L'élection présidentielle est une élection majeure dans le système politique français, celle à laquelle le plus grand nombre de nos concitoyens participe, du moins jusqu’à présent. Pour savoir si elle est compatible avec la démocratie, il faut d’abord regarder dans quel cadre institutionnel elle a lieu.
Et pour cela, il faut prendre en compte plusieurs temps :
➣Celui des élections elles-mêmes : présidentielle, puis législatives en 2017 ;
➣ Celui du changement constitutionnel ;
➣ Enfin celui du projet politique.
Le court-terme, c’est celui de la campagne présidentielle telle qu’elle se présente devant nous avec tous ces prismes et ces querelles d’égos et d’appareils qui paraissent de plus en plus mortifères pour la Gauche, et ce cadre institutionnel ne pourra pas être modifié d’ici les élections.
Ce cadre, c’est celui des institutions de la Ve République, c’est-à-dire celui d’une monarchie républicaine (au moins quand le président de la République dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale ce qui n’est peut-être pas gagné d’avance en 2017).
Nous sommes en République, nous nous en félicitons et nous en sommes même fiers à juste titre, mais nous sommes encore loin de la « République sociale » chère notamment à Jean Jaurès.
Et pire, le modèle constitutionnel français est loin d’être l’un des plus démocratique du monde. En effet, la Constitution actuelle concentre les pouvoirs entre les mains d’un seul (monarchie vient du grec mono, seul, et archè, pouvoir) ce qui est normalement l’apanage des monarchies absolues ou des dictateurs.
Les monarchies, au sens où elles existent encore aujourd’hui, sont des monarchies parlementaires dans lesquelles les rois et reines, tout comme les présidents de la République dans la plupart des régimes républicains où cette fonction existe, n’ont que peu de pouvoir hormis des pouvoirs de représentation.
Les institutions de la Ve république ont toujours eu cette tendance présidentialiste et non véritablement présidentielle comme aux États-Unis où existe un équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, le président et le Congrès. Aux États-Unis, le président est d’ailleurs le chef du gouvernement et ne peut faire grand-chose sans majorité au Congrès.
Notre système constitutionnel est donc pour le moins très particulier. C’est un héritage que nous devons au général De Gaulle et à sa méfiance viscérale des parlementaires et du parlementarisme. Il est vrai que la IVe République a été marquée par une instabilité politique chronique avec une absence permanente de majorité stable et une durée de vie moyenne des gouvernements d’environ cinq mois.
Cette tendance présidentialiste a été renforcée par l’élection du président de la République au suffrage universel imposée par De Gaulle au Parlement. Le 30 septembre 1962, le général annonce la tenue d’un référendum pour que l’élection du président de la République se déroule au suffrage universel,alors que selon la Constitution adoptée en 1958 elle se faisait via un collège de grands électeurs.
Les députés y voient, à juste titre, une perte de pouvoir et adoptent le 4 octobre une motion de censure contre le gouvernement Pompidou. Le gouvernement présente sa démission que de Gaulle refuse. Il prononce la dissolution de l’Assemblée. Ce fut la première et la dernière motion de censure adoptée sous la Ve République. Tout un symbole.
L’arme de la dissolution est toujours là, bien présente dans nos institutions et nous avons pu voir avec les péripéties de l’adoption de la loi El Komri à coups de 49-3 répétitifs combien elle pesait sur les députés de la majorité.
Cette suprématie du rôle du président de la République a encore été renforcée en 2000 par la mise en place du quinquennat faisant coïncider la durée du mandat présidentiel avec celle des députés. Et le piège s’est encore plus refermé avec l’inversion du calendrier électoral en 2002 qui a permis le déroulement de l’élection présidentielle avant les élections législatives. Au cours desquelles le président n’a plus qu’à demander une majorité pour lui permettre de gouverner sans même avoir à dissoudre l’Assemblée comme ce fut le cas en 1988.
C’est la logique du vote utile, renforcée par le mode de scrutin des élections législatives, un scrutin majoritaire à deux tours qui favorise les grands partis de gouvernement.
Au bout du compte, notre fonctionnement institutionnel, plus encore que la lettre de la Constitution au demeurant, comme cela peut se voir en période de cohabitation, n’a plus grand-chose à voir avec la démocratie même représentative.
Nous sommes bien obligés de constater que nous avons un Parlement croupion qui n’a quasiment aucun équivalent en Europe et qui n’exerce plus ses compétences dès lors que le président de la République fronce les sourcils.
Ce cadre est mortifère pour la Gauche, la « vraie », celle qui croit encore en un projet de transformation sociale. Dans un contexte de montée sans précédent de l’extrême droite, et une part de manipulation de certains médias et sondages, c’est la peur de voir disparaître la « Gauche » au 2e tour qui a poussé un certain nombre de gens à lancer le processus des primaires. Certains y vont avec des idées de manipulation, de plus en plus évidentes au fur et à mesure que les mois passent, mais d’autres ont été et sont encore sincères et ne peuvent être passés par profits et pertes. Ils ne pouvaient être oubliés et il fallait savoir les entendre et leur parler.
Pour autant, le processus des primaires était un piège à beaucoup d’égards notamment en raison de calculs politiques, voire politiciens qui animent les principaux protagonistes. Et la multiplication des candidatures dans le cadre de ces processus devenus multiples est de plus en plus désespérante pour nombre d’électrices et d’électeurs. Il doit néanmoins demeurer possible d’animer le débat sur les questions de fond afin de créer des convergences.
Le débat pour l’élection présidentielle ne peut pas porter uniquement sur les qualités du mieux placé pour faire le meilleur score au 1er tour et avoir une chance d’arriver au second tour. La primaire pousse à la personnalisation même quand on veut ou prétend pervertir les institutions. On ne choisit plus entre des programmes politiques mais entre des hommes et des femmes, surtout des hommes d’ailleurs, au lieu de chercher à créer des convergences.
Je ne crois pas aux hommes ou aux candidats providentiels. Je crois à la force du mouvement citoyen, du mouvement social. Nous l’avons vu notamment au moment de la COP21, contre la loi El Khomri ou avec le mouvement « Nuit debout » et dans d’autres protestations plus locales.
Quelles que soient les options ou stratégies choisies par les uns et par les autres, l’élection présidentielle doit être l’occasion d’ouvrir largement le débat entre toutes et tous ceux qui n’en peuvent plus de ces politiques menées soi-disant en leur nom et qui enfoncent la France, l’Europe mais aussi le monde dans une crise politique, démocratique, morale et sociale que nous n’avons sans doute jamais connue à cette échelle.
Dans ce cadre, le Front de Gauche a constitué une expérience qui ne peut être effacée parce que quelques-uns en ont décidé ainsi. Ce n’est pas de la nostalgie ou de l’attachement au passé. J’y reste attachée en raison de ce qu’il a su représenter en termes d’espoir notamment au moment de l’élection présidentielle de 2012 mais aussi dans de nombreuses expériences locales.
Le Front de Gauche a su rassembler au-delà de ses composantes. Il a su créer des synergies en gommant ces différences pour mieux faire du commun. Moi qui me promène dans toute la France, et notamment du Sud-Est pour animer des débats, je sais combien des initiatives locales aux contours divers ont pu se développer et continuent à perdurer.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai signé le texte « Rallumons l’étincelle du Front de Gauche » en considérant que nous avons à apprendre de nos expériences militantes et même à savoir les dépasser.
Et c’est dans le même esprit que je suis une des initiatrices et animatrices de l’Appel des 100 (Ensemble favoriser l’irruption citoyenne, sociale, démocratique et écologiste ! Pour une alternative majoritaire à gauche !) publié symboliquement le 1er mai dernier.
Par cet appel signé largement par des femmes et des hommes d’horizons divers, nous voulons contribuer au débat en proposant des mesures concrètes pouvant être reprises par les candidats aux prochaines élections tant présidentielle que législatives, construire un socle commun, notre « bien commun » qui pourra aussi être utile au-delà de 2017.
Faire vivre la démocratie, c’est d’abord entendre et donner la parole aux citoyen-ne-s. La question institutionnelle doit être soulevée mais elle ne peut être première car nous savons combien le temps peut être long pour changer les institutions, celles de la Ve République comme celles de l’Union européenne.
L’élection présidentielle peut être un moment important de démocratie. C’est en faisant vivre le débat citoyen que l’on peut faire évoluer le rapport de forces et il y a urgence à le faire à tous les niveaux de représentation en s’appuyant sur les mobilisations.
Comme le disait très bien Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et, dans ce clair- obscur, surgissent les monstres ».
Cela dépend de chacun d’entre nous et notre capacité à nous mobiliser ensemble pour empêcher ce monstre de surgir mais aussi pour reconstruire ensemble un projet alternatif qui sera le plus sûr moyen de lutter contre la montée du repli sur soi, des nationalismes et des peurs et des haines qui en découlent.
L’avenir appartient à celles et ceux qui sauront travailler ensemble.
* Marie Christine Vergiat, est député européenne Front de Gauche.
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