Notre camarade Gilbert Dalgalian vient de publier aux Editions l'Harmattan "L'autogestion : un impératif pour la démocratie". Une lecture utile, nécessaire même, pour celles et ceux qui, comme nous, considère que l'actualité de l'autogestion n'a jamais été aussi importante.
En guise de "mise en bouche" ; nous publions ci-dessous la préface et la postface de Bruno Della Sudda, ainsi qu'une intéressante note de lecture rédigée par Didier Epsztajn sur son blog entreleslignesentrelesmots.
Préface
de la réédition
TROIS
PAS DE PLUS DANS L'AGONIE
Huit ans se sont écoulés depuis la
première édition. Pourquoi l'actualiser ? Pourquoi rééditer ce livre ?
Quelques passages ont perdu en
actualité : ils disparaissent. Mais le pronostic se confirme et s'aggrave. Les
trois dérives majeures de notre civilisation ont pris en une décennie une
ampleur prévisible. Tous les feux sont au rouge : la destruction de
l'environnement et du climat ; l'impasse d'un capitalisme en peine de nouvelles
expansions, dont le seul horizon est de s'attaquer aux services publics, aux
retraites et au niveau de vie ; enfin et surtout – et c'est là le verrou qui
bloque tout changement – la perte de démocratie.
La délégation de pouvoirs sans
contrôle aboutit à une démission citoyenne largement ressentie. Les phénomènes
de violence eux-mêmes sont souvent en proportion de la perte de démocratie.
Pourtant l'espoir d'un sursaut
collectif n'était pas absent de ce premier texte aux antipodes de tout
fatalisme (cf. collapsologues et autres pessimistes). Certains vont jusqu'à
imaginer le monde d'après son effondrement ; c'est exactement le contraire
qu'il faut faire, modifier le système aujourd'hui. Mais le système a son
verrou. Une partie, bientôt majoritaire (?) des opinions publiques, les jeunes
en tête, semble résolue à réagir et à imposer des solutions de rebond. Ce n'est
pas gagné. Leurs réactions se limitent pour l'instant à la revendication et à
la rébellion.
Pour l'heure la prise de conscience ne fait pas sauter le verrou : cette fausse démocratie qui tourne le dos aux réorientations indispensables, notamment dans une économie asservie à la finance. Les mobilisations puissantes et persistantes en Algérie, à Hong-Kong, au Chili, en Irak, au Liban, ainsi qu'avec les Gilets jaunes sont partout des réponses à ce verrou.
L'indifférence des pouvoirs aux
menaces parfaitement identifiées poussera bientôt les citoyens et les
citoyennes à tenter de prendre les choses en mains, à dépasser la démocratie
dite représentative ; à imposer des lois contre les dérives dues à la finance
et à investir à tous les niveaux dans la protection des écosystèmes. Cela a
aussi pour corollaire une réduction drastique des inégalités : "Les PDG du CAC 40 ont gagné en moyenne
277 fois le smic en 2018" (Le Monde du 8. 11. 2019).
Comment justifier un empire de 100 milliards
de dollars (Bernard Arnault), alors qu'un milliard d'humains vit au bord de la
famine ? Si l'homme lui-même n'est pas en cause, il faut alors s'interroger sur
un système qui permet cette aberration criminelle.
'Inégalités' : un joli mot pour
dire la misère des uns et l'exubérante accumulation par quelques autres. A ce
degré de profondeur et d'extension planétaire, le système inégalitaire est criminel
ainsi qu'une impasse politique. Il faudra bien réorienter la finance et
redistribuer pour réunir les moyens de sauver la vie sur la planète. (cf. "Virer les actionnaires. Pourquoi et
comment s'en passer", Benoît Borritz, Syllepse, Paris, 2020)).
Cela pourrait se passer sans
violence si les décideurs – publics et privés – avaient le courage et la
lucidité de s'imposer à eux-mêmes une moderne 'nuit du 4 août' (1789). Mais il
ne faut pas trop compter sur une telle auto-abolition des privilèges. Il y aura
des heurts, des résistances, des aveuglements, des sabotages et des
répressions. La violence est le fruit du système.
On ne se débarrasse pas en quelques
mois de deux cents ans d'idéologie du profit. Ni de la chimère du progrès sans
discernement. Et surtout on ne peut pas espérer du capital qu'il renonce à ce
qu'il est : concentration des richesses, inégalités abyssales, dévastations de
la nature. La force des arguments – pour sauver l'environnement, la
biodiversité et nos vies – pourrait suffire si les humains étaient toujours
rationnels.
Or l'accumulation des boucheries et
des génocides, la continuation partout de guerres et de répressions nous
rappellent le potentiel d'intoxication idéologique dont peuvent faire preuve
les États. Parfois sans une réaction des peuples à hauteur des dégâts.
Djihadisme, néofascismes,
xénophobies et racismes multiples, négationnismes -- sans oublier cette montée
effrayante du créationnisme aux USA -- en disent long sur les capacités
d'auto-intoxication des humains. C'est avec les mêmes neurones que se
construisent les savoirs et les inepties, la science et la superstition, le
vrai et le faux. Ce qui les oppose, c'est le rapport au réel.
Comment expliquer une aussi longue
abdication des peuples face aux servitudes ? Quel avenir pour cette servitude
acceptée – combinaison d'ignorances et de dressages – qui ne garantit plus la
survie ? Rappelons qu'un même cerveau est équipé pour ces aberrations, mais
aussi pour apprendre, anticiper des périls et des parades, inventer un avenir. Reprenons
d'abord l'inventaire des catastrophes cumulées.
1. La destruction de notre
environnement :
La destruction systémique de notre
environnement est évidemment la plus imminente des menaces. Parce qu'elle
englobe tous les fondements de la vie : le climat, les océans, les sols, les
glaciers, les forêts, les calottes polaires, les courants marins, l'air, l'eau,
la faune et la flore, le régime des pluies et, par voie de conséquence, nos
conditions de vie et de survie.
Ces menaces cumulées interagissent
et provoquent des enchaînements catastrophiques récurrents : tsunamis (à
l'origine de Fukushima), submersions, sécheresses et incendies gigantesques,
destructions de la biosphère, absence de solution durable pour les déchets
nucléaires et industriels, canicules et pénuries, et, du même coup, des famines
et des conflits armés sans fin, sources d'une partie des migrations.
En outre, ces catastrophes font
système. Il n'est plus nécessaire d'être un grand expert pour établir le lien
entre la fonte des glaces polaires, le réchauffement global et les dévastations
par le feu de la Californie à l'Amazonie, de la Sibérie à l'Australie. On peut
également craindre le pire si le permafrost sibérien se met à dégeler et libère
d'énormes quantités de gaz carbonique mettant alors toute vie en danger.
Quelques grands noms, au demeurant
très lucides sur la gravité des menaces et sur les maux du capitalisme,
s'illusionnent pourtant sur la possibilité "d'aller
vers un capitalisme progressiste, avec une fiscalité plus juste, des investissements
renforcés [sur l'environnement] …. Cela exige de renforcer le rôle de l'État
dans le pilotage social et dans les régulations permettant de mieux encadrer la
finance et les marchés" (Joseph Stiglitz, Le Monde du 25.09. 2019,
pages Économie et Entreprise).
Or une telle régulation
signifierait à la fois mobiliser l'argent des riches, réorienter l'épargne et
recourir à un État fort et autoritaire, capable d'imposer – par la force si
nécessaire – les solutions de 'pilotage social' et 'd'encadrement des marchés'.
En faisant l'économie d'une implication des peuples ….
Certes les ressources financières
sont là, mais un État, si fort soit-il, n'a pas les moyens de son action
écologique, s'il n'a pas une forte adhésion populaire. En outre, un programme
de 'Capitalisme vert' sans une forte mobilisation démocratique n'aurait pas non
plus le soutien des financiers, en général très peu motivés par le peu de
'retours sur investissements' sur l'environnement, sur les énergies
renouvelables, le 'bas carbone' et la sobriété.
La finance se nourrit toujours du
productivisme et ne sait rien faire d'autre. 'Capitalisme vert' n'est rien
d'autre qu'un oxymore.
C'est ainsi que les programmes du
Green New Deal sont voués à l'enlisement et à l'échec. Le Green New Deal pour
l'Europe est truffé des meilleures intentions : mobiliser les ressources
publiques pour maintenir le réchauffement dans la limite de 1,5° ; s'appuyer
sur des concertations citoyennes et éviter les décisions prises au sommet ; ne
pas se contenter de préserver l'environnement, mais viser un avenir qui
préserve la qualité de vie, tourner le dos aux critères quantitatifs de
croissance.
Or si les intentions sont bonnes,
les actes ne suivent pas : il faut -- pour inverser les courbes de la
destruction – investir sur le remplacement des énergies, des processus et des
finalités de production, ainsi que sur d'autres moyens de transport et de
chauffage des logements. Cela suppose entre 25 et 50 milliards d'Euros par an
pour un pays comme la France, sommes qui relèvent des finances publiques et se
heurtent au sacro-saint respect de la dette. Les financiers et leurs relais
politiques ne renonceront jamais au remboursement de la dette si un pouvoir
politique nouveau ne les y contraint pas. Les obstacles sont systémiques, la
solution ne peut être qu'un changement du système, notamment financier.
D'ailleurs il suffit de comparer
les montants respectifs du 'Fonds vert pour le climat' aux budgets militaires
partout pour saisir l'impossibilité d'un capitalisme vert. La réorientation des
finances publiques sur une planification écologique sérieuse signifierait une
démilitarisation générale et une entrée dans une ère de paix.
Une Convention citoyenne pour le
climat – limitée à 150 citoyens et citoyennes tiré.es au sort – a entamé une
réflexion collective, première initiation à une démocratie active. Certes d'un
côté cette Convention citoyenne est une avancée : prise de conscience des
périls, recherche de solutions et surtout des préconisations qui seront mises
en débat au Parlement. Mais de l'autre côté, apparaît la minute de vérité : la
sauvegarde de l'environnement ne va-t-elle pas se heurter au double mur de la
politique financière et de l'indifférence des parlements élus sur d'autres
programmes. La COP 25 qui accouche d'une souris en est la fatale illustration.
Bref, les préconisations – sans une
forte mobilisation populaire – risquent un bel enterrement : par le capital et
par une fausse démocratie qui ne représente plus personne. Ce qui nous conduit
au deuxième volet des catastrophes.
2. L'agonie amorcée du capitalisme
:
Ce fut certainement un titre
téméraire de la 1ère édition de ce texte 'Capitalisme à l'agonie',
alors qu'en 2012 une fin programmée du Capital n'était pas évidente aux yeux de
la plupart. L'agonie n'était pas perceptible et fut donc critiquée. Aujourd'hui
tous les voyants sont au rouge. Le capitalisme est dans une impasse, mais il
n'en voit pas encore le bout. Récapitulons.
La mondialisation a un visage
méconnu : l'insécurité alimentaire qui a fait déjà quelques centaines de
millions de morts en quinze ans, dans les pays les plus pauvres et les moins
développés. Une sorte de génocide à bas bruit en somme. Et qui dure et va
durer.
La croissance et le progrès sans fin sont
désormais incompatibles avec une authentique politique écologique efficace
contre les dérèglements climatiques. Même les avancées techniques ne sont pas à
elles seules la solution. Le capitalisme a toujours été capable d'avancées
technologiques. Mais cette formidable machine à produire aura été aussi la plus
formidable machine à détruire. Son horizon n'est pas de produire – ce n'est
qu'un moyen – mais de faire du profit pour une minorité.
Même la mal nommée I. A.
(intelligence artificielle) – qui n'est rien d'autre qu'un logiciel amélioré –
ne résoudra pas la question du choix de société, des options anthropologiques
et philosophiques requises pour définir notre futur. Révélateur est le
programme Aladdin (I. A.) conçu pour l'espionnage économique à très grande
échelle afin d'optimiser les investissements financiers. "Numérique sans éthique n'est que ruine de l'humanité" (Jérôme
Béranger, Dominique Pon, Stéphane Oustric, Le Monde du 29.01.2020)
Tel a été le double visage de
l'essor du capital et donc du sens attribué au progrès technique (et
scientifique parfois). Les scandales de l'usine AZF, du Mediator et du
Chloredécone, de Lubrizol et des 250 sites Seveso, implantés parfois en milieu
urbain, illustrent ce double visage du progrès capitaliste.
Quels champs d'expansion durable
subsistent-ils à l'avenir pour un capital cerné à la fois par les limites de la
planète, la saturation des marchés et les révoltes populaires ? Sa seule issue
est de s'attaquer au niveau de vie partout. En commençant par rogner les
salaires et les retraites, au risque d'un chômage encore plus dévastateur.
Stratégie politique qui n'a d'autre finalité que de protéger les patrimoines
des milliardaires (IFI) et depuis 2018 le PFU (Prélèvement forfaitaire unique)
pour favoriser fiscalement les revenus financiers.
C'est là qu'intervient un premier
verrou : le cœur du capitalisme financier, ce sont à l'échelle mondiale les
compagnies pétrolières ; elles détiennent les ressources naturelles, le
capital, les circuits de distribution et les moyens de faire pression sur les
États, qui de leur côté orientent leurs politiques internationales sur la
sauvegarde de leur accès au pétrole. D'où leurs engagements militaires parfois
(Koweït, Irak). C'est aussi, entre autres, pour garantir l'accès au pétrole que
les États-Unis ont trahi les Kurdes et qu'Erdogan envoie ses forces armées en
Lybie.
Ce sont ces 'pétroliers' – le cœur
du Capital – qui paient les campagnes électorales des candidats indifférents au
changement climatique et hostiles aux lourds investissements nécessaires sur la
préservation de l'environnement. Notamment aux États-Unis, où ils font
l'élection présidentielle une fois sur deux.
Non seulement ils disposent de
puissants lobbies, mais surtout ils ont conditionné nos vies, nos mobilités,
nos habitudes et même certains de nos fantasmes automobiles. A ce niveau de
mainmise sur des biens communs, on peut dire que la propriété privée, c'est le
vol : une kleptocratie 'légale' inhérente au libéralisme.
En outre, les publicités des firmes
automobiles, très liées aux pétroliers, foisonnent sur nos médias, déterminent
nos décisions d'achat, empêchent de réfléchir aux solutions d'avenir durables.
Avec de tels conditionnements,
généralisés par notre civilisation consumériste, pense-t-on pouvoir contrarier
les projets des pétroliers et financiers sans s'appuyer sur une mobilisation
large ? Mieux encore : en ne se fondant pas sur une responsabilité accrue des
citoyens et citoyennes à tous les niveaux … ?
Quel homme fort, quel politicien
saurait imposer à des millions de femmes et d'hommes les changements, les
comportements, les engagements personnels, les métamorphoses qu'une sortie du
capitalisme et une réorientation sur une écologie authentique exigent de tous
et de toutes ?
En outre, à supposer que des
gouvernements se décident pour des réformes radicales en faveur de l'écologie
et des services publics, où prendraient-ils les fonds nécessaires ? Il leur
faudrait redistribuer. C'est-à-dire s'attaquer aux inégalités et reprendre en
main la finance privée. Tout le contraire de leur credo libéral !
Ainsi, que l'on s'attaque aux
urgences climatiques ou aux structures économiques qui les ont provoquées, on
se retrouve devant un second verrou : l'absence d'une vraie démocratie.
3. Une démocratie réduite à la
délégation permanente :
Qu'on la considère dans ses
applications ou dans son principe, la démocratie représentative est vidée de
son contenu : elle représente trop peu, trop mal et parfois pas du tout. A bien
des niveaux. Cela donne à l'État des pouvoirs exorbitants. Quelques exemples.
Le Maire de Langouët en Bretagne décide de tenir compte des intérêts de ses
mandants en interdisant le glyphosate près des habitations ? Voilà que le
Tribunal administratif, à la demande du Préfet, casse l'arrêté du Maire et
ignore la volonté des habitants directement concernés.
Le GIEC (Groupe d'experts sur
l'évolution du climat) publie un rapport alarmant ? Les députés ne l'ont pas
lu, mais se permettent d'ironiser sur le jeune âge de Greta Thunberg et son
incompétence !
Dans les hôpitaux, les écoles, les
transports et les services, les décideurs ne sont jamais ceux qui seront
chargés de l'exécution des décisions venues de très haut. Cherchez où est
l'incompétence ?
Une délégation de pouvoirs sans
mandats impératifs ni contrôle est une mise à l'écart du peuple. C'est
l'organisation minutieuse de la démission citoyenne. Elle a fini au cours des
décennies par mettre l'État au-dessus de la société. Il n'y aura aucune avancée
démocratique si l'on ne parvient pas à remettre la société au-dessus de l'État.
Le pouvoir politique doit servir la société dans son ensemble et cesser de se
servir d'elle en la manipulant.
Manipulation, un trop gros mot ? En
fait non, car l'élu – trop souvent – travaille à sa réélection et à peaufiner
son image auprès du public, plutôt que de réaliser le programme annoncé.
Trois exemples sont dans nos
mémoires. Le Traité de Lisbonne qui tourne le dos aux résultats du referendum
de 2005 est une forfaiture contre l'esprit de la démocratie. Le Président
Hollande promet de juguler la finance ? On l'a attendu longtemps.
Madame Le Pen, de son côté, travaille à son
image et à la dédiabolisation de son parti plus qu'à développer un programme de
gouvernement, sinon celui de combattre une immigration qui a fortement
participé à la reconstruction du pays et continue d'assurer les tâches et les
métiers les plus ingrats et les plus mal payés.
Son parti n'a qu'un seul point dans
son programme : la stigmatisation de boucs émissaires, les migrants ; tout le
reste n'est qu'habillage cosmétique en fonction de la météo politique.
'L'État contre la société' ? : non,
ce n'est pas une hyperbole. Cela se vérifie jour après jour dans les moindres
détails : une fête de la musique à Nantes se prolonge au-delà de quatre heures
du matin ? Les forces de "l'ordre" chargent. A la bâille les fêtards
!
Manifestation des Gilets jaunes à
Montpellier : la Ligue des droits de l'homme a délégué sur place des membres de
l'Observatoire des pratiques policières. Ils portent des gilets
d'identification bien repérables. Au moment de la charge, ils s'éloignent des
lieux. Les policiers se ruent sur eux, ainsi que sur un observateur et un journaliste
étranger.
Les bavures depuis 2018 ont
entraîné un nombre sans précédent de blessés et d'éborgnés, parfois sans aucun
lien avec le maintien de l'ordre (voir le document diffusé sur BFM-TV le 9. 11.
2019 entre 19h30 et 20 heures, montrant une charge policière sans sommation).
Depuis 2005 et la révolte des banlieues, on a pu dénombrer beaucoup de morts
dus à la répression (Adama Traoré, 1er mai 2018, Sievens) et des
centaines de blessés (Gilets jaunes, manifestants contre la retraite à points).
La répression est systémique.
Les procédures de surveillance des
citoyens et des citoyennes se multiplient (reconnaissance faciale et autres) et
l'État -- débordé -- a commencé à confier ces tâches à des firmes privées.
Tabasser des jeunes en fête ou des manifestants pacifiques : quoi de plus
logique si un État autoritaire se met au-dessus de la société ?
Il faut souligner que la dérive
étatiste a fini par marquer les mentalités. Au point que ni les médias, ni le
public ne contestent la dominance exclusive de l'État sur tous les sujets et la
résignation/dépendance qui s'ensuit. Avec pour résultat une responsabilité
incontrôlée des sommets de l'État sur les politiques publiques et, lorsque
celles-ci sont contestées dans la rue ou par la grève, des répressions violentes
d'un pouvoir omnipotent.
Le diagnostic de la 1ère
édition se confirme donc : nous vivons sous un régime libéral-répressif. Plus
le libéralisme montre ses nuisances, plus il doit se protéger par une
répression accrue : les LBD (Lanceurs de balles de défense) sont devenus le
symbole de notre régime politique.
Pourtant les casseurs qui
s'infiltrent dans les mouvements sociaux, eux aussi, tournent le dos à une
stratégie de prise en mains de la politique par les citoyens : eux aussi se
substituent au peuple.
Or la France n'est pas seule dans
cette dérive de la démocratie. La tendance s'est mondialisée avec la
mondialisation des marchés et la précarisation des peuples. Sous des formes
différentes, ce sont les mêmes révoltes qui sont à l'œuvre au Chili, à Hong-Kong,
en Algérie, au Liban, en Irak. Et … avec les Gilets Jaunes. Nous venons
d'entrer dans la mondialisation-boomerang.
Résumons cet enchaînement fatal :
les humains, le vivant, notre biotope attendent un sauvetage et un horizon de
survie ; mais le système économique a d'autres finalités, il s'est verrouillé
pour se perpétuer ; le sursaut ne peut venir que de la politique, à condition
que les peuples décident de ce qui est bien pour eux et surtout de ce à quoi
ils veulent participer, ce dans quoi ils veulent s'investir.
Sans l'adhésion populaire pas de
sursaut planétaire ! L'extrême confusion du terme 'populisme' ne mène à rien :
il ramasse dans un même concept flou des forces de retour en arrière (fascismes
et totalitarismes) et des mouvements éminemment démocratiques.
Il dénote surtout une large
incompréhension, trop souvent relayée par les médias, quant à la situation
cruciale où se trouvent les peuples : à un tournant de la vie humaine et de
toute civilisation. Les verrous doivent sauter ! Vite !
Mais pour notre futur qui dépend
des solutions de survie, la seule sobriété individuelle ne suffira pas. Il
faudra se résoudre à modifier nos paramètres et nos habitudes. Cela va au-delà
des adaptations, de ces ajustements qui ne changent rien au système et ne
servent qu'à le perpétuer.
Il faudra bien se faire à l'idée de
dépasser le confort, en s'attaquant d'abord au confort des idées reçues – et
depuis longtemps caduques -- sur la société, l'économie, la démocratie au
rabais et sur notre soumission spontanée aux décisions venues d'en-haut sans
concertation citoyenne.
La liste est longue des changements
incontournables si les humains osent démonter les engrenages de
l'autodestruction.
4. Changer notre rapport à la
nature :
"Rien
n'échappe plus aux dégâts causés par l'illusion scientiste et le triomphe du
gigantisme industriel, agricole, consumériste". Ce diagnostic s'est hélas confirmé
depuis la 1ère édition. Nous sommes les premières – mais pas les
seules – victimes de ce mirage anthropocentriste : dominer, maîtriser,
exploiter la nature !
L'agenda de la survie sera tout le
contraire : apprendre de la nature, protéger l'environnement, s'harmoniser avec
ses lois et ses contraintes, pour ne plus subir les effets en retour de nos
pollutions et de nos destructions aveugles. Les peuples premiers, depuis la
préhistoire, pratiquaient de facto
cette hygiène de vie en limitant la prédation et la consommation à leurs
stricts besoins. Mieux : ils avaient construit leurs rites, leurs mythes et
leurs croyances sur une spiritualisation de la nature (totems, esprits,
animismes). Nécessité pour ces lointains ancêtres d'interpréter le monde au
plus près de l'expérience dans un environnement difficile et mouvant, sans le
détruire, ni l'épuiser.
Pour ne pas tomber dans l'anachronisme
qui prétendrait ignorer l'état actuel des sciences et des techniques, on doit
apprendre à s'en servir non pour les mythifier, mais pour redonner de la valeur
et de l'équilibre à nos milieux de vie, aux animaux, aux plantes, aux forêts et
à la préservation des glaciers, des mers, des paysages, de la biodiversité et
pour mieux s'adapter aux régulations naturelles.
Ces régulations parfois
cataclysmiques, peuvent nous mettre à dures épreuves (séismes, éruptions
volcaniques, avalanches, tsunamis, crues), mais ce sont des nuisances moins
coûteuses comparées aux destructions généralisées par l'illusion scientiste :
Tchernobyl, Fukushima, Mururoa et ailleurs ces centaines de millions de
sous-alimentés ; et en face ces milliards investis dans les armements par les
pays les plus riches et quelques autres.
5. Changer nos priorités
économiques :
Quelles sont les caractéristiques
de la pensée économique dominante ? Se sont-elles aggravées depuis 2012 ?
Rappelons-en les dogmes et les constantes : 1. "Les marchés, notamment
financiers, régulent tout de façon optimale" ; 2. "L'État peut donc
réduire le périmètre de ses interventions au strict minimum" ; 3.
"L'ensemble 'État et marchés' n'a qu'un seul objectif, la croissance, la
production, l'essor continu du PIB et – comme résultante – l'enrichissement des
actionnaires, vus comme les vrais créateurs de richesses" ; 4. Enfin,
"pour réaliser ces objectifs, recourir à la dette (si nécessaire) et faire
supporter celle-ci aux citoyens" – qu'on n'a jamais consultés – et
qu'"il faudra mettre à contribution (impôts, bas salaires, diminution des
retraites, économies sur les services publics) pour désendetter l'État".
C'est ainsi que le mirage libéral
mène tout droit à la misère généralisée. Et en moins d'une décennie ses effets ont
dépassé les espoirs les plus fous des économistes libéraux. Le cas le plus
spectaculaire – parce qu'il appartient au cercle des pays de l'Union européenne
– est celui de la Grèce, endettée, essorée, exsangue. Reprenons ces dogmes un
par un et voyons dans quel sens on pourrait ou devrait les changer. Commençons
dans l'ordre inverse.
La dette : envers qui ? qui l'a
décidée ? à qui est-elle profitable ? L'État s'endette auprès de grandes
banques, non auprès de la BCE ; ce faisant, il enrichit les financiers, parfois
à des taux élevés, tandis que la BCE, à l'occasion, renfloue directement et à
bas prix ces grands banques. Un tour de passe-passe bien maîtrisé … .
L'État n'a consulté personne, pas même les
Parlements, avant de contracter ces dettes et il continue de les rembourser
dans une gestion relativement opaque. Les peuples paieront pour ce qu'ils n'ont
jamais eu à décider et qui leur est fatal.
La dette est injuste, odieuse : du
vol, à ce jour légal ! Elle doit être effacée. Cela a été fait plusieurs fois
dans l'histoire (cf. la 1ère édition). Même la dette privée est à
risque : elle favorise uniquement la spéculation financière.
La croissance ? Un programme
multi-défauts ! Croissance et PIB recouvrent des productions utiles et d'autres
inutiles, des réalisations qui profitent aux populations et à l'environnement
et d'autres qui détruisent, empoisonnent et mettent en danger.
Croissance et production n'ont pas
été ciblés sur des besoins et des nécessités (la demande), mais sur des espoirs
de profits, de marchés substantiels, de concentrations et de fusions, en vue de
rémunérer des actionnaires, de grossir la masse financière (politique de
l'offre inutile). Une croissance sans critères qualitatifs est le moteur des
inégalités abyssales de ce 21e siècle.
Le périmètre de l'État dans
l'économie a toujours été variable ; nombreux sont les cas de relance par
l'État (New deal de Roosevelt) ou de gestion directe par l'État (en France de
1945 à 1974 sous deux républiques) de nombreux secteurs et entreprises.
Le logiciel était alors différent :
il privilégiait plutôt l'industrie que le tout-financier, il ménageait quelques
avancées sociales et un relatif État-providence. Aujourd'hui l'État s'efforce
de concentrer son budget sur ses seules fonctions régaliennes, au détriment du
bien commun, de la santé, des transports, de l'éducation. Le logiciel a changé.
Pour un temps … !
Une régulation optimale par le
marché ? Ici nous arrivons au cœur d'une pensée religieuse, la foi dans
l'impossible. Cette foi repose sur l'interprétation du mot 'régulation' : si
celle-ci ne prend en compte que l'aptitude des marchés à laisser couler telle
entreprise, à en permettre le rachat par d'autres, à faciliter les
concentrations, la disparition des petits commerces et des petits paysans et
pêcheurs, alors son efficacité est en effet optimale.
Mais que vaut une régulation qui
désindustrialise les territoires, qui n'ajuste pas la production et les
services aux besoins réels, qui produit du chômage, de la misère et du
désespoir, une prolétarisation effrénée des couches moyennes, du
sous-développement et des migrations massives partout ?
Cette régulation a mis la planète
au fond du gouffre et, en maints endroits, à feu et à sang, surtout dans les
régions du monde les plus déshéritées. Cette soumission servile aux lois du
marché est également la cause profonde de l'incapacité de l'Union européenne à
surmonter les concurrences stériles et à se doter de politiques sociales,
fiscales et budgétaires communes.
Le capital a également perverti le
travail, la production, et défiguré les producteurs et les productrices. En les
expropriant de tout : des moyens de production qui ne leur appartiennent pas ;
des processus de fabrication qu'ils ne décident pas ; et des finalités mêmes de
leur travail, car ils et elles n'ont aucune part dans le choix du produit final
(armes, glyphosate, Mediator, néocorticoïdes, etc.).
6. Changer notre
rapport à l'État :
"Vote
pour moi et laisse-moi faire » : Les remèdes à cette démission généralisée ont été
détaillés dans la première édition. Mais la paralysie a pris une dimension
telle que la réforme des institutions n'est qu'une partie de la solution.
Quelques contre-pouvoirs et un peu de démocratie participative ne suffiront
pas.
L'essentiel tient à la perception que nous avons de
notre rapport à l'État. Certes d'un côté l'État est un cadre de cohésion
collective et d'organisation nécessaire en vue du bien commun, ce qu'on appelle
la République. Mais de l'autre il monopolise – depuis longtemps – l'initiative,
la gestion, les arbitrages, et pratique la répression des dissidents et la
marginalisation des minorités.
Ce rapport à l'État, nous l'avons accepté ou subi
avec tous ses effets négatifs, en particulier sur l'exercice de la citoyenneté
et sur la démocratie. D'abord il donne aux élus beaucoup plus qu'un rôle de
représentants : une fois installés dans leurs fauteuils, ils décident, non en
fonction du programme annoncé, mais selon les besoins d'une carrière, d'un
parti, ou d'intérêts privés obscurs. Les cas d'abus ont été nombreux depuis
2012. Y compris aux plus hauts niveaux, on s'en souvient ….
Ensuite, aucun contrôle, aucun rappel au programme
n'est prévu dans nos lois. Enfin, la délégation de pouvoirs pousse au cumul des
mandats, à la professionnalisation des élus et, en fin de compte, à une sorte
de 'drogue du politicien'. Quant aux élus dévoués à leur mandat – et il y en a
– eux aussi sont victimes d'un système qui les dépasse et finit par rendre leur
action stérile, inopérante.
Où se retrouvent l'électeur et l'électrice dans
cette situation d'expropriation ? Dans l'abstention et, plus récemment sur les
ronds-points et en gilets jaunes.
Une troisième voie s'ouvre encore à eux, grosse de
déceptions : le vote utile. Je vote pour M. dont je n'approuve pas le programme,
uniquement pour barrer la route à P. que je déteste. C'est ainsi qu'en barrant
la route à P., j'ai à mon insu ouvert la voie à une réforme des retraites que
je désapprouve.
Où est passée ma voix dans ce tour d'illusionniste
qu'on appelle 'vote utile' ? Disparue, ignorée, muselée par cette démission
doublée d'une supercherie : le Président est majoritaire un jour de 2017,
ensuite majoritairement contesté pendant cinq ans. C'est ainsi que l'État se
met au-dessus des citoyens, au-dessus du peuple et ne le représente plus.
Le vote utile n'est utile qu'à celui qui en
bénéficie. Quant à me représenter, le vote inutile est la voie – la voix -- la
mieux verrouillée qui soit. La recentralisation dans les nouvelles grandes
Régions a encore éloigné un peu plus les élus de leurs électeurs. L'État ne
s'est pas régionalisé, il s'est seulement démultiplié et les Préfets y
veillent.
Voici un trait révélateur de ce centralisme dans
cet extrait du Rapport 'Culture' de Mme D. David au nom de la Commission des
finances, de l'économie et du budget. Il s'agit de la répartition géographique
des dépenses par région pour la culture : Paris se voit accorder 73% de ce
budget et la Région Île-de-France (hors Paris) 11%, ce qui laisse aux 13
régions restantes un petit 16% à se répartir.
L'élu régional est assez largement un alibi et un
relais des politiques décidées d'en-haut, de façon très centralisée. Et
toujours celles-ci sont en adéquation avec ce logiciel : place aux marchés
financiers, aux privatisations (Française des jeux, Aéroports de Paris et
Toulouse, déjà la SNCF et EDF, etc.) et l'État ramené aux fonctions régaliennes
: police, justice, défense, politique étrangère.
Cependant c'est ce logiciel qui va être disqualifié : par les
catastrophes climatiques, par les impasses et les révoltes auxquelles le
capital financier nous a menés ; enfin par la prise de conscience plus vive
qu'une autre République est possible et nécessaire : plus sociale, plus
écologique, plus féministe et plus autogestionnaire.
7.
Inventer une démocratie authentique :
Une conscience nouvelle s'insinue dans les
esprits : le système nous conduit tout droit vers ce robot-esclave, cet Homo
Roboticus Servus, que je prédisais comme alternative fatale à un Sapiens
solidaire et responsable. Partout le sursaut de la jeunesse, les mobilisations
pour le climat, les services publics, les retraites, les conditions de travail
et la démocratie sont autant de signes précurseurs des métamorphoses
inévitables à venir.
De ce
point de vue la mobilisation de l'hiver 2020 contre une réforme des retraites
imposée d'en-haut est emblématique d'un affrontement décisif : il s'agit ni
plus ni moins de choisir entre un sommet de l'Etat qui décide seul et une
société civile qui veut retrouver une place centrale dans les décisions. Si le
gouvernement devait l'emporter dans ce bras de fer, il perdrait sur le fonds,
car il apporterait aux yeux de tous la preuve que le système n'est ni
démocratique, ni socialement juste, ni porteur d'avenir.
Mais la
route vers un autre monde sera tourmentée. En effet, plus notre civilisation
est sophistiquée, plus les équilibres en sont fragiles et donc les solutions
plus complexes. Celles-ci exigeront consensus et participation, si on veut
reconstruire un équilibre écologique efficace et bien accepté par une grande
majorité de citoyens et citoyennes.
Des
compromis seront à trouver entre des mesures drastiques de sauvetage et une
juste limite aux sacrifices à consentir. Le progrès viendra plus souvent de la
catastrophe suivie de résiliences que de nos anticipations lucides[1]. Mais la résilience
n'a d'effet que si elle est collective, portée par les peuples eux-mêmes. Le
chacun pour soi n'est pas la solution lorsqu'il s'agit de la planète entière.
La
désobéissance civile ne suffira pas. Elle est indispensable dans des situations
de défense des acquis sociaux – en fait des conquis de haute lutte -- et de
l'environnement. Mais quand il s'agit de résoudre les problèmes de fond, il
faudra bien apprendre à gérer, à autogérer.
Car
l'État, on l'a vu, réagit trop peu, trop tard et souvent dans la mauvaise
direction. La société devra s'impliquer dans une voie de plus en plus
autogestionnaire. Les médias, de leur côté, seraient bien inspirés, lorsqu'ils
diffusent des fictions sur les dégâts de la crise climatique, de mettre
davantage l'accent sur les solutions que sur l'horreur des cataclysmes. Veut-on
tétaniser ou mobiliser ?
Pourtant la confrontation sera assurément violente. Les régimes libéraux-répressifs
ont tous les instruments pour se perpétuer : le pouvoir politique, la finance,
les institutions, l'administration, les lois, les forces de l'ordre, un certain
ordre. Leurs dirigeants auraient tout à perdre en cédant aux exigences des
peuples et en répondant aux urgences climatiques. Ils se battront.
Face à
eux, les peuples ont déjà tout perdu : le niveau de vie, la sécurité
environnementale et l'espoir d'une vie meilleure pour leurs enfants. Eux n'ont
rien à perdre, ils sont le dos au mur. Eux aussi se battront avec l'énergie du
désespoir. Les premiers signes sont déjà là. Les premières victimes aussi.
Partout sur la planète.
Quels rythmes est-on aujourd'hui en mesure
de prévoir pour un changement civilisationnel de cette ampleur ? On sait que
l'histoire des civilisations se fait sur des temps longs. Mais les échéances de
ce 21e siècle vont donner un coup d'accélérateur brutal : la
destruction de nos milieux naturels, combinée à l'incapacité des politiques
libérales à faire les choix économiques et technologiques appropriés ne laisse
aucun espace-temps à l'histoire lente.
Tandis
que notre présent donne à l'histoire une accélération qui englobe toutes les
sphères de la vie, la pesanteur des dogmes libéraux lui oppose encore pour quelques
temps sa force d'inertie. Celle-ci se nourrit également d'une paralysie de
l'esprit, une conscience collective scindée, une double pensée en quelque
sorte. On comprend les impasses et les aberrations, mais on continue à
s'accommoder de l'existant. La finance peut poursuivre ses ravages.
Mais
pour combien de temps ? Après une longue adolescence de type mercantile et
conquérant, le capitalisme a connu une ère de maturité industrielle,
impérialiste et guerrière. Voici venu l'âge de la sénilité financière,
prédatrice et destructrice qui préfigure un gâtisme suicidaire du capitalisme.
Ses jours sont comptés. Quand et comment prévoir l'issue fatale et salvatrice ?
Certains prédisent un effondrement imminent.
C'est ici que la prudence s'impose pour ne pas succomber à une paralysie
générale. De quel effondrement s'agit-il ? S'il est question du système
économique, oui l'effondrement est programmé : toutes les tentatives de
relancer le capitalisme ne font que retarder un peu son autodestruction. Mais
cet effondrement pourrait aussi être notre chance de sursaut. Il ne doit pas
affecter nos équilibres écologiques, mais au contraire créer les conditions
mêmes du retour à un équilibre relatif fondé sur l'adhésion populaire.
L'environnement ne peut s'effondrer que si les
peuples ne réagissent pas – ou trop tard – aux cataclysmes prévisibles, donc en
partie évitables. La question – en forme de cours de vitesse – est désormais :
comment mieux anticiper ? Comment prévenir ? Comment corriger ?
Qui
tranchera le nœud gordien ? Les peuples bien sûr, dans un effort solidaire et
responsable pour inventer un monde différent. Du moins ces parties du peuple
qui acceptent le principe de réalité, la sanction du réel. Anticiper cela
revient-il à prophétiser ? Non, ma méthode a consisté à relier les faits, les
événements, les rapports scientifiques (GIEC) avec les révoltes et les
sursauts. A tracer la courbe – la synthèse – qui en résulte. Et à voir où cette
courbe nous mène.
Notre avenir tient exclusivement dans la
capacité des peuples à se diriger hors des intoxications idéologiques de toutes
sortes et à se confronter aux vrais problèmes. Comme l'exigent déjà massivement
les jeunes.
Un projet de société a été esquissé dans la
première édition, mais la nouveauté réside en ceci : ce qui était une réflexion
théorique est devenue désormais une actualité, une urgence, et commence à
s'insinuer dans la conscience de beaucoup sous d'autres mots d'ordre, d'autres
mobilisations, dans des luttes sectorielles et en fait convergentes. Pour une
vraie démocratie ! Seul chemin vers un nouvel humanisme. L'utopie d'hier est
devenue l'urgence d'aujourd'hui.
Relire
le texte de 1012 (ci-dessous allégé) est un moyen de prendre conscience de nos
profondes capacités de résilience, d'auto-transformation et de créativité
individuelle et collective, inscrites au plus profond de notre patrimoine
génétique et neuronal.
Janvier
2020
[Note rédigée deux mois avant la pandémie]
[1]Note ajoutée le 11 avril 2020 : Que « le
progrès [vienne] de la catastrophe suivie de résiliences », voilà qui est
entrain de trouver une illustration – douloureuse et éclatante à la fois – de
notre difficulté (anthropologique ?) à anticiper. Une course contre la
montre s’engage désormais entre la destruction encours de nos milieux de vie et
nos capacités à réorienter la santé, l’éducation, les transports, l’économie et
les ressources financières, et à ces fins reprendre en mains un exercice
véritable de la démocratie.
POSTFACE
BILAN ET PERSPECTIVES AVANT, PENDANT
ET APRES CRISES
Crise
sanitaire ? Certes, mais pas seulement. Car l'épisode que nous venons de vivre
-- et dont le monde n'est pas encore sorti -- est inédit dans l'histoire :
celui d'un confinement, dans des modalités certes diverses, de plusieurs
milliards d'êtres humains pendant plusieurs semaines.
Cet épisode
n'est pas survenu dans un monde serein et apaisé. Depuis plus d'une décennie,
l'humanité est plongée dans une crise globale, systémique et
multi-dimensionnelle : économique et sociale, écologique, démocratique,
géopolitique.
C'était le
monde d'avant : crise de surproduction, aggravation considérable du chômage et
de la précarité (que les gouvernements dissimulent par de misérables et
cyniques tours de passe-passe faisant croire que le fait de travailler quelques
heures par semaine est synonyme d'avoir un emploi) ; destruction des équilibres
écologiques et multiplication des pollutions, réchauffement et dérèglements
climatiques, déforestation et recul accéléré de la biodiversité ; démocratie
représentative à bout de souffle et discrédit sans précédent des institutions
et des partis politiques ; chaos généralisé sur le plan géostratégique et
déclin continu de la vieille domination
occidentale sur un monde aux inégalités galopantes et aux perspectives
bien incertaines.
On peut
ajouter à cela la menace très concrète représentée par la montée en puissance
de régimes autoritaires voire fascisants dans plusieurs régions du monde.
Crise
sanitaire ? Oui, bien sûr : c'est l'élément nouveau. Mais aussi crise déjà là
et continue dans les autres domaines. La crise sanitaire n'est en rien une
crise isolée, elle est articulée à une crise plus générale.
Car si la pandémie en
elle-même ne peut lui être imputée, ses modes de transmission et sa gestion
désastreuse par les pouvoirs en place ont évidemment à voir avec la crise
générale.
De l'incurie des pouvoirs
publics aux conséquences désastreuses de la crise écologique favorisant la
transmission ultra-rapide et généralisée de la pandémie, en passant par les
effets catastrophiques des politiques économiques d'austérité sur la santé et
l'hôpital public, sans compter l'effet d'aubaine et le cynisme d'un pouvoir
politique réduisant les droits et les libertés et d'un patronat essayant déjà
de faire payer cette crise aux populations qui n'y sont pour rien, populations
qu'on infantilise, culpabilise ou stigmatise... La coupe est pleine ! Et ce
sont bien les capitalistes et les gouvernements à leur service qui sont
responsables de cette situation catastrophique !
1. C'est
précisément parce que cette crise -- à la fois crise du capitalisme et de
civilisation -- a des effets de plus en plus violents et insupportables qu'elle
suscite en retour des luttes et des mobilisations, des résistances et des
pratiques alternatives, dans différentes régions du monde.
La réponse
des capitalistes -- obsédés par la recherche de profits immédiats -- à la crise
des subprimes en 2008 a été de renflouer le système économique par des aides
bancaires massives, en ne changeant pratiquement rien de ce système, sauf à la
marge. La fuite en avant néo-libérale, productiviste, consumériste pour la
partie de l'humanité qui a accès à la consommation, continue de plus belle.
Cependant, à partir de la fin
2010 et de l'année 2011, un nouveau cycle de luttes et de mobilisations secoue
le monde, des révolutions arabes au mouvement des places, de Barcelone à Tel
Aviv en passant par Athènes, New-York, Québec, Maidan ou Santiago du Chili. En
2013 et 2015, le Forum Social Mondial, organisé à Tunis, permet la rencontre
entre le mouvement altermondialiste et ces processus révolutionnaires en cours.
Ce qui
s'exprime dans ces luttes et ces mobilisations nouvelles s'inscrit dans la
continuité de l'altermondialisme. Il y a d'abord le refus des inégalités et des
injustices, de la corruption et du népotisme, dans les sociétés du Nord comme
dans celles du Sud. Mais il y a aussi les exigences de démocratie réelle et de
justice sociale et climatique, de partage des richesses et d'égalité des
droits. Ces exigences relèvent d'une aspiration profonde à une alternative de
société. La révolution féministe continue. De nouvelles générations s'engagent.
Que ce soit dans le domaine de la production, de la consommation ou du mode de
vie, des pratiques alternatives, tout en étant minoritaires, se multiplient.
2. Ainsi,
ce qui en ressort, de manière explicite ou non, a bien à voir avec
l'autogestion comme pratique, comme but et comme chemin. Ces pratiques sont
minoritaires, mais se développent dans les villes comme dans les campagnes,
l'économie sociale et solidaire est en plein essor dans de nombreux pays et
l'aile la plus radicale de l'Economie Sociale et Solidaire (ESS) est associée
aux pratiques coopératives et aux récupérations d'entreprises dans une optique
d'autogestion, notamment en Argentine.
Une
nouvelle culture politique est en gestation, antihiérarchique (aucun terrain de
lutte n'est considéré comme prioritaire par rapport aux autres, aucun mouvement
ne prétend à la domination ou à l'hégémonie sur les autres), anti-autoritaire,
démocratique et autogestionnaire (l'invention d'une alternative à la démocratie
représentative et délégataire à bout de souffle), intersectionnelle
(l'articulation entre les différentes exploitations, oppressions, dominations).
Cette
nouvelle culture politique fait toute sa place au féminisme et à l'écologie, en
particulier dans le refus grandissant des violences faites aux femmes et de la
passivité criminelle des Etats et des gouvernements sur la question de
l'urgence climatique. Là-aussi, s'exprime encore et toujours l'aspiration à
prendre ses affaires en mains, à ne pas subir et tout attendre des pouvoirs
établis, de l'Etat -- tout en exigeant qu'ils assument leurs responsabilités et
de la représentation -- à "faire société" par le bas.
3. L'année
2019 restera dans l'histoire celle de la multiplication des soulèvements
populaires et des processus révolutionnaires dans plusieurs régions du monde.
On y retrouve la même dialectique entre résistances et alternatives, les mêmes
caractéristiques et les mêmes exigences que dans les luttes et les
mobilisations antérieures. Sous des formes et des expressions diverses, on
respire un parfum d'auto-organisation, d'auto-détermination, d'autogouvernement
et d'autogestion : en Catalogne dès 2017, en Equateur, au Chili, en Haïti,
au Soudan, à Hong-Kong, comme en Algérie ou en Irak, ou encore en France -à une
échelle plus modeste -- à travers Nuit Debout (2016) puis le mouvement des Gilets
Jaunes (2018), une référence revendiquée par des manifestant·es aux quatre
coins de la planète un an plus tard.
Bien
entendu, ces soulèvements populaires et ces processus révolutionnaires n'ont
pas nécessairement abouti à l'installation d'alternatives durables et
profondes. Mais ils ont dans la plupart des cas mis un coup d'arrêt à des
mesures iniques, fait bouger les lignes, contribué à déboulonner des pouvoir
établis, imposé des avancées sur le plan démocratique et social, redonné espoir
et confiance, et renforcé l'idée que c'est bien la lutte et la mobilisation qui
peuvent permettre d'obtenir des avancées.
4. Bien
entendu, ces soulèvements populaires et ces processus révolutionnaires ont
connu un coup d'arrêt brutal au moment du déclenchement de la crise sanitaire
en mars 2020. Est-ce que cela signifie qu'ils ont pris fin ? Pendant les
premières semaines du confinement, c'est une évidence. Mais déjà, avant même la
fin du confinement, certes sans la même ampleur, des manifestations et des
mouvements de grève ont été observés dans plusieurs régions du monde. Dans
certains cas, cela s'est produit là où des soulèvements populaires et des
processus révolutionnaires avaient commencé. Et presque partout, la colère
contre les pouvoirs établis n'a jamais été aussi grande, avec un fort potentiel
de révoltes, comme on le voit encore au Liban ou au Belarus en cet été 2020,
dans la lignée des soulèvements populaires et des processus révolutionnaires de
2019 et des années précédentes, avec une fois encore des caractéristiques très
proches.
Quant aux
pratiques alternatives, elles ont continué y compris pendant le confinement,
avec l'invention sur les lieux de vie et de travail d'autres comportements et
des solidarités de voisinage dans les villes comme dans les campagnes.
Sans lien
direct avec la crise sanitaire, la mobilisation contre les violences policières
liées aux discriminations aux Etats-Unis et en France a fait tache d'huile dans
plusieurs régions du monde. Cette mobilisation n'en restera pas là : c'est une
lame de fond. De nouvelles générations se mobilisent, avec une caractéristique
déjà observée dans les soulèvements populaires et les processus
révolutionnaires de 2019 : une participation très forte et souvent majoritaire
des femmes.
Gilbert
Dalgalian nous démontre que les pratiques de l'auto-organisation et de
l'autogestion sont émancipatrices et plongent leurs racines dans des
aspirations humaines très profondes.
Nous
faisons le pari que ces aspirations sont intactes et que, dans les mois et les
années à venir, elles ne s'éteindront pas. Ce qui s'exprime dans différentes
régions du monde resurgira, d'une manière ou d'une autre.
Sans
prendre un grand risque, on peut ajouter à cela que la violence inhérente au
capitalisme, avec son cortège d'injustices, d'inégalités et de discriminations,
et la volonté des pouvoirs établis de faire payer la crise en cours aux
populations, déboucheront de nouveau sur des luttes et des mobilisations de
grande ampleur, des résistances et des alternatives confirmant encore et encore
l'actualité de l'autogestion.
Bruno
Della Sudda, juillet 2020
Notre futur est inscrit dans notre liberté
Dans sa préface écrite deux mois avant la pandémie, « Trois pas de plus dans l’agonie », Gilbert Dalgalian aborde entre autres, la destruction de l’environnement et du climat, l’impasse du capitalisme, la perte de la démocratie, la démission citoyenne et la délégation de pouvoirs, « Les phénomènes de violence eux-mêmes sont souvent en proportion de la perte de démocratie », les mobilisations à travers le monde, les inégalités, « un joli mot pour dire la misère des uns et l’exubérante accumulation par quelques autres », l’impossibilité d’une auto-abolition des privilèges par les privilégiés eux-mêmes, « Il y aura des heurts, des résistances, des aveuglements, des sabotages et des répressions. La violence est le fruit du système », les capacités – dont les capacités d’auto-intoxication – des humains, « C’est avec les mêmes neurones que se construisent les savoirs et les inepties, la science et la superstition, le vrai et le faux »…
Dans une première sous-partie « La destruction de notre environnement », l’auteur aborde le cumul des menaces qui englobent tous les fondements de la vie, l’oxymore « capitalisme vert », la place de la dette et des armements…
Dans la seconde sous-partie, il analyse « l’agonie amorcée du capitalisme », l’insécurité alimentaire, « une sorte de génocide à bas bruit en somme », la mal nommée intelligence artificielle, la place des ressources extractives…
La troisième partie est consacré au verrou que constitue l’absence de vraie démocratie, la démocratie réduite à la délégation permanente, « Une délégation de pouvoirs, sans mandats impératifs ni contrôle est une mise à l’écart du peuple », les procédures de surveillance des citoyen·nes, la « responsabilité incontrôlée des sommets de l’Etat »…
Gilbert Dalgalian discute ensuite des changements nécessaires de notre rapport à la nature, de nos priorités économiques, de la dette injuste et odieuse, des fonctions régaliennes de l’Etat, de la défiguration des producteurs et des productrices (« de leur expropriation de tout »), des changements impératifs de notre rapport à l’Etat, de contrôle et de délégation, de la notion de vote utile, « le vote utile n’est utile qu’à celui qui en bénéficie ». Il propose des pistes pour inventer « une démocratie authentique », donne place à la désobéissance civile, questionne « Comment mieux anticiper ? Comment prévenir ? Comment corriger ? »…
Je rappelle ma note de lecture, Pour faire un humain, il faut des humains, de la précédente édition, Pour faire un humain, il faut des humains. Je ne reviens pas ici sur le corps du livre. Outre certains éléments de la préface, j’en souligne d’autres extraits du Journal de bord : Leçons cruciales de la pandémie et de sa gestionet de la postface de Bruno Della Sudda, Une crise globale et systémique qui va s’approfondir : covid, résistances, alternatives et actualité de l’autogestion.
Quelques éléments choisi subjectivement dans le Journal de bord du 27 mars au 2 juillet 2020, une catastrophe sanitaire, un certain niveau d’autosuffisance nécessaire, « notamment alimentaire et sanitaire », la solidarité et la sobriété, nos ressources, « la créativité des hommes et des femmes, la coopération solidaire, y compris internationale, la mise au pilori de toutes les formes de racisme, de sexisme et de xénophobie, l’investissement sur la matière grise inépuisable dans tous les domaines », l’annulation des dettes, les solutions concrètes à la crise mises en œuvres par « les personnels de santé, de nettoyage et de voirie, les agents des services publics et de transports, dans une adaptation permanente aux nouvelles contraintes de vie et de survie », les liens entre le réchauffement climatique et la pandémie, les initiatives citoyennes, les Scop, le droit international et la libre circulation des personnes, la convention citoyenne, « Je mets l’ensemble des gauches au défi de suivre l’exemple de la Convention citoyenne : tirer au sort 500 citoyens et citoyennes qui se reconnaissent écolos et de gauche pour définir lors d’un travail commun un authentique programme de sortie du productivisme libéral-répressif », la baisse massive du temps de travail… Je souligne aussi les multiples propositions de l’auteur en matière d’éducation, la polyvalence éducative, la motivation et la curiosité des élèves, une nouvelle philosophie éducative…
« La crise sanitaire n’est en rien une crise isolée, elle est articulée à une crise plus générale ». En postface, Bruno Della Sudda discute, entre autres, du nouveau cycle de luttes et de mobilisations, de l’autogestion « comme pratique, comme but et comme chemin », de nouvelle culture politique et des dimensions anti-hiérarchiques et anti-autoritaires, de la place du féminisme et de l’écologie, du potentiel des révoltes…
Le titre de cette note est emprunté à Gilbert Dalgalian. Il s’agit de la dernière phrase de sa postface sur la méthode.
Gilbert Dalgalian : L’autogestion : un impératif pour la démocratie
Editions L’Harmattan, Paris 2020, 232 pages, 23,50 euros
Didier Epsztajn
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