, s’impose d’adapter les services, tarifs et horaires urbains pour tenir compte des particularités d’intermittence de temps de travail et de revenus de ces milliers de femmes et d’hommes. Lever les doutes sur l’utilité d’investir collectivement le politique est donc le chantier maintenant ouvert à Amiens. Il s’agit pour reprendre la formule d’Evelyne Becker de faire de ce moment de confrontation électorale un moment « d’émergences citoyennes », tant il est vrai que seule l’intervention des intéressé.e.s peut changer le quotidien.
Les faux pas à répétition des sortants
Au soir du premier tour de l’élection municipale de 2008, le système local RPR-UDF vieux de vingt ans s’était effondré. Amiens c’est l’tien est en capacité, en dépit des rustines élyséennes, de parvenir à un résultat identique tant l’affairisme des sortants a créé des fissures dans ce qui peut encore apparaître comme une forteresse. Ainsi les comités de quartier installés il y a trente ans par Robien ont cessé d’être représentatifs des droites et des quartiers : courroies de transmission, elles transmettent dans le vide. Également mise en place en 1989, la cohorte de quelques dizaines de hauts fonctionnaires grassement rémunérés pour cornaquer les services ne gère plus que l’immobilisme quand elle ne passe pas à la trappe la remarquable technicité tissée sur plusieurs décennies par des services majeurs comme la voirie.
Et si les propriétaires fonciers et promoteurs ont obtenu la mise à l’écart de l’agence d’urbanisme, c’est un maillon essentiel aux relations avec les ministères et avec l’exécutif régional etc. qui fait cruellement défaut désormais. Un cycle urbain s’achève à Amiens, rendant nécessaire de modérer l’inflation de studios au sud-ouest, à proximité du pôle santé et d’arrêter de dilapider du très bon foncier d’activités dans le voisinage des échangeurs, de la gare centrale et dans les deux zones industrielles de 1946 et de 1958 : c’est toute la cohérence d’une armature urbaine remarquée et remarquable qui vacille aujourd’hui.
Conclusion
L’étude de l’IFOP donne la maire UDI réélue avec l’alliance LRM et LR : voilà un formatage de la confrontation électorale à enterrer sans fleur ni couronne. Avec une borne annoncée d’entrée de jeu : faute d’ouverture de la liste macroniste officielle, les dissidents LRM ne manqueront pas de tendre la main à la gauche, avant et après le 15 mars. Une offre à décliner en toutes circonstances. L’ adversaire de mon adversaire est très rarement mon ami.
Eugène Bégoc
(1) Picardie debout, PC, LFI, EELV, Ensemble!, PS, Génération.s, Place Publique : en juin 2017, la députée vallsiste sortante et son suppléant de 2012 rallié à LRM avaient été battus par cet axe de forces dont la fédération socialiste, frondeuse, était sortie au tout dernier moment. François Ruffin devenait député au terme d’une campagne fournie : oscar du documentaire pour Merci patron, présence marquée aux côtés des Whirlpool, renouvellement des pratiques de campagne à Flixecourt, Abbeville et Amiens etc. Picardie debout ! est née de cette campagne.
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