mercredi 23 décembre 2020

Au McDo de l'entraide, venez comme vous êtes !


Voilà une pratique alternative, avec des dimensions solidaire, populaire et autogestionnaire , qui mérité d'être connue autour de nous. Cet article est repris du journal Libération du 17décembre dernier.

Bruno Della Sudda

Dans les quartiers Nord de Marseille, d’anciens salariés ont transformé en plateforme solidaire leur restaurant mis en liquidation judiciaire. Distribution de colis alimentaires, soins et chaleur humaine: ils veulent pérenniser le lieu. 

Tribune. Quartiers Nord de Marseille: spectaculaire ­accumulation d’échecs des politiques menées dans tous les domaines ces dernières ­décennies. Notre secteur fut pendant six ans la plus grosse commune gérée par le Rassemblement national (RN) en France. Aux dernières élections, l’abstention est montée jusqu’à 90%. A la grande précarité et labandon dans lesquels les habitants survivent et sauto­organisent depuis si longtemps, la crise du Covid-19 sest ­ajoutée, créant une situation ­exceptionnelle et potentiellement explosive.

Or si la cohésion sociale peut être préservée pendant cette crise, c’est par une mobilisation tout aussi exceptionnelle. Les habitants ont su irriguer le corps ­malade de notre ville de leur ­solidarité vivante. Au milieu de la débâcle, une formidable énergie collective a permis que soit créée une plateforme d’entraide, autogérée, au McDo Saint-Barthélémy. Emblème d’une mobilisation syndicale historique des salariés pour faire de leur outil de travail un lieu de soin pour le quartier. Placé en liquidation ­judiciaire par la firme, ce restaurant et son drive réquisitionnés par ses anciens salariés ont permis pendant tout le confinement et jusqu’à aujourd’hui de distribuer des dizaines de milliers de colis alimentaires et des kits ­d’hygiène, préparés et distribués par des dizaines de collectifs et d’associations des ­quartiers alentour: sans aucune aide publique.

Pendant le confinement, on a même distribué des colis à des électeurs du RN, certains sont venus participer. On a fait corps. Ce restaurant a toujours été un lieu de sociabilité intégré aux quartiers: à lAïd et à Noël, c’était plein, un vrai lieu de fête où les gens venaient endimanchés pour se réunir et profiter de l’aire de jeux à l’extérieur avec leurs enfants. On a fait la fortune de McDo, un îlot ­prospère au milieu de la précarité ambiante. On n’a peut-être pas fait les grandes écoles, mais on a appris ici à gérer la valeur humaine, le lien social, le soin, le complexe.

On est nés dans ces quartiers, on sait que, statistiquement, nous sommes des rescapés. Car ici, souvent, le seul héritage, c’est la précarité. Mais cette précarité, nous entendons la faire fructifier: en dignité, en formation, en solidarité, en activité sociale et économique, sous la forme dune société ­coopérative dintérêt collectif (SCIC) dont le profit appartiendrait à tous. Cest notre projet! Reprendre notre destin en main. On est créateurs de ­richesses, économiques et ­sociales. Dans un monde balkanisé par l’hyperindividualisme, nous faisons œuvre de pédagogie en ­réactualisant le partage et la ­solidarité! On en a une vraie ­expertise, quand bien même elle ne sexprime pas en tableaux ­Excel et en business plan. Et nous disons, non seulement que nous savons le faire, mais que nous sommes les seuls légitimes et les seuls à pouvoir le faire ici.

«Venez comme vous êtes»? On l’a pris au mot. On a traversé la rue pour créer des emplois, nos ­emplois dans le monde d’Apres (pour Association de préfiguration pour un établissement ­économique et social). Elle ­inaugure ce samedi, symbo­liquement, notre nouveau restaurant, avec des hamburgers végétariens et des ruches sur le toit. Désormais, dans cet espace, il y a des ordinateurs, des jouets, des ­livres, des gens qui viennent se réunir et se rencontrer, des associations qui se créent, des rêves qui s’élaborent et se concrétisent. Pour Noël, des actions solidaires sont aussi ­programmées (dans le respect des règles de sécurité sanitaire).

Nous souhaitons reprendre ce restaurant. McDo fait savoir qu’ils ont reçu d’autres offres de reprise et ne comptent pas discuter avec nous. Ailleurs en France, des maires ont su résister à McDo, au nom de valeurs d’une économie plus saine et plus juste. Nous avons besoin de soutien en actes. Pas de Légions d’honneur invisibles pour avoir fait le travail là où les politiques publiques ont démérité, mais la reconnaissance de ce qui ­s’accomplit ici depuis des mois.

Et un appui concret dans notre face-à-face avec McDo. Venez nous voir, venez comme vous êtes! Venez avec les valeurs de renouvellement et de valorisation de laction citoyenne qui ont triomphé, paraît-il, aux dernières élections municipales, et laissez-nous gérer ce lieu avec les nôtres! Prenons le risque, pour une fois, de permettre à des outsiders dexprimer positivement leur propre résilience: laissons advenir un monde daprès plus solidaire.

Signataires :

Kamel Guemari Salarié et syndicaliste du McDo, Salim Grabsi Membre fondateur du Sel de la vie, Fathi Bouaroua Président de l’association Après McDo, Patrick Nédelec Président d’honneur d’ApresMcDo, Laurent Bole-Besançon Vice-trésorier d’Après McDo, Aïssa Grabsi Trésorier d’Après McDo, Karima Berriche Membre du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM) et Mohamed Bensaada Président du SQPM.

- Kamel Guemari salarié et syndicaliste du McDo, Salim Grabsi membre fondateur du Sel de la vie, Fathi Bouaroua président de l’association Après McDo, Patrick Nédelec président d’honneur d’Après McDo, Laurent Bole-Besançon vice-trésorier d’Après McDo, Aïssa Grabsi trésorier d’Après McDo, Karima Berriche ­membre du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM) et Mohamed Bensaada président du SQPM

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire