mercredi 11 novembre 2020

L'autogestion, un impératif pour la démocratie. Un livre de Gilbert Dalgalian


Notre camarade Gilbert Dalgalian vient de publier aux Editions l'Harmattan "L'autogestion : un impératif pour la démocratie". Une lecture utile, nécessaire même, pour celles et ceux qui, comme nous, considère que l'actualité de l'autogestion n'a jamais été aussi importante. 

En guise de "mise en bouche" ; nous publions ci-dessous la préface et la postface de Bruno Della Sudda, ainsi qu'une intéressante note de lecture rédigée par Didier Epsztajn sur son blog entreleslignesentrelesmots. 

Préface de la réédition

 

TROIS PAS DE PLUS DANS L'AGONIE

 

Huit ans se sont écoulés depuis la première édition. Pourquoi l'actualiser ? Pourquoi rééditer ce livre ?

 

Quelques passages ont perdu en actualité : ils disparaissent. Mais le pronostic se confirme et s'aggrave. Les trois dérives majeures de notre civilisation ont pris en une décennie une ampleur prévisible. Tous les feux sont au rouge : la destruction de l'environnement et du climat ; l'impasse d'un capitalisme en peine de nouvelles expansions, dont le seul horizon est de s'attaquer aux services publics, aux retraites et au niveau de vie ; enfin et surtout – et c'est là le verrou qui bloque tout changement – la perte de démocratie.

La délégation de pouvoirs sans contrôle aboutit à une démission citoyenne largement ressentie. Les phénomènes de violence eux-mêmes sont souvent en proportion de la perte de démocratie.

Pourtant l'espoir d'un sursaut collectif n'était pas absent de ce premier texte aux antipodes de tout fatalisme (cf. collapsologues et autres pessimistes). Certains vont jusqu'à imaginer le monde d'après son effondrement ; c'est exactement le contraire qu'il faut faire, modifier le système aujourd'hui. Mais le système a son verrou. Une partie, bientôt majoritaire (?) des opinions publiques, les jeunes en tête, semble résolue à réagir et à imposer des solutions de rebond. Ce n'est pas gagné. Leurs réactions se limitent pour l'instant à la revendication et à la rébellion.

Pour l'heure la prise de conscience ne fait pas sauter le verrou : cette fausse démocratie qui tourne le dos aux réorientations indispensables, notamment dans une économie asservie à la finance. Les mobilisations puissantes et persistantes en Algérie, à Hong-Kong, au Chili, en Irak, au Liban, ainsi qu'avec les Gilets jaunes sont partout des réponses à ce verrou.

L'indifférence des pouvoirs aux menaces parfaitement identifiées poussera bientôt les citoyens et les citoyennes à tenter de prendre les choses en mains, à dépasser la démocratie dite représentative ; à imposer des lois contre les dérives dues à la finance et à investir à tous les niveaux dans la protection des écosystèmes. Cela a aussi pour corollaire une réduction drastique des inégalités : "Les PDG du CAC 40 ont gagné en moyenne 277 fois le smic en 2018" (Le Monde du 8. 11. 2019).

 Comment justifier un empire de 100 milliards de dollars (Bernard Arnault), alors qu'un milliard d'humains vit au bord de la famine ? Si l'homme lui-même n'est pas en cause, il faut alors s'interroger sur un système qui permet cette aberration criminelle.

'Inégalités' : un joli mot pour dire la misère des uns et l'exubérante accumulation par quelques autres. A ce degré de profondeur et d'extension planétaire, le système inégalitaire est criminel ainsi qu'une impasse politique. Il faudra bien réorienter la finance et redistribuer pour réunir les moyens de sauver la vie sur la planète. (cf. "Virer les actionnaires. Pourquoi et comment s'en passer", Benoît Borritz, Syllepse, Paris, 2020)).

Cela pourrait se passer sans violence si les décideurs – publics et privés – avaient le courage et la lucidité de s'imposer à eux-mêmes une moderne 'nuit du 4 août' (1789). Mais il ne faut pas trop compter sur une telle auto-abolition des privilèges. Il y aura des heurts, des résistances, des aveuglements, des sabotages et des répressions. La violence est le fruit du système.

On ne se débarrasse pas en quelques mois de deux cents ans d'idéologie du profit. Ni de la chimère du progrès sans discernement. Et surtout on ne peut pas espérer du capital qu'il renonce à ce qu'il est : concentration des richesses, inégalités abyssales, dévastations de la nature. La force des arguments – pour sauver l'environnement, la biodiversité et nos vies – pourrait suffire si les humains étaient toujours rationnels.

Or l'accumulation des boucheries et des génocides, la continuation partout de guerres et de répressions nous rappellent le potentiel d'intoxication idéologique dont peuvent faire preuve les États. Parfois sans une réaction des peuples à hauteur des dégâts.

 

Djihadisme, néofascismes, xénophobies et racismes multiples, négationnismes -- sans oublier cette montée effrayante du créationnisme aux USA -- en disent long sur les capacités d'auto-intoxication des humains. C'est avec les mêmes neurones que se construisent les savoirs et les inepties, la science et la superstition, le vrai et le faux. Ce qui les oppose, c'est le rapport au réel.

 

Comment expliquer une aussi longue abdication des peuples face aux servitudes ? Quel avenir pour cette servitude acceptée – combinaison d'ignorances et de dressages – qui ne garantit plus la survie ? Rappelons qu'un même cerveau est équipé pour ces aberrations, mais aussi pour apprendre, anticiper des périls et des parades, inventer un avenir. Reprenons d'abord l'inventaire des catastrophes cumulées.

1. La destruction de notre environnement :

 

La destruction systémique de notre environnement est évidemment la plus imminente des menaces. Parce qu'elle englobe tous les fondements de la vie : le climat, les océans, les sols, les glaciers, les forêts, les calottes polaires, les courants marins, l'air, l'eau, la faune et la flore, le régime des pluies et, par voie de conséquence, nos conditions de vie et de survie.

Ces menaces cumulées interagissent et provoquent des enchaînements catastrophiques récurrents : tsunamis (à l'origine de Fukushima), submersions, sécheresses et incendies gigantesques, destructions de la biosphère, absence de solution durable pour les déchets nucléaires et industriels, canicules et pénuries, et, du même coup, des famines et des conflits armés sans fin, sources d'une partie des migrations.

En outre, ces catastrophes font système. Il n'est plus nécessaire d'être un grand expert pour établir le lien entre la fonte des glaces polaires, le réchauffement global et les dévastations par le feu de la Californie à l'Amazonie, de la Sibérie à l'Australie. On peut également craindre le pire si le permafrost sibérien se met à dégeler et libère d'énormes quantités de gaz carbonique mettant alors toute vie en danger.

Quelques grands noms, au demeurant très lucides sur la gravité des menaces et sur les maux du capitalisme, s'illusionnent pourtant sur la possibilité "d'aller vers un capitalisme progressiste, avec une fiscalité plus juste, des investissements renforcés [sur l'environnement] …. Cela exige de renforcer le rôle de l'État dans le pilotage social et dans les régulations permettant de mieux encadrer la finance et les marchés" (Joseph Stiglitz, Le Monde du 25.09. 2019, pages Économie et Entreprise).

 

Or une telle régulation signifierait à la fois mobiliser l'argent des riches, réorienter l'épargne et recourir à un État fort et autoritaire, capable d'imposer – par la force si nécessaire – les solutions de 'pilotage social' et 'd'encadrement des marchés'. En faisant l'économie d'une implication des peuples ….

Certes les ressources financières sont là, mais un État, si fort soit-il, n'a pas les moyens de son action écologique, s'il n'a pas une forte adhésion populaire. En outre, un programme de 'Capitalisme vert' sans une forte mobilisation démocratique n'aurait pas non plus le soutien des financiers, en général très peu motivés par le peu de 'retours sur investissements' sur l'environnement, sur les énergies renouvelables, le 'bas carbone' et la sobriété.

La finance se nourrit toujours du productivisme et ne sait rien faire d'autre. 'Capitalisme vert' n'est rien d'autre qu'un oxymore.

C'est ainsi que les programmes du Green New Deal sont voués à l'enlisement et à l'échec. Le Green New Deal pour l'Europe est truffé des meilleures intentions : mobiliser les ressources publiques pour maintenir le réchauffement dans la limite de 1,5° ; s'appuyer sur des concertations citoyennes et éviter les décisions prises au sommet ; ne pas se contenter de préserver l'environnement, mais viser un avenir qui préserve la qualité de vie, tourner le dos aux critères quantitatifs de croissance.

Or si les intentions sont bonnes, les actes ne suivent pas : il faut -- pour inverser les courbes de la destruction – investir sur le remplacement des énergies, des processus et des finalités de production, ainsi que sur d'autres moyens de transport et de chauffage des logements. Cela suppose entre 25 et 50 milliards d'Euros par an pour un pays comme la France, sommes qui relèvent des finances publiques et se heurtent au sacro-saint respect de la dette. Les financiers et leurs relais politiques ne renonceront jamais au remboursement de la dette si un pouvoir politique nouveau ne les y contraint pas. Les obstacles sont systémiques, la solution ne peut être qu'un changement du système, notamment financier.

D'ailleurs il suffit de comparer les montants respectifs du 'Fonds vert pour le climat' aux budgets militaires partout pour saisir l'impossibilité d'un capitalisme vert. La réorientation des finances publiques sur une planification écologique sérieuse signifierait une démilitarisation générale et une entrée dans une ère de paix.

Une Convention citoyenne pour le climat – limitée à 150 citoyens et citoyennes tiré.es au sort – a entamé une réflexion collective, première initiation à une démocratie active. Certes d'un côté cette Convention citoyenne est une avancée : prise de conscience des périls, recherche de solutions et surtout des préconisations qui seront mises en débat au Parlement. Mais de l'autre côté, apparaît la minute de vérité : la sauvegarde de l'environnement ne va-t-elle pas se heurter au double mur de la politique financière et de l'indifférence des parlements élus sur d'autres programmes. La COP 25 qui accouche d'une souris en est la fatale illustration.

Bref, les préconisations – sans une forte mobilisation populaire – risquent un bel enterrement : par le capital et par une fausse démocratie qui ne représente plus personne. Ce qui nous conduit au deuxième volet des catastrophes.

2. L'agonie amorcée du capitalisme :

Ce fut certainement un titre téméraire de la 1ère édition de ce texte 'Capitalisme à l'agonie', alors qu'en 2012 une fin programmée du Capital n'était pas évidente aux yeux de la plupart. L'agonie n'était pas perceptible et fut donc critiquée. Aujourd'hui tous les voyants sont au rouge. Le capitalisme est dans une impasse, mais il n'en voit pas encore le bout. Récapitulons.

La mondialisation a un visage méconnu : l'insécurité alimentaire qui a fait déjà quelques centaines de millions de morts en quinze ans, dans les pays les plus pauvres et les moins développés. Une sorte de génocide à bas bruit en somme. Et qui dure et va durer.

 La croissance et le progrès sans fin sont désormais incompatibles avec une authentique politique écologique efficace contre les dérèglements climatiques. Même les avancées techniques ne sont pas à elles seules la solution. Le capitalisme a toujours été capable d'avancées technologiques. Mais cette formidable machine à produire aura été aussi la plus formidable machine à détruire. Son horizon n'est pas de produire – ce n'est qu'un moyen – mais de faire du profit pour une minorité.

Même la mal nommée I. A. (intelligence artificielle) – qui n'est rien d'autre qu'un logiciel amélioré – ne résoudra pas la question du choix de société, des options anthropologiques et philosophiques requises pour définir notre futur. Révélateur est le programme Aladdin (I. A.) conçu pour l'espionnage économique à très grande échelle afin d'optimiser les investissements financiers. "Numérique sans éthique n'est que ruine de l'humanité" (Jérôme Béranger, Dominique Pon, Stéphane Oustric, Le Monde du 29.01.2020)

Tel a été le double visage de l'essor du capital et donc du sens attribué au progrès technique (et scientifique parfois). Les scandales de l'usine AZF, du Mediator et du Chloredécone, de Lubrizol et des 250 sites Seveso, implantés parfois en milieu urbain, illustrent ce double visage du progrès capitaliste.

Quels champs d'expansion durable subsistent-ils à l'avenir pour un capital cerné à la fois par les limites de la planète, la saturation des marchés et les révoltes populaires ? Sa seule issue est de s'attaquer au niveau de vie partout. En commençant par rogner les salaires et les retraites, au risque d'un chômage encore plus dévastateur. Stratégie politique qui n'a d'autre finalité que de protéger les patrimoines des milliardaires (IFI) et depuis 2018 le PFU (Prélèvement forfaitaire unique) pour favoriser fiscalement les revenus financiers.

C'est là qu'intervient un premier verrou : le cœur du capitalisme financier, ce sont à l'échelle mondiale les compagnies pétrolières ; elles détiennent les ressources naturelles, le capital, les circuits de distribution et les moyens de faire pression sur les États, qui de leur côté orientent leurs politiques internationales sur la sauvegarde de leur accès au pétrole. D'où leurs engagements militaires parfois (Koweït, Irak). C'est aussi, entre autres, pour garantir l'accès au pétrole que les États-Unis ont trahi les Kurdes et qu'Erdogan envoie ses forces armées en Lybie.

Ce sont ces 'pétroliers' – le cœur du Capital – qui paient les campagnes électorales des candidats indifférents au changement climatique et hostiles aux lourds investissements nécessaires sur la préservation de l'environnement. Notamment aux États-Unis, où ils font l'élection présidentielle une fois sur deux.

Non seulement ils disposent de puissants lobbies, mais surtout ils ont conditionné nos vies, nos mobilités, nos habitudes et même certains de nos fantasmes automobiles. A ce niveau de mainmise sur des biens communs, on peut dire que la propriété privée, c'est le vol : une kleptocratie 'légale' inhérente au libéralisme.

En outre, les publicités des firmes automobiles, très liées aux pétroliers, foisonnent sur nos médias, déterminent nos décisions d'achat, empêchent de réfléchir aux solutions d'avenir durables.

Avec de tels conditionnements, généralisés par notre civilisation consumériste, pense-t-on pouvoir contrarier les projets des pétroliers et financiers sans s'appuyer sur une mobilisation large ? Mieux encore : en ne se fondant pas sur une responsabilité accrue des citoyens et citoyennes à tous les niveaux … ?

Quel homme fort, quel politicien saurait imposer à des millions de femmes et d'hommes les changements, les comportements, les engagements personnels, les métamorphoses qu'une sortie du capitalisme et une réorientation sur une écologie authentique exigent de tous et de toutes ?

En outre, à supposer que des gouvernements se décident pour des réformes radicales en faveur de l'écologie et des services publics, où prendraient-ils les fonds nécessaires ? Il leur faudrait redistribuer. C'est-à-dire s'attaquer aux inégalités et reprendre en main la finance privée. Tout le contraire de leur credo libéral !

 

Ainsi, que l'on s'attaque aux urgences climatiques ou aux structures économiques qui les ont provoquées, on se retrouve devant un second verrou : l'absence d'une vraie démocratie.

3. Une démocratie réduite à la délégation permanente :

Qu'on la considère dans ses applications ou dans son principe, la démocratie représentative est vidée de son contenu : elle représente trop peu, trop mal et parfois pas du tout. A bien des niveaux. Cela donne à l'État des pouvoirs exorbitants. Quelques exemples. Le Maire de Langouët en Bretagne décide de tenir compte des intérêts de ses mandants en interdisant le glyphosate près des habitations ? Voilà que le Tribunal administratif, à la demande du Préfet, casse l'arrêté du Maire et ignore la volonté des habitants directement concernés.

Le GIEC (Groupe d'experts sur l'évolution du climat) publie un rapport alarmant ? Les députés ne l'ont pas lu, mais se permettent d'ironiser sur le jeune âge de Greta Thunberg et son incompétence !

Dans les hôpitaux, les écoles, les transports et les services, les décideurs ne sont jamais ceux qui seront chargés de l'exécution des décisions venues de très haut. Cherchez où est l'incompétence ?

Une délégation de pouvoirs sans mandats impératifs ni contrôle est une mise à l'écart du peuple. C'est l'organisation minutieuse de la démission citoyenne. Elle a fini au cours des décennies par mettre l'État au-dessus de la société. Il n'y aura aucune avancée démocratique si l'on ne parvient pas à remettre la société au-dessus de l'État. Le pouvoir politique doit servir la société dans son ensemble et cesser de se servir d'elle en la manipulant.

Manipulation, un trop gros mot ? En fait non, car l'élu – trop souvent – travaille à sa réélection et à peaufiner son image auprès du public, plutôt que de réaliser le programme annoncé.

Trois exemples sont dans nos mémoires. Le Traité de Lisbonne qui tourne le dos aux résultats du referendum de 2005 est une forfaiture contre l'esprit de la démocratie. Le Président Hollande promet de juguler la finance ? On l'a attendu longtemps.

 Madame Le Pen, de son côté, travaille à son image et à la dédiabolisation de son parti plus qu'à développer un programme de gouvernement, sinon celui de combattre une immigration qui a fortement participé à la reconstruction du pays et continue d'assurer les tâches et les métiers les plus ingrats et les plus mal payés.

Son parti n'a qu'un seul point dans son programme : la stigmatisation de boucs émissaires, les migrants ; tout le reste n'est qu'habillage cosmétique en fonction de la météo politique.

'L'État contre la société' ? : non, ce n'est pas une hyperbole. Cela se vérifie jour après jour dans les moindres détails : une fête de la musique à Nantes se prolonge au-delà de quatre heures du matin ? Les forces de "l'ordre" chargent. A la bâille les fêtards !

Manifestation des Gilets jaunes à Montpellier : la Ligue des droits de l'homme a délégué sur place des membres de l'Observatoire des pratiques policières. Ils portent des gilets d'identification bien repérables. Au moment de la charge, ils s'éloignent des lieux. Les policiers se ruent sur eux, ainsi que sur un observateur et un journaliste étranger.

Les bavures depuis 2018 ont entraîné un nombre sans précédent de blessés et d'éborgnés, parfois sans aucun lien avec le maintien de l'ordre (voir le document diffusé sur BFM-TV le 9. 11. 2019 entre 19h30 et 20 heures, montrant une charge policière sans sommation). Depuis 2005 et la révolte des banlieues, on a pu dénombrer beaucoup de morts dus à la répression (Adama Traoré, 1er mai 2018, Sievens) et des centaines de blessés (Gilets jaunes, manifestants contre la retraite à points). La répression est systémique.

Les procédures de surveillance des citoyens et des citoyennes se multiplient (reconnaissance faciale et autres) et l'État -- débordé -- a commencé à confier ces tâches à des firmes privées. Tabasser des jeunes en fête ou des manifestants pacifiques : quoi de plus logique si un État autoritaire se met au-dessus de la société ?

Il faut souligner que la dérive étatiste a fini par marquer les mentalités. Au point que ni les médias, ni le public ne contestent la dominance exclusive de l'État sur tous les sujets et la résignation/dépendance qui s'ensuit. Avec pour résultat une responsabilité incontrôlée des sommets de l'État sur les politiques publiques et, lorsque celles-ci sont contestées dans la rue ou par la grève, des répressions violentes d'un pouvoir omnipotent.

 

Le diagnostic de la 1ère édition se confirme donc : nous vivons sous un régime libéral-répressif. Plus le libéralisme montre ses nuisances, plus il doit se protéger par une répression accrue : les LBD (Lanceurs de balles de défense) sont devenus le symbole de notre régime politique.

Pourtant les casseurs qui s'infiltrent dans les mouvements sociaux, eux aussi, tournent le dos à une stratégie de prise en mains de la politique par les citoyens : eux aussi se substituent au peuple.

Or la France n'est pas seule dans cette dérive de la démocratie. La tendance s'est mondialisée avec la mondialisation des marchés et la précarisation des peuples. Sous des formes différentes, ce sont les mêmes révoltes qui sont à l'œuvre au Chili, à Hong-Kong, en Algérie, au Liban, en Irak. Et … avec les Gilets Jaunes. Nous venons d'entrer dans la mondialisation-boomerang.

Résumons cet enchaînement fatal : les humains, le vivant, notre biotope attendent un sauvetage et un horizon de survie ; mais le système économique a d'autres finalités, il s'est verrouillé pour se perpétuer ; le sursaut ne peut venir que de la politique, à condition que les peuples décident de ce qui est bien pour eux et surtout de ce à quoi ils veulent participer, ce dans quoi ils veulent s'investir.

Sans l'adhésion populaire pas de sursaut planétaire ! L'extrême confusion du terme 'populisme' ne mène à rien : il ramasse dans un même concept flou des forces de retour en arrière (fascismes et totalitarismes) et des mouvements éminemment démocratiques.

Il dénote surtout une large incompréhension, trop souvent relayée par les médias, quant à la situation cruciale où se trouvent les peuples : à un tournant de la vie humaine et de toute civilisation. Les verrous doivent sauter ! Vite !

Mais pour notre futur qui dépend des solutions de survie, la seule sobriété individuelle ne suffira pas. Il faudra se résoudre à modifier nos paramètres et nos habitudes. Cela va au-delà des adaptations, de ces ajustements qui ne changent rien au système et ne servent qu'à le perpétuer.

Il faudra bien se faire à l'idée de dépasser le confort, en s'attaquant d'abord au confort des idées reçues – et depuis longtemps caduques -- sur la société, l'économie, la démocratie au rabais et sur notre soumission spontanée aux décisions venues d'en-haut sans concertation citoyenne.

La liste est longue des changements incontournables si les humains osent démonter les engrenages de l'autodestruction.

4. Changer notre rapport à la nature :

"Rien n'échappe plus aux dégâts causés par l'illusion scientiste et le triomphe du gigantisme industriel, agricole, consumériste". Ce diagnostic s'est hélas confirmé depuis la 1ère édition. Nous sommes les premières – mais pas les seules – victimes de ce mirage anthropocentriste : dominer, maîtriser, exploiter la nature !

L'agenda de la survie sera tout le contraire : apprendre de la nature, protéger l'environnement, s'harmoniser avec ses lois et ses contraintes, pour ne plus subir les effets en retour de nos pollutions et de nos destructions aveugles. Les peuples premiers, depuis la préhistoire, pratiquaient de facto cette hygiène de vie en limitant la prédation et la consommation à leurs stricts besoins. Mieux : ils avaient construit leurs rites, leurs mythes et leurs croyances sur une spiritualisation de la nature (totems, esprits, animismes). Nécessité pour ces lointains ancêtres d'interpréter le monde au plus près de l'expérience dans un environnement difficile et mouvant, sans le détruire, ni l'épuiser.

Pour ne pas tomber dans l'anachronisme qui prétendrait ignorer l'état actuel des sciences et des techniques, on doit apprendre à s'en servir non pour les mythifier, mais pour redonner de la valeur et de l'équilibre à nos milieux de vie, aux animaux, aux plantes, aux forêts et à la préservation des glaciers, des mers, des paysages, de la biodiversité et pour mieux s'adapter aux régulations naturelles.

Ces régulations parfois cataclysmiques, peuvent nous mettre à dures épreuves (séismes, éruptions volcaniques, avalanches, tsunamis, crues), mais ce sont des nuisances moins coûteuses comparées aux destructions généralisées par l'illusion scientiste : Tchernobyl, Fukushima, Mururoa et ailleurs ces centaines de millions de sous-alimentés ; et en face ces milliards investis dans les armements par les pays les plus riches et quelques autres.

5. Changer nos priorités économiques :

Quelles sont les caractéristiques de la pensée économique dominante ? Se sont-elles aggravées depuis 2012 ? Rappelons-en les dogmes et les constantes : 1. "Les marchés, notamment financiers, régulent tout de façon optimale" ; 2. "L'État peut donc réduire le périmètre de ses interventions au strict minimum" ; 3. "L'ensemble 'État et marchés' n'a qu'un seul objectif, la croissance, la production, l'essor continu du PIB et – comme résultante – l'enrichissement des actionnaires, vus comme les vrais créateurs de richesses" ; 4. Enfin, "pour réaliser ces objectifs, recourir à la dette (si nécessaire) et faire supporter celle-ci aux citoyens" – qu'on n'a jamais consultés – et qu'"il faudra mettre à contribution (impôts, bas salaires, diminution des retraites, économies sur les services publics) pour désendetter l'État".

C'est ainsi que le mirage libéral mène tout droit à la misère généralisée. Et en moins d'une décennie ses effets ont dépassé les espoirs les plus fous des économistes libéraux. Le cas le plus spectaculaire – parce qu'il appartient au cercle des pays de l'Union européenne – est celui de la Grèce, endettée, essorée, exsangue. Reprenons ces dogmes un par un et voyons dans quel sens on pourrait ou devrait les changer. Commençons dans l'ordre inverse.

La dette : envers qui ? qui l'a décidée ? à qui est-elle profitable ? L'État s'endette auprès de grandes banques, non auprès de la BCE ; ce faisant, il enrichit les financiers, parfois à des taux élevés, tandis que la BCE, à l'occasion, renfloue directement et à bas prix ces grands banques. Un tour de passe-passe bien maîtrisé … .

 L'État n'a consulté personne, pas même les Parlements, avant de contracter ces dettes et il continue de les rembourser dans une gestion relativement opaque. Les peuples paieront pour ce qu'ils n'ont jamais eu à décider et qui leur est fatal.

La dette est injuste, odieuse : du vol, à ce jour légal ! Elle doit être effacée. Cela a été fait plusieurs fois dans l'histoire (cf. la 1ère édition). Même la dette privée est à risque : elle favorise uniquement la spéculation financière.

La croissance ? Un programme multi-défauts ! Croissance et PIB recouvrent des productions utiles et d'autres inutiles, des réalisations qui profitent aux populations et à l'environnement et d'autres qui détruisent, empoisonnent et mettent en danger.

Croissance et production n'ont pas été ciblés sur des besoins et des nécessités (la demande), mais sur des espoirs de profits, de marchés substantiels, de concentrations et de fusions, en vue de rémunérer des actionnaires, de grossir la masse financière (politique de l'offre inutile). Une croissance sans critères qualitatifs est le moteur des inégalités abyssales de ce 21e siècle.

Le périmètre de l'État dans l'économie a toujours été variable ; nombreux sont les cas de relance par l'État (New deal de Roosevelt) ou de gestion directe par l'État (en France de 1945 à 1974 sous deux républiques) de nombreux secteurs et entreprises.

Le logiciel était alors différent : il privilégiait plutôt l'industrie que le tout-financier, il ménageait quelques avancées sociales et un relatif État-providence. Aujourd'hui l'État s'efforce de concentrer son budget sur ses seules fonctions régaliennes, au détriment du bien commun, de la santé, des transports, de l'éducation. Le logiciel a changé. Pour un temps … !

Une régulation optimale par le marché ? Ici nous arrivons au cœur d'une pensée religieuse, la foi dans l'impossible. Cette foi repose sur l'interprétation du mot 'régulation' : si celle-ci ne prend en compte que l'aptitude des marchés à laisser couler telle entreprise, à en permettre le rachat par d'autres, à faciliter les concentrations, la disparition des petits commerces et des petits paysans et pêcheurs, alors son efficacité est en effet optimale.

Mais que vaut une régulation qui désindustrialise les territoires, qui n'ajuste pas la production et les services aux besoins réels, qui produit du chômage, de la misère et du désespoir, une prolétarisation effrénée des couches moyennes, du sous-développement et des migrations massives partout ?

Cette régulation a mis la planète au fond du gouffre et, en maints endroits, à feu et à sang, surtout dans les régions du monde les plus déshéritées. Cette soumission servile aux lois du marché est également la cause profonde de l'incapacité de l'Union européenne à surmonter les concurrences stériles et à se doter de politiques sociales, fiscales et budgétaires communes.

Le capital a également perverti le travail, la production, et défiguré les producteurs et les productrices. En les expropriant de tout : des moyens de production qui ne leur appartiennent pas ; des processus de fabrication qu'ils ne décident pas ; et des finalités mêmes de leur travail, car ils et elles n'ont aucune part dans le choix du produit final (armes, glyphosate, Mediator, néocorticoïdes, etc.).

6. Changer notre rapport à l'État :

  "Vote pour moi et laisse-moi faire » : Les remèdes à cette démission généralisée ont été détaillés dans la première édition. Mais la paralysie a pris une dimension telle que la réforme des institutions n'est qu'une partie de la solution. Quelques contre-pouvoirs et un peu de démocratie participative ne suffiront pas.

 

L'essentiel tient à la perception que nous avons de notre rapport à l'État. Certes d'un côté l'État est un cadre de cohésion collective et d'organisation nécessaire en vue du bien commun, ce qu'on appelle la République. Mais de l'autre il monopolise – depuis longtemps – l'initiative, la gestion, les arbitrages, et pratique la répression des dissidents et la marginalisation des minorités.

 

Ce rapport à l'État, nous l'avons accepté ou subi avec tous ses effets négatifs, en particulier sur l'exercice de la citoyenneté et sur la démocratie. D'abord il donne aux élus beaucoup plus qu'un rôle de représentants : une fois installés dans leurs fauteuils, ils décident, non en fonction du programme annoncé, mais selon les besoins d'une carrière, d'un parti, ou d'intérêts privés obscurs. Les cas d'abus ont été nombreux depuis 2012. Y compris aux plus hauts niveaux, on s'en souvient ….

 

Ensuite, aucun contrôle, aucun rappel au programme n'est prévu dans nos lois. Enfin, la délégation de pouvoirs pousse au cumul des mandats, à la professionnalisation des élus et, en fin de compte, à une sorte de 'drogue du politicien'. Quant aux élus dévoués à leur mandat – et il y en a – eux aussi sont victimes d'un système qui les dépasse et finit par rendre leur action stérile, inopérante.

 

Où se retrouvent l'électeur et l'électrice dans cette situation d'expropriation ? Dans l'abstention et, plus récemment sur les ronds-points et en gilets jaunes.

 

Une troisième voie s'ouvre encore à eux, grosse de déceptions : le vote utile. Je vote pour M. dont je n'approuve pas le programme, uniquement pour barrer la route à P. que je déteste. C'est ainsi qu'en barrant la route à P., j'ai à mon insu ouvert la voie à une réforme des retraites que je désapprouve.

 

Où est passée ma voix dans ce tour d'illusionniste qu'on appelle 'vote utile' ? Disparue, ignorée, muselée par cette démission doublée d'une supercherie : le Président est majoritaire un jour de 2017, ensuite majoritairement contesté pendant cinq ans. C'est ainsi que l'État se met au-dessus des citoyens, au-dessus du peuple et ne le représente plus.

 

Le vote utile n'est utile qu'à celui qui en bénéficie. Quant à me représenter, le vote inutile est la voie – la voix -- la mieux verrouillée qui soit. La recentralisation dans les nouvelles grandes Régions a encore éloigné un peu plus les élus de leurs électeurs. L'État ne s'est pas régionalisé, il s'est seulement démultiplié et les Préfets y veillent.

 

Voici un trait révélateur de ce centralisme dans cet extrait du Rapport 'Culture' de Mme D. David au nom de la Commission des finances, de l'économie et du budget. Il s'agit de la répartition géographique des dépenses par région pour la culture : Paris se voit accorder 73% de ce budget et la Région Île-de-France (hors Paris) 11%, ce qui laisse aux 13 régions restantes un petit 16% à se répartir.

 

L'élu régional est assez largement un alibi et un relais des politiques décidées d'en-haut, de façon très centralisée. Et toujours celles-ci sont en adéquation avec ce logiciel : place aux marchés financiers, aux privatisations (Française des jeux, Aéroports de Paris et Toulouse, déjà la SNCF et EDF, etc.) et l'État ramené aux fonctions régaliennes : police, justice, défense, politique étrangère.

 

    Cependant c'est ce logiciel qui va être disqualifié : par les catastrophes climatiques, par les impasses et les révoltes auxquelles le capital financier nous a menés ; enfin par la prise de conscience plus vive qu'une autre République est possible et nécessaire : plus sociale, plus écologique, plus féministe et plus autogestionnaire.

 

7. Inventer une démocratie authentique :

 

    Une conscience nouvelle s'insinue dans les esprits : le système nous conduit tout droit vers ce robot-esclave, cet Homo Roboticus Servus, que je prédisais comme alternative fatale à un Sapiens solidaire et responsable. Partout le sursaut de la jeunesse, les mobilisations pour le climat, les services publics, les retraites, les conditions de travail et la démocratie sont autant de signes précurseurs des métamorphoses inévitables à venir.

 

   De ce point de vue la mobilisation de l'hiver 2020 contre une réforme des retraites imposée d'en-haut est emblématique d'un affrontement décisif : il s'agit ni plus ni moins de choisir entre un sommet de l'Etat qui décide seul et une société civile qui veut retrouver une place centrale dans les décisions. Si le gouvernement devait l'emporter dans ce bras de fer, il perdrait sur le fonds, car il apporterait aux yeux de tous la preuve que le système n'est ni démocratique, ni socialement juste, ni porteur d'avenir.

 

   Mais la route vers un autre monde sera tourmentée. En effet, plus notre civilisation est sophistiquée, plus les équilibres en sont fragiles et donc les solutions plus complexes. Celles-ci exigeront consensus et participation, si on veut reconstruire un équilibre écologique efficace et bien accepté par une grande majorité de citoyens et citoyennes.

 

    Des compromis seront à trouver entre des mesures drastiques de sauvetage et une juste limite aux sacrifices à consentir. Le progrès viendra plus souvent de la catastrophe suivie de résiliences que de nos anticipations lucides[1]. Mais la résilience n'a d'effet que si elle est collective, portée par les peuples eux-mêmes. Le chacun pour soi n'est pas la solution lorsqu'il s'agit de la planète entière.

 

    La désobéissance civile ne suffira pas. Elle est indispensable dans des situations de défense des acquis sociaux – en fait des conquis de haute lutte -- et de l'environnement. Mais quand il s'agit de résoudre les problèmes de fond, il faudra bien apprendre à gérer, à autogérer.

 

   Car l'État, on l'a vu, réagit trop peu, trop tard et souvent dans la mauvaise direction. La société devra s'impliquer dans une voie de plus en plus autogestionnaire. Les médias, de leur côté, seraient bien inspirés, lorsqu'ils diffusent des fictions sur les dégâts de la crise climatique, de mettre davantage l'accent sur les solutions que sur l'horreur des cataclysmes. Veut-on tétaniser ou mobiliser ?

 

    Pourtant la confrontation sera assurément violente. Les régimes libéraux-répressifs ont tous les instruments pour se perpétuer : le pouvoir politique, la finance, les institutions, l'administration, les lois, les forces de l'ordre, un certain ordre. Leurs dirigeants auraient tout à perdre en cédant aux exigences des peuples et en répondant aux urgences climatiques. Ils se battront.

 

   Face à eux, les peuples ont déjà tout perdu : le niveau de vie, la sécurité environnementale et l'espoir d'une vie meilleure pour leurs enfants. Eux n'ont rien à perdre, ils sont le dos au mur. Eux aussi se battront avec l'énergie du désespoir. Les premiers signes sont déjà là. Les premières victimes aussi. Partout sur la planète.

             

    Quels rythmes est-on aujourd'hui en mesure de prévoir pour un changement civilisationnel de cette ampleur ? On sait que l'histoire des civilisations se fait sur des temps longs. Mais les échéances de ce 21e siècle vont donner un coup d'accélérateur brutal : la destruction de nos milieux naturels, combinée à l'incapacité des politiques libérales à faire les choix économiques et technologiques appropriés ne laisse aucun espace-temps à l'histoire lente.

 

   Tandis que notre présent donne à l'histoire une accélération qui englobe toutes les sphères de la vie, la pesanteur des dogmes libéraux lui oppose encore pour quelques temps sa force d'inertie. Celle-ci se nourrit également d'une paralysie de l'esprit, une conscience collective scindée, une double pensée en quelque sorte. On comprend les impasses et les aberrations, mais on continue à s'accommoder de l'existant. La finance peut poursuivre ses ravages.

 

   Mais pour combien de temps ? Après une longue adolescence de type mercantile et conquérant, le capitalisme a connu une ère de maturité industrielle, impérialiste et guerrière. Voici venu l'âge de la sénilité financière, prédatrice et destructrice qui préfigure un gâtisme suicidaire du capitalisme. Ses jours sont comptés. Quand et comment prévoir l'issue fatale et salvatrice ?

 

  Certains prédisent un effondrement imminent. C'est ici que la prudence s'impose pour ne pas succomber à une paralysie générale. De quel effondrement s'agit-il ? S'il est question du système économique, oui l'effondrement est programmé : toutes les tentatives de relancer le capitalisme ne font que retarder un peu son autodestruction. Mais cet effondrement pourrait aussi être notre chance de sursaut. Il ne doit pas affecter nos équilibres écologiques, mais au contraire créer les conditions mêmes du retour à un équilibre relatif fondé sur l'adhésion populaire.

  L'environnement ne peut s'effondrer que si les peuples ne réagissent pas – ou trop tard – aux cataclysmes prévisibles, donc en partie évitables. La question – en forme de cours de vitesse – est désormais : comment mieux anticiper ? Comment prévenir ? Comment corriger ?

 

   Qui tranchera le nœud gordien ? Les peuples bien sûr, dans un effort solidaire et responsable pour inventer un monde différent. Du moins ces parties du peuple qui acceptent le principe de réalité, la sanction du réel. Anticiper cela revient-il à prophétiser ? Non, ma méthode a consisté à relier les faits, les événements, les rapports scientifiques (GIEC) avec les révoltes et les sursauts. A tracer la courbe – la synthèse – qui en résulte. Et à voir où cette courbe nous mène.

 

  Notre avenir tient exclusivement dans la capacité des peuples à se diriger hors des intoxications idéologiques de toutes sortes et à se confronter aux vrais problèmes. Comme l'exigent déjà massivement les jeunes.

 

     Un projet de société a été esquissé dans la première édition, mais la nouveauté réside en ceci : ce qui était une réflexion théorique est devenue désormais une actualité, une urgence, et commence à s'insinuer dans la conscience de beaucoup sous d'autres mots d'ordre, d'autres mobilisations, dans des luttes sectorielles et en fait convergentes. Pour une vraie démocratie ! Seul chemin vers un nouvel humanisme. L'utopie d'hier est devenue l'urgence d'aujourd'hui.

 

    Relire le texte de 1012 (ci-dessous allégé) est un moyen de prendre conscience de nos profondes capacités de résilience, d'auto-transformation et de créativité individuelle et collective, inscrites au plus profond de notre patrimoine génétique et neuronal.

 

                                                             Janvier 2020

                          [Note rédigée deux mois avant la pandémie]



[1]Note ajoutée le 11 avril 2020 : Que « le progrès [vienne] de la catastrophe suivie de résiliences », voilà qui est entrain de trouver une illustration – douloureuse et éclatante à la fois – de notre difficulté (anthropologique ?) à anticiper. Une course contre la montre s’engage désormais entre la destruction encours de nos milieux de vie et nos capacités à réorienter la santé, l’éducation, les transports, l’économie et les ressources financières, et à ces fins reprendre en mains un exercice véritable de la démocratie.

 


POSTFACE
            BILAN ET PERSPECTIVES AVANT, PENDANT ET APRES CRISES

 

 

Crise sanitaire ? Certes, mais pas seulement. Car l'épisode que nous venons de vivre -- et dont le monde n'est pas encore sorti -- est inédit dans l'histoire : celui d'un confinement, dans des modalités certes diverses, de plusieurs milliards d'êtres humains pendant plusieurs semaines.

Cet épisode n'est pas survenu dans un monde serein et apaisé. Depuis plus d'une décennie, l'humanité est plongée dans une crise globale, systémique et multi-dimensionnelle : économique et sociale, écologique, démocratique, géopolitique.

C'était le monde d'avant : crise de surproduction, aggravation considérable du chômage et de la précarité (que les gouvernements dissimulent par de misérables et cyniques tours de passe-passe faisant croire que le fait de travailler quelques heures par semaine est synonyme d'avoir un emploi) ; destruction des équilibres écologiques et multiplication des pollutions, réchauffement et dérèglements climatiques, déforestation et recul accéléré de la biodiversité ; démocratie représentative à bout de souffle et discrédit sans précédent des institutions et des partis politiques ; chaos généralisé sur le plan géostratégique et déclin continu de la vieille  domination occidentale sur un monde aux inégalités galopantes et aux perspectives bien  incertaines.

On peut ajouter à cela la menace très concrète représentée par la montée en puissance de régimes autoritaires voire fascisants dans plusieurs régions du monde.

Crise sanitaire ? Oui, bien sûr : c'est l'élément nouveau. Mais aussi crise déjà là et continue dans les autres domaines. La crise sanitaire n'est en rien une crise isolée, elle est articulée à une crise plus générale.

Car si la pandémie en elle-même ne peut lui être imputée, ses modes de transmission et sa gestion désastreuse par les pouvoirs en place ont évidemment à voir avec la crise générale.

De l'incurie des pouvoirs publics aux conséquences désastreuses de la crise écologique favorisant la transmission ultra-rapide et généralisée de la pandémie, en passant par les effets catastrophiques des politiques économiques d'austérité sur la santé et l'hôpital public, sans compter l'effet d'aubaine et le cynisme d'un pouvoir politique réduisant les droits et les libertés et d'un patronat essayant déjà de faire payer cette crise aux populations qui n'y sont pour rien, populations qu'on infantilise, culpabilise ou stigmatise... La coupe est pleine ! Et ce sont bien les capitalistes et les gouvernements à leur service qui sont responsables de cette situation catastrophique !

 

 

1. C'est précisément parce que cette crise -- à la fois crise du capitalisme et de civilisation -- a des effets de plus en plus violents et insupportables qu'elle suscite en retour des luttes et des mobilisations, des résistances et des pratiques alternatives, dans différentes régions du monde.

La réponse des capitalistes -- obsédés par la recherche de profits immédiats -- à la crise des subprimes en 2008 a été de renflouer le système économique par des aides bancaires massives, en ne changeant pratiquement rien de ce système, sauf à la marge. La fuite en avant néo-libérale, productiviste, consumériste pour la partie de l'humanité qui a accès à la consommation, continue de plus belle.

Cependant, à partir de la fin 2010 et de l'année 2011, un nouveau cycle de luttes et de mobilisations secoue le monde, des révolutions arabes au mouvement des places, de Barcelone à Tel Aviv en passant par Athènes, New-York, Québec, Maidan ou Santiago du Chili. En 2013 et 2015, le Forum Social Mondial, organisé à Tunis, permet la rencontre entre le mouvement altermondialiste et ces processus révolutionnaires en cours.

Ce qui s'exprime dans ces luttes et ces mobilisations nouvelles s'inscrit dans la continuité de l'altermondialisme. Il y a d'abord le refus des inégalités et des injustices, de la corruption et du népotisme, dans les sociétés du Nord comme dans celles du Sud. Mais il y a aussi les exigences de démocratie réelle et de justice sociale et climatique, de partage des richesses et d'égalité des droits. Ces exigences relèvent d'une aspiration profonde à une alternative de société. La révolution féministe continue. De nouvelles générations s'engagent. Que ce soit dans le domaine de la production, de la consommation ou du mode de vie, des pratiques alternatives, tout en étant minoritaires, se multiplient.

 

 

2. Ainsi, ce qui en ressort, de manière explicite ou non, a bien à voir avec l'autogestion comme pratique, comme but et comme chemin. Ces pratiques sont minoritaires, mais se développent dans les villes comme dans les campagnes, l'économie sociale et solidaire est en plein essor dans de nombreux pays et l'aile la plus radicale de l'Economie Sociale et Solidaire (ESS) est associée aux pratiques coopératives et aux récupérations d'entreprises dans une optique d'autogestion, notamment en Argentine.

Une nouvelle culture politique est en gestation, antihiérarchique (aucun terrain de lutte n'est considéré comme prioritaire par rapport aux autres, aucun mouvement ne prétend à la domination ou à l'hégémonie sur les autres), anti-autoritaire, démocratique et autogestionnaire (l'invention d'une alternative à la démocratie représentative et délégataire à bout de souffle), intersectionnelle (l'articulation entre les différentes exploitations, oppressions, dominations).

Cette nouvelle culture politique fait toute sa place au féminisme et à l'écologie, en particulier dans le refus grandissant des violences faites aux femmes et de la passivité criminelle des Etats et des gouvernements sur la question de l'urgence climatique. Là-aussi, s'exprime encore et toujours l'aspiration à prendre ses affaires en mains, à ne pas subir et tout attendre des pouvoirs établis, de l'Etat -- tout en exigeant qu'ils assument leurs responsabilités et de la représentation -- à "faire société" par le bas.

 

 

3. L'année 2019 restera dans l'histoire celle de la multiplication des soulèvements populaires et des processus révolutionnaires dans plusieurs régions du monde. On y retrouve la même dialectique entre résistances et alternatives, les mêmes caractéristiques et les mêmes exigences que dans les luttes et les mobilisations antérieures. Sous des formes et des expressions diverses, on respire un parfum d'auto-organisation, d'auto-détermination, d'autogouvernement et d'autogestion : en Catalogne dès 2017, en Equateur, au Chili, en Haïti, au Soudan, à Hong-Kong, comme en Algérie ou en Irak, ou encore en France -à une échelle plus modeste -- à travers Nuit Debout (2016) puis le mouvement des Gilets Jaunes (2018), une référence revendiquée par des manifestant·es aux quatre coins de la planète un an plus tard.

Bien entendu, ces soulèvements populaires et ces processus révolutionnaires n'ont pas nécessairement abouti à l'installation d'alternatives durables et profondes. Mais ils ont dans la plupart des cas mis un coup d'arrêt à des mesures iniques, fait bouger les lignes, contribué à déboulonner des pouvoir établis, imposé des avancées sur le plan démocratique et social, redonné espoir et confiance, et renforcé l'idée que c'est bien la lutte et la mobilisation qui peuvent permettre d'obtenir des avancées.

 

 

4. Bien entendu, ces soulèvements populaires et ces processus révolutionnaires ont connu un coup d'arrêt brutal au moment du déclenchement de la crise sanitaire en mars 2020. Est-ce que cela signifie qu'ils ont pris fin ? Pendant les premières semaines du confinement, c'est une évidence. Mais déjà, avant même la fin du confinement, certes sans la même ampleur, des manifestations et des mouvements de grève ont été observés dans plusieurs régions du monde. Dans certains cas, cela s'est produit là où des soulèvements populaires et des processus révolutionnaires avaient commencé. Et presque partout, la colère contre les pouvoirs établis n'a jamais été aussi grande, avec un fort potentiel de révoltes, comme on le voit encore au Liban ou au Belarus en cet été 2020, dans la lignée des soulèvements populaires et des processus révolutionnaires de 2019 et des années précédentes, avec une fois encore des caractéristiques très proches.

Quant aux pratiques alternatives, elles ont continué y compris pendant le confinement, avec l'invention sur les lieux de vie et de travail d'autres comportements et des solidarités de voisinage dans les villes comme dans les campagnes.

Sans lien direct avec la crise sanitaire, la mobilisation contre les violences policières liées aux discriminations aux Etats-Unis et en France a fait tache d'huile dans plusieurs régions du monde. Cette mobilisation n'en restera pas là : c'est une lame de fond. De nouvelles générations se mobilisent, avec une caractéristique déjà observée dans les soulèvements populaires et les processus révolutionnaires de 2019 : une participation très forte et souvent majoritaire des femmes.

 

Gilbert Dalgalian nous démontre que les pratiques de l'auto-organisation et de l'autogestion sont émancipatrices et plongent leurs racines dans des aspirations humaines très profondes.

Nous faisons le pari que ces aspirations sont intactes et que, dans les mois et les années à venir, elles ne s'éteindront pas. Ce qui s'exprime dans différentes régions du monde resurgira, d'une manière ou d'une autre.

Sans prendre un grand risque, on peut ajouter à cela que la violence inhérente au capitalisme, avec son cortège d'injustices, d'inégalités et de discriminations, et la volonté des pouvoirs établis de faire payer la crise en cours aux populations, déboucheront de nouveau sur des luttes et des mobilisations de grande ampleur, des résistances et des alternatives confirmant encore et encore l'actualité de l'autogestion.

 

 Bruno Della Sudda, juillet 2020


Notre futur est inscrit dans notre liberté

Dans sa préface écrite deux mois avant la pandémie, « Trois pas de plus dans l’agonie », Gilbert Dalgalian aborde entre autres, la destruction de l’environnement et du climat, l’impasse du capitalisme, la perte de la démocratie, la démission citoyenne et la délégation de pouvoirs, « Les phénomènes de violence eux-mêmes sont souvent en proportion de la perte de démocratie », les mobilisations à travers le monde, les inégalités, « un joli mot pour dire la misère des uns et l’exubérante accumulation par quelques autres », l’impossibilité d’une auto-abolition des privilèges par les privilégiés eux-mêmes, « Il y aura des heurts, des résistances, des aveuglements, des sabotages et des répressions. La violence est le fruit du système », les capacités – dont les capacités d’auto-intoxication – des humains, « C’est avec les mêmes neurones que se construisent les savoirs et les inepties, la science et la superstition, le vrai et le faux »…

Dans une première sous-partie « La destruction de notre environnement », l’auteur aborde le cumul des menaces qui englobent tous les fondements de la vie, l’oxymore « capitalisme vert », la place de la dette et des armements…

Dans la seconde sous-partie, il analyse « l’agonie amorcée du capitalisme », l’insécurité alimentaire, « une sorte de génocide à bas bruit en somme », la mal nommée intelligence artificielle, la place des ressources extractives…

La troisième partie est consacré au verrou que constitue l’absence de vraie démocratie, la démocratie réduite à la délégation permanente, « Une délégation de pouvoirs, sans mandats impératifs ni contrôle est une mise à l’écart du peuple », les procédures de surveillance des citoyen·nes, la « responsabilité incontrôlée des sommets de l’Etat »…

Gilbert Dalgalian discute ensuite des changements nécessaires de notre rapport à la nature, de nos priorités économiques, de la dette injuste et odieuse, des fonctions régaliennes de l’Etat, de la défiguration des producteurs et des productrices (« de leur expropriation de tout »), des changements impératifs de notre rapport à l’Etat, de contrôle et de délégation, de la notion de vote utile, « le vote utile n’est utile qu’à celui qui en bénéficie ». Il propose des pistes pour inventer « une démocratie authentique », donne place à la désobéissance civile, questionne « Comment mieux anticiper ? Comment prévenir ? Comment corriger ? »…

Je rappelle ma note de lecture, Pour faire un humain, il faut des humainsde la précédente édition, Pour faire un humain, il faut des humains. Je ne reviens pas ici sur le corps du livre. Outre certains éléments de la préface, j’en souligne d’autres extraits du Journal de bord : Leçons cruciales de la pandémie et de sa gestionet de la postface de Bruno Della Sudda, Une crise globale et systémique qui va s’approfondir : covid, résistances, alternatives et actualité de l’autogestion.

Quelques éléments choisi subjectivement dans le Journal de bord du 27 mars au 2 juillet 2020, une catastrophe sanitaire, un certain niveau d’autosuffisance nécessaire, « notamment alimentaire et sanitaire », la solidarité et la sobriété, nos ressources, « la créativité des hommes et des femmes, la coopération solidaire, y compris internationale, la mise au pilori de toutes les formes de racisme, de sexisme et de xénophobie, l’investissement sur la matière grise inépuisable dans tous les domaines », l’annulation des dettes, les solutions concrètes à la crise mises en œuvres par « les personnels de santé, de nettoyage et de voirie, les agents des services publics et de transports, dans une adaptation permanente aux nouvelles contraintes de vie et de survie », les liens entre le réchauffement climatique et la pandémie, les initiatives citoyennes, les Scop, le droit international et la libre circulation des personnes, la convention citoyenne, « Je mets l’ensemble des gauches au défi de suivre l’exemple de la Convention citoyenne : tirer au sort 500 citoyens et citoyennes qui se reconnaissent écolos et de gauche pour définir lors d’un travail commun un authentique programme de sortie du productivisme libéral-répressif », la baisse massive du temps de travail… Je souligne aussi les multiples propositions de l’auteur en matière d’éducation, la polyvalence éducative, la motivation et la curiosité des élèves, une nouvelle philosophie éducative… 

« La crise sanitaire n’est en rien une crise isolée, elle est articulée à une crise plus générale ». En postface, Bruno Della Sudda discute, entre autres, du nouveau cycle de luttes et de mobilisations, de l’autogestion « comme pratique, comme but et comme chemin », de nouvelle culture politique et des dimensions anti-hiérarchiques et anti-autoritaires, de la place du féminisme et de l’écologie, du potentiel des révoltes…

Le titre de cette note est emprunté à Gilbert Dalgalian. Il s’agit de la dernière phrase de sa postface sur la méthode.

Gilbert Dalgalian : L’autogestion : un impératif pour la démocratie

Editions L’Harmattan, Paris 2020, 232 pages, 23,50 euros

Didier Epsztajn

 

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