Cette intervention a été prononcée le 10 juin 2017 lors de la journée d'étude du Réseau sur l'autogestion et les processus révolutionnaires de notre temps.
L'altermondialisme et les révolutions arabes
Nous
sommes en même temps dans le temps long et dans un temps de la
rupture; et donc c'est assez difficile à articuler, en vérité.
Dans le temps long des révolutions et dans le temps de ruptures très
fondamentales et multiples.
"Révolutions
arabes", c'est très compliqué. D'ailleurs comme disait
Richard, l'Amérique Latine c'est très compliqué parce que,
finalement, les vraies révolutions en Amérique Latine sont
culturelles. C'est le fait que les mouvements indiens, noirs, latinos
reconfigurent y compris les Etats Unis. Et bien le Monde Arabe n'est
pas arabe; il est berbère, il est kurde, il est turc, il est
iranien... et donc, on ne peut pas parler d'un Monde Arabe. On peut
parler des éléments de culture arabe qui jouent. On a pris un peu
l'habitude de dire çà, mais si on étudie, si on réfléchit sur
les insurrections qui ont lieu à partir de 2011 et sur ce qui se
passe dans la région aujourd'hui, ce n'est pas une réflexion sur le
Monde Arabe.
Et
donc je vais partir d'une définition de l'Altermondialisme qui me
permet de réfléchir sur ce qu'ont apporté ces insurrections par
rapport justement au mouvement altermondialiste. Pour moi,
l'Altermondialisme ce ne sont pas les Forums Sociaux mondiaux. En
tout cas çà ne se résume pas aux Forum Sociaux Mondiaux.
L'Altermondialisme,
de mon point de vue (c'est une hypothèse que j'ai développé dans
le livre sur une stratégie altermondialiste), c'est la réponse des
peuples au néo-libéralisme. Donc ça commence vers 1980, fin des
années 70, début des années 80. Il y a plusieurs phases de
l'Altermondialisme, puisque c'est une période longue.
La
première phase de ce mouvement altermondialiste, elle est dans le
sud, parce qu'on est face à une recolonisation. Elle se fait autour
des mouvements contre l'ajustement structurel et contre la dette.
C'est ce qui est dominant dans le mouvement de contestation et de
refus de la fin des années 70 et du début des années 80. Et puis
après, il y a une deuxième phase qui correspond à un autre passage
du néolibéralisme qui cherche à construire le système
institutionnel de son hégémonie à travers les institutions de
Bretton Woods : la Banque Mondiale, le FMI et l'OMC
(l'Organisation Mondiale du Commerce) proposée comme nouvelle forme
d'organisation internationale. La deuxième phase de
l'Altermondialisme, ce sont les luttes contre les institutions
internationales du néolibéralisme et contre l'OMC; ça se traduit
notamment par les grandes manifestations qui vont de Nice, à Gênes,
et à Seattle évidemment. Et là on passe à une troisième phase de
l'Altermondialisme que sont les Forums Sociaux Mondiaux en réponse à
la fois à Davos et à l'OMC et qui nous amène jusqu'à aujourd'hui.
Maintenant
nous allons commencer, nous sommes dans une quatrième phase de
l'Altermondialisme qui inclue et qui nécessite le renouvellement, la
réinvention des Forums Sociaux. Voilà, c’est mon hypothèse. Dans
cette hypothèse, justement, les insurrections de 2011, qu'on appelle
le printemps arabe ou les révolutions arabes (peu, importe le nom
qu'on leur donne) et qui commencent à Tunis en 2011, c'est le
passage de la 3ème phase à la 4ème phase. Qu'est ce qui se passe à
ce moment là? Ca commence à Tunis et les deux premiers Pays dans
lesquels çà se passe c'est la Tunisie et l'Egypte. Puis après, çà
gagne le reste de la Région avec le Yémen, Barhein, la Syrie,
l'Irak etc ; puis çà s'étend à la Méditerranée et çà
traverse l'Atlantique.
Qu'est
ce que ce mouvement qui est, de mon point de vue, dans le courant
altermondialiste (je vais expliquer pourquoi il reprend un certain
nombre de ses hypothèses) et, en même temps, un passage à quelque
chose de nouveau. Le mouvement de Tunis est très intéressant parce
qu'il y a, d'une certaine manière, le programme de passage de la
période précédente à la période à venir. Ca s'exprime assez
facilement contre les discriminations et contre les inégalités ;
çà c'est fondamental et d’ailleurs, l'an dernier, Davos a accepté
l'idée que la question principale dans le Monde, c'était la
question des inégalités. Ce qui montre quand même
qu'idéologiquement il y a eu des batailles importantes. Donc
inégalités et discrimination; deuxièmement, dominations parce que
la décolonisation n'est pas terminée. Troisièmement, la question
écologique a été au début assez faible mais pas absente,
notamment par la question de l'eau et la question des phosphates.
Quatrièmement, la question, difficile à définir, de la démocratie
qui est en réalité la question des libertés. La demande de
démocratie, c'est la demande d'un système qui préserve les
libertés individuelles et collectives et pas une forme juridique de
fonctionnement des institutions qu'on appelle démocratie.
Et
puis il y a quelque chose de nouveau qui s'est exprimé à Tunis et
qui est à mon avis la question fondamentale aujourd'hui, c'est celle
de la corruption. La question de la corruption est arrivée comme
étant le premier élément d'ailleurs; c'est là-dessus que les
premières manifestations ont eu lieu. La question de la corruption,
c'est celle qu'on retrouve dans tous les mouvements qui ont suivi
Tunis ; que ce soit en traversant la Méditerranée :
l'Espagne, la Grèce ou le Portugal ; Que ce soit les
« Occupy », que ce soit les « carrés rouges »,
que ce soit les étudiants chiliens, que ce soit la place Taksim à
Istamboul... il doit y avoir 40 ou 50 mobilisations qui ont entraîné
des millions de personnes dans la rue sur la question de la
corruption. Mais la corruption, ce n'est pas le « bakchich »,
bien que çà désigne exactement l'évolution des formes de pouvoir
et notamment des formes de pouvoir patrimoniales et rentières.
L'Etat est contrôlé par des oligarchies patrimoniales et rentières
un peu partout dans le Monde. Et donc c'est contre eux que se
mobilisent les peuples. Mais c'est aussi une question beaucoup plus
importante : La corruption, c'est la fusion du politique et du
financier qui abolit le politique et qui explique le rejet et la
défiance par rapport aux formes du politique qu'on peut voir un peu
partout dans le Monde. Voilà ce qu'a apporté le mouvement des
révolutions arabes. Disons, d'une certaine manière, que ça a
confirmé un programme d'émancipation et çà a confirmé l'analyse
qui pouvait être faite de la situation. C'est le premier élément,
c'est pour çà que je dis que ça se situe dans le mouvement
altermondialiste.
Mais
la deuxième raison, c'est que ça a repris tout une partie des
éléments de culture politique portée par le mouvement
altermondialiste. Notamment, l'idée de la diversité comme une
question fondamentale. Diversité qui est une question théorique, ce
n'est pas une question d'organisation. Dans le mouvement
altermondialiste, la Marche Mondiale des Femmes et le mouvement
féministe ont joué un rôle très important du point de vue
culturel. Quand les femmes ont dit « on n'est pas une
contradiction secondaire, donc on ne subordonnera pas notre lutte
contre l'oppression à d'autres luttes », tous les mouvements
l'ont repris. C'est donc un fondement de culture politique qui
construit l'Altermondialisme. On l'a retrouvé dans les révolutions
dites « arabes », en tout cas à Tunis et en Egypte et
ensuite en Espagne et dans tous les autres endroits. Donc cette
question de la culture politique, c'est un élément très important.
L'autre
élément qui a été très clair à Tunis, en Egypte et partout
ailleurs après, c'est l'arrivée d'une nouvelle génération. Ce
n'est pas une génération « d'âge », mais une
génération culturelle. C'est quoi cette nouvelle génération,
c'est la transformation, fondamentale, des sociétés avec la
scolarisation. Finalement, depuis la décolonisation, l'élément
fondamental des sociétés, c'est la scolarisation. En 1968, 20% de
la classe d'âge était à l'Université. A la décolonisation du
Congo Kinshasa, il y avait 3 bacheliers dont 2 à Bruxelles.
Aujourd'hui il y a des centaines de milliers de personnes dans
l'enseignement supérieur. Donc la scolarisation est un événement
massif et cette scolarisation a eu une double conséquence.
Une
première conséquence, çà a été l'émigration des « qualifiés »
qui a effectivement eu de très grandes conséquences et qui fait
qu'aucune génération n'est isolée comme elle l'était avant (avec
les réseaux sociaux, internet) et que les générations sont
dispersées dans le Monde. La deuxième grande conséquence, ce sont
les diplômés chômeurs. C'est la précarisation des scolarisés.
Et çà conduit à un changement de culture politique assez profond,
parce que la demande d'émancipation, évidemment, n'est pas la même.
Peut être que certains se rappellent de ce film d'Ettore Scola qui
était un très beau film. C'était un jeune italien pour qui tout le
rêve et toute la stratégie de sa famille étaient qu'il puisse
entrer dans une administration et y obtenir avoir un poste. C'était
çà l'idée de l'avenir de cette génération. Aucune génération
aujourd'hui ne pense que ce sera çà son avenir. Et donc, çà
change fondamentalement les chose, y compris pour nous, par rapport à
ce que nous avons comme propositions ou comme projet
d'émancipation.Je pense que cette nouvelle culture politique est
très importante.
Un
autre élément qui est très important aussi, c'est qu'on se rend
compte dans le mouvement altermondialiste (couronné en quelque sorte
par ces insurrections de 2011) que la question se pose au niveau des
grandes régions. Ca rappelle quelque chose : la démocratisation se
fait par grandes régions, elle ne se fait pas seulement pays par
pays. La démocratisation de l'Europe du Sud s'est faite par la
sortie des dictatures en même temps en Grèce, en Espagne et au
Portugal. La démocratisation de l'Amérique latine s'est faite en
même temps avec la sortie des dictatures par rapport au plan condor.
Ca veut dire que ce n'est pas le débat sur l'Europe, ce n'est pas
l'Union Européenne qui est en cause; c'est l'idée effectivement de
la nature des grandes régions dans la mondialisation aujourd'hui, de
la nature politique et culturelle des grandes régions. Voici
quelques éléments que nous laissent les révolutions dites
"arabes".
Évidemment,
le problème c'est que, dès 2013, on est dans la contre-révolution.
Et çà nous rappelle aussi quelque chose : en général toutes
les révolutions sont suivies de contre-révolutions et les
contre-révolutions durent beaucoup plus longtemps que les
révolutions. Nous le savons avec la Révolution française
évidemment; on l'a appris avec beaucoup d'autres choses. Les
révolutions ne se font que dans la durée, ce sont des périodes
longues; ce sont des révolutions longues.
Si
on veut avoir une référence historique par rapport à ce qui se
passe dans le monde arabe aujourd'hui avec la violence des
contre-révolutions en cours Si on veut en avoir une idée, la
référence qui s'impose un peu, c'est la révolution des
nationalités de 1848 en Europe. On a beaucoup de similitudes d'une
certaine manière, même si ce n'est pas du tout la même chose. En
1848, il n'y avait pas internet, mais en 2, 3 ans çà s'est étendu
sur une grande partie des pays européens ; ça n'a pas gagné
tout de suite. Il a fallu attendre 50 ou 60 ans pour que l'Etat
nation sorte finalement de la révolution de 1848. Donc je pense que
les révolutions arabes sont en cours Beaucoup de choses vont se
passer, mais pour l'instant nous sommes dans les contre-révolutions
J'en
arrive maintenant à cette deuxième partie. Dans la région, ces
révolutions ont porté des formes d'organisation,
d'auto-organisation plutôt que d'autogestion, pendant ces moments là
et qui sont passionnantes. Sur internet, quelqu'un a fait une étude
sur la manière dont était utilisée la place Tarhir, au Caire où a
eu lieu la révolution avec des centaines de milliers de gens. Elle a
été auto-organisée de manière incroyable, avec une capacité
d'auto-organisation. Elle a été à la fois protégée et
auto-organisée. C'est là qu'on voit arriver effectivement de
nouvelles formes d'auto-organisation extrêmement intéressantes Et
c'est ce qu'on voit aujourd'hui dans toute une série de nouvelles
luttes qui suivent et qui montrent que ça n'est pas arrêté. Par
exemple, encore ces dernières semaines à Tataouine, en Tunisie, à
la frontière libyenne il y a des mouvements de jeunes qui se sont
auto-organisés et qui ont d'ailleurs arrêté les terminaux
pétroliers. Dans le Rif, au Maroc, en Algérie, un peu partout, on
voit bien qu'il y a des formes d'auto-organisation de mouvements qui
sont des mouvements de jeunes au sens où je disais tout à l'heure,
c'est à dire d'une nouvelle génération culturelle et qui
évidemment sont très différents parce que tout dépend des
situations. En Tunisie par exemple, l'existence de l'UGTT a fait que
la révolution tunisienne a pris des formes qu'elle n'a pas pris
ailleurs, parce que le mouvement syndical était suffisamment fort.
Il y a quelque chose qui est en cours et qui est tout à fait
passionnant.
En
fait, nous avons deux contre-révolutions dans la région, mais pas
seulement dans la région. On a une contre-révolution qui est
portée par des anciens régimes et qui éclaire ce qu'étaient ces
anciens régimes. Ces anciens régimes, c'étaient des régimes
rentiers, patrimoniaux, appuyés ou en alliance - d'ailleurs pas
appuyés - en alliance avec des forces militaires, avec les armées
ou des polices. En Tunisie, c'était plutôt une police, en Egypte
c'est évidement une armée. En Egypte, l'armée est une puissance
économique. Elle a ses usines... Donc effectivement çà fait partie
du pouvoir. Certains avaient pensé que les révolutions dites
« arabes » allaient se faire très vite, en référence
aux révolutions de l'Europe de l'est ; c'est à dire qu'on
allait avoir, finalement, une période non violente de 10-15 ans qui
allait permettre d’asseoir de nouveaux régimes. En fait çà ne
s'est pas passé comme çà. Celui qui a le mieux travaillé sur
cette question, c'est Gilbert Achcar qui a fait plusieurs papiers
tout à fait intéressants et qui raconte très très bien,
justement, la nature de ces régimes. Donc, il y a une
contre-révolution des anciens régimes et il y a une contre
révolution islamiste, des forces islamistes. Evidemment, ces forces
islamistes, contrairement à ce qu'elles pensent, ne sont pas tombées
du ciel.
On
retrouve les deux courants qui ont lutté pour la décolonisation.
Par exemple, les courants islamistes, comme le Mahdi au Soudan,
étaient des courants organisés. Les courants islamistes existent
depuis très longtemps dans la région. Mais ils avaient été d'une
certaine manière contenus et battus politiquement par les courants
baasistes et nassériens. Ces courants sont dans la région, la
concrétisation de l'alliance de Bakou. C'est la concrétisation de
l'intelligence de Zinoviev et de Lénine qui en 1920 ont proposé une
alliance stratégique entre les mouvements de libération nationale
et le mouvement communiste. Auparavant ils se faisaient la guerre et
ensuite, à Bakou, il y a eu une alliance stratégique qui a mis
beaucoup de temps, d'ailleurs, à s'imposer, le PC français étant
parmi les derniers à être entré dans cette alliance, comme on l'a
vu pour l'Algérie. En tout cas, c'était quand même une alliance
stratégique mondiale. C'est un des plus beau exemples d'une alliance
stratégique, parce qu'effectivement, "çà gauchisait"
(entre guillemets) tous les mouvements de libération. Et en même
temps, cette alliance a permis finalement d'encercler l'impérialisme.
De 1920 à 1970-80, on a une montée en puissance avec les
révolutions chinoises, vietnamienne, cubaine etc. Elle s'est
fissurée à peu près à partir de 1965 avec la rupture entre le PC
chinois et le PC soviétique et puis elle s'est cassée ensuite.
C'est çà le temps long.
Le
néo-libéralisme se construit sur l'échec - pas l'échec, la
défaite - de cette alliance. Dans le Monde arabe, dans le Monde dont
nous parlons, l'échec de cette alliance, elle est construite à
partir de l'utilisation d’Israël pour casser cette alliance. et
notamment, à partir de la première tentative en 1956 (SUEZ) et
surtout 1967. La guerre de 1967 fait exploser la région et marque
l'échec du nassérisme et du baasisme en Irak et en Syrie. Cet échec
décompose la région et il la fait éclater. En fait, il y a une
stratégie occidentale, pas seulement américaine, parce qu'à Suez
ce sont les français qui étaient impliqués. Les américains
avaient compris que ce n'était pas une idée géniale. Et donc à
partir de Suez, les alliances baasistes et nassériennes, qui
s'étendaient sur la région du Moyen orient et sur le Maghreb,
éclatent. Il y a une décomposition, d'une certaine manière, avec
le ralliement de Sadate en Egypte, avec la montée des baasistes en
Irak et en Syrie. Cette région, dans les suites de l'Empire Ottoman,
avait une certaine homogénéité ; elle reposait sur l'idée
qu'il y avait 4 puissances qui étaient la Turquie, l'Egypte,
l'Irak-Syrie et l'Iran. Construire une région qui pouvait avoir une
autonomie par rapport à l'impérialisme, çà voulait dire çà.
C'est ce que proposaient, d'une certaine manière, à la fois Nasser
et le Baas syrien.
C'était
compliqué. Certains d'entre vous se rappellent de Claude Bourdet. Un
jour quelqu'un pose une question à Claude Bourdet au PSU en disant
"Claude qu'est ce que c'est le Baas Syrien" - il revenait
de Syrie. Et Claude dit : "le Baas syrien je vais t'expliquer,
c'est comme le PSU avec une division blindée à la tête de chaque
congrès ». Maisil y avait une stratégie commune qui avait été
bâtie par Nasser à un moment donné et à laquelle l'Algérie
s'était ralliée ensuite, puis la Libye et qui consistait à dire
« il faut une région pour pouvoir exister par rapport à
l'impérialisme ». Ce projet, effectivement subit des coups de
boutoir. Ce sont les guerres (67, 73...) qui liquident ce projet. et
qui font monter en puissance des régimes rentiers. En même temps
qu'il y a l'éclatement de cette région, il y a la révolution
iranienne qui est l'entrée, la montée en puissance de l'islamisme
comme candidat pour une forme d'émancipation. Ca nous choque un peu
de dire çà comme çà, Mais, pour eux, c'est çà. Et donc on
arrive à ces deux contre-révolutions – non, plutôt les régimes
et les courants islamistes qui se construisent à travers l'Iran,
puis ensuite en 1985 en Algérie ; ce sont des moments très
forts de la montée en puissance de l'islamisme comme revendiquant
une place sur l'ensemble de la région euro-africaine . Ce qui
se passe en Inde, en Asie, c'est un peu l’Hindouisme qui constitue
une nouvelle forme politique.
L'échec
du projet communiste comme projet mobilisateur à tendance
universaliste se traduit par la montée en puissance de ces courants.
En même temps qu'il y a cette déstabilisation, il y a la
construction de la réponse occidentale autour de l'Arabie Saoudite
et du Golfe comme point d'appui et comme réponse à la montée
iranienne. Elle instrumentalise les divergences entre chiisme et
sunnisme exactement comme tous les tribalismes sont instrumentalisés
par les colonisations : On voit bien que le Qatar est sunnite
mais il appuie les chiites. Ce ne sont pas vraiment des guerres de
religion. Ce sont des guerres instrumentalisées. Ce sont les
puissances du Golfe qui instrumentalisent pour s'opposer à ce qui
était au début de la montée de l'islamisme, c'est à dire l'Iran.
On
en est là et donc la question pour les révolutionnaires de cette
région est une question très compliquée : Est ce qu'il faut
refaire une alliance de Bakou avec ...les islamistes? Je suis un peu
provocateur, mais ... L'idée est la suivante: comment vont évoluer
les courants islamistes? Effectivement les courants islamistes sont
en pleine contradiction. Un très bon exemple qu'on a eu, c'est
l'exemple de la Tunisie. Il faut se rappeler quand même qu'au Maroc,
il y a eu un grand débat dans le mouvement de soutien et dans les
mouvements marocains : Est ce qu'il fallait défendre les
islamistes qui étaient en prison ? et la réponse avait été oui.
Il y a eu des moments dans lesquels il y a eu des alliances entre
différents courants qui sont des courants totalement
contradictoires. L'idée, c'est de savoir s'il y a des évolutions
possibles des mouvements islamistes? Quelles sont les évolutions
possibles des mouvements islamistes ? Les positions possibles
des mouvements islamistes sont très diverses. Il y a en même temps,
dans les mouvements islamistes, un courant wahhabite, contrôlé par
l'Arabie Saoudite; Il y a le courant des frères musulmans, qui est
un courant sunnite qui cherche l'alliance avec les chiites. Il y a le
courant Daech et les courants djihadistes. Il va y avoir des
contradictions extraordinaires dans les mouvements islamistes. Le
problème est de ne pas unifier les islamistes, de les diviser pour
qu'une partie d'entre eux puisse basculer ou participer à des formes
de résistance. C'est tout à fait fondamental et d'ailleurs, on le
voit bien, on est dans une période de grandes ruptures.
On
parlait du Brésil tout à l'heure. Le PSU nous a appris un peu çà
: Comment à un moment donné, l'alliance avec la gauche chrétienne
est un élément fondamental de changement des rapports de forces
dans une situation? Au Brésil, la construction du PT s'est faite
avec des courants trotskystes, maoïstes, et les comités
théologiques de base et même, certains courants évangélistes que
l'on voit ressortir aujourd'hui. Au début, il y avait des courants
évangélistes contre la dictature. Le problème, c'est que c'est le
projet politique qui permet de construire l'alliance, ce n'est pas le
fait que, finalement, on va avoir les mêmes idées sur la laïcité.
Je voulais vous dire çà, parce qu'à mon avis c'est le problème
principal. Gilbert Achcar, par exemple, quand on lui pose la question
"qu'est ce que tu penses par rapport à la situation", dit
: « Finalement le mieux serait de pousser à un rapprochement
entre les deux contre-révolutions, entre les régimes, dictatoriaux,
et les islamistes ; parce que le pire pour la gauche, c'est de
chercher systématiquement à s'allier avec l'un contre l'autre ».
C'est ce qu'on voit en Syrie, c'est ce qu'on voit un peu partout. Par
rapport à la montée en puissance des courants fascisants en Europe
et aux Etats Unis, il y a des leçons sur lesquelles il faut
réfléchir par rapport aux formes des contre-révolutions.
A
partir de là, il y a beaucoup de réflexions. On est dans une
situation de ruptures géopolitiques fondamentales avec la fin de
l'hégémonie américaine. Comme on disait dans le temps, "le
tigre blessé est plus dangereux que le tigre en bonne santé".
surtout si il a les dents à Trump. Il faut se rappeler quand même
que, sur cette question géopolitique, l'évolution vers un monde
multipolaire est quelque chose qui entraîne plein de contradictions
nouvelles. La référence du système international, c'était le
monde bi-polaire. On est passé dans un monde uni-polaire et là, on
va tendanciellement vers un monde multi-polaire. Et dans le monde
multi-polaire, les puissances régionales sont beaucoup plus
autonomes. Ca accentue les risques de guerres. En même temps la
réponse de l'impérialisme qui reste, quand même, le plus
important, c'est une stratégie de la déstabilisation. Alain Joxe
l'a très bien analysé dans son dernier livre. L'exemple de l'Irak,
c'est l'exemple parfait : « Si vous n'êtes pas assez fort pour
occuper et diriger, divisez. Si il y a suffisamment de conflits, de
guerres etc, vous pouvez conserver le territoire utile. Ca demande
beaucoup moins de forces ». Il y a une évolution y compris des
stratégies militaires qui est très importante et dans laquelle il y
a beaucoup de choses qui se jouent. Heureusement que, pour l'instant
les chinois ont l'air de garder la tête froide, puisqu' ils viennent
de déclarer qu'ils ne feront pas l'erreur de Brejnev et qu'ils ne
vont pas armer pour répondre aux Etats Unis. La proposition qu'a
faite Trump, c'est : nous allons lancer un bouclier de
missiles » pour les obliger à armer, comme ça a été fait
pour l'Union Soviétique, et donc, ne pas pouvoir mener à bien leur
programme de développement de leur petite bourgeoisie ou leur classe
moyenne. Ils ont dit : « Nous ne ferons pas la même erreur,
nous n'allons pas suivre la course aux armements ». On est
vraiment dans un débat général de géostratégie militaire qui est
tout à fait passionnant.
Je
voudrais terminer juste en citant deux éléments. On est évidement
dans une période où on retrouve l'idée sur laquelle va se
reconstruire la nouvelle phase du courant altermondialiste à la
suite de 2011. Ce sont les nouveaux mouvements des 3 ou 4 dernières
année, qui sont extrêmement riches et nouveaux.
Il
y a une offensive extrêmement forte notamment de nouvelles
idéologies fascisantes, les nouveaux monstres dont parlait Gramsci.
C'est racisme, boucs émissaires des migrants, xénophobie... Mais
les sociétés résistent mieux. Quand on voit notamment les
réactions aux Etats Unis contre Trump... Avec un certain nombre
d'associations nous avons lancé un mouvement qui s'appelle "Sursaut
Citoyen" dans laquelle nous avons dit « ce n'est pas vrai
que la société française est raciste ; ceux qui ont des
initiatives de soutien et de solidarité avec les migrants, faites
vous connaître ». En 3 semaines on a eu 1079 initiatives. On
en a fait une cartographie. Les sociétés résistent beaucoup mieux
qu'on y pense; il y a des résistances. Il y a aussi des formes de
lutte comme « black life matter » ou des formes de lutte
des "minorités" (entre guillemets) qui s'organisent de
façon très déracisée. Et puis il y a des mouvements comme Notre
Dame des Landes, Standing Rocks... C'est quelque chose d'assez
passionnant et dans lesquels ont retrouve toute une série de formes
nouvelles qui sont dans la continuité de l'Altermondialisme. Il ne
s'agit pas de revendiquer, ce n'est pas du tout çà. Mais on peut
dire que politiquement et culturellement il y a une continuité avec
ces nouveaux mouvements. Et donc comment reconstruire à partir de
ces mouvements une nouvelle étape ?
Je
terminerai là dessus. La question qui nous est posée, c'est que...
la résistance, à la limite, ce n'est pas facile à faire mais c'est
facile à imaginer. Par contre, à partir de cette question, quel est
le projet alternatif qu'on veut construire. Richard parlait tout à
l'heure de la montée en puissance du mouvement altermondialiste en
Amérique latine et du rôle qu'il a joué. Le moment le plus
important a été Belem en 2009. Parce qu'à Belem en 2009, il y a eu
des propositions de résistance ; ça a été notamment le
programme qui a été développé par ATTAC sur le contrôle de la
finance, les paradis fiscaux (qui a été repris d'ailleurs par la
commission Stiglitz des Nations Unis dans le green new deal). Mais il
y a eu aussi pour la première fois un ensemble de mouvements - le
mouvement des femmes, le mouvement indigène, le mouvement paysan Via
Campesina, le mouvement écologiste – qui ont dit :
finalement, c'est la transition écologique, sociale et démocratique.
En gros, c'est à peu près çà comme projet. C'est un projet qui a
été élaboré avec de nouveaux concepts : le bien commun, le buen
vivir etc.
Donc
, même pour exister, il faut un projet. Là, on a une grande
difficulté.
Je
laisse de côté les projets de la bourgeoisie. Mais ils sont très
intéressants à étudier, parce que je pense que dans la
bourgeoisie, il est possible que se développe des contradictions
fortes entre la bourgeoisie extractiviste, pour simplifier, et la
bourgeoisie de la Silicon Valley. Regardons les projets des
mouvements. Nous avons toujours dit qu'il y avait une liaison entre
les bases sociales et le projet, mais cette base n'est pas
déterministe. Ce n'est pas la classe ouvrière/ le socialisme. Ca
veut dire qu'il y a des liaisons beaucoup plus compliquées entre
base sociale et projet. Or actuellement, nous sommes confrontés à 3
bases sociales/projets qu'il est très difficile de faire converger.
En France c'est caricatural, mais c'est partout dans le Monde.
Il
y a une base-projet qui est la Loi Travail Le mouvement contre la loi
travail, c'est clair. Il y a une base sociale, il y a un projet. La
base sociale, c'est la partie stable des salariés: les techniciens,
les enseignants... Il y a une deuxième base-projet qui en France a
été assez bien représentées par Nuits Debout et qui sont les
scolarisés précarisés. C'est elle qu'on a retrouvé à Tunis avec
les chômeurs diplômés; c'est elle qu'on retrouve avec les
étudiants chiliens, avec l'endettement des étudiants, c'est elle
qu'on retrouve avec ?????? à Barcelone. Il y a effectivement une
base sociale de scolarisés précarisés et qui n'est pas la petite
bourgeoisie ; qui n'est pas réductible à la petite bourgeoisie
ou aux bobos, comme on dit. Ce sont les scolarisés précarisés et
c'est quand même un phénomène massif. La troisième, ce sont les
discriminés et les quartiers populaires. Pour l'instant, notre défi
c'est de savoir comment nous arriverons à faire converger. Il y a
des essais. Nuit Debout, ils ont essayé d'aller dans les quartiers,
çà a un peu marché. Le DAL a réussi à faire un petit truc, mais
çà n'a pas été massif. De la même manière, il y a eu aussi des
liaisons entre Nuits Debout et les manifs contre la Loi Travail. Mais
on ne peut pas dire qu'on a construit quelque chose de commun.
Voilà,
il nous reste des choses à faire
Transcription
de l’intervention de Gus Massiah par Jean Louis Griveau
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