Nous parlons d’un conflit social généralisé, issu de la volonté d’accélérer le démantèlement de l’Etat social en « réformant » le régime des retraites, et de la réaction de masse, organisée par les syndicats, soutenue par la majorité des citoyens, qu’il a déclenchée. En se heurtant à l’arrogance du pouvoir et à la brutalité policière, il débouche sur une mise en crise du régime où nous vivons. Certains (dont je suis) pensent aussi que le capitalisme révèle ici l’acuité de ses contradictions historiques. Comment comprendre cette dynamique, et les possibilités qui en découlent ?
Deux noms me semblent incontournables. Le premier est lutte de classes : au cœur du conflit, l’enjeu stratégique de distribution des ressources entre les « forces de travail » (tous ceux qui font vivre la société et ses services fondamentaux) et la « classe capitaliste », désormais complètement internationalisée. Rarement aura-t-on vu un gouvernement incarner aussi ouvertement les intérêts de l’oligarchie financière. Mais rarement aussi les dilemmes de la prolétarisation de masse et d’une vie dans la dignité seront apparus de façon aussi globale, aussi politique. Il est frappant que ce soient les syndicats qui lui aient fourni son encadrement et sa cohérence.
Le second est insurrection. Non pas la tentative de « prendre le
pouvoir » ou de le « destituer » que le gouvernement
brandit pour légitimer la répression, et dont, en miroir,
des révolutionnaires en chambre déclarent l’imminence. Mais une
insurrection pacifique et démocratique, donnant au peuple la capacité
d’exercer un rôle dirigeant dans l’Etat. L’avenir proche nous dira si elle
résiste à la répression, au découragement, à la précarité, pour forcer
le président au recul et instituer de l’irréversible.
Ni la lutte ni l’insurrection ne suivent un plan, même si elles ont besoin d’objectifs et d’imagination. Compte tenu des forces qui s’y agrègent aujourd’hui, des formes de lutte en devenir, je mettrai l’accent sur deux exigences. D’abord la défense des libertés, à commencer par la « sûreté » des citoyens, et le droit d’occuper l’espace public de façon « oppositionnelle ».
Ne faudrait-il pas aller vers des assises nationales, pour faire interdire les pratiques répressives et renforcer les garanties constitutionnelles ? Ensuite l’extension de la démocratie au-delà des contre-pouvoirs parlementaires, dont la forme ne suffit manifestement plus pour faire avancer la résolution des « contradictions au sein du peuple ». Les élus municipaux pourraient user de leurs pouvoirs pour inviter manifestants et grévistes à s’assembler pour débattre, avant d’éventuels Etats-Généraux de la refondation sociale et politique.
Le rapport des forces est fragile. Le piège de l’affrontement entre la
« rage » de ceux qu’on piétine et la violence militarisée est
tendu. Mais le peuple peut inventer une insurrection adaptée à notre
époque, unissant révolte, obstination et innovation institutionnelle.
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