Dans sa
critique du déficit démocratique du système parlementaire, André Gorz pointait
avec clairvoyance l’écueil du bureaucratisme qui ne pourra être évité que par
un éco-socialisme efficace et réaliste reposant sur des réformes révolutionnaires
graduelles. Il mettait également en exergue les limites de la démocratie
parlementaire et estimait que si : « Le suffrage donne le droit de gouverner, il n’en
donne pas le pouvoir » (Gorz, 1975 : 72). Pourtant la mystification
du concept de démocratie indirecte tend à se perpétuer en déniant tout exercice
de pouvoir populaire sur l’organisation de la société, en ne laissant aux
citoyen-ne-s que la possibilité de désigner leurs représentant-e-s tous les
cinq ans. Ainsi, les intérêts suprêmes de l’Etat capitaliste sont bien
préservés (Munster, 2008).
Avec l’ampleur
de la contestation du mode de représentation et la demande croissante de
participation de la part des citoyen-ne-s, ce statuquo apparaît de plus en plus
paradoxal. C’est précisément ce qui ressort de l’analyse des mouvements de
révolte citoyens, qui ont surgis à partir de 2010 aux quatre coins de la
planète (de l'Islande à l'Etat espagnol, du Chili au Québec, du Brésil à la Turquie).
Certains s’élèvent contre la corruption politique, l’arrogance des élites et
revendiquent la dignité ; d’autres rejettent les élites financières et la
connivence entre le monde politique et financier et le capitalisme mais
l’objectif est le même (Castells, 2012).
Ces
mouvements posent la question de la légitimité politique qui touche la
quasi-totalité de la planète. Un nombre croissant de citoyen-ne-s estiment ne
plus être représenté-e-s. La France, qui n’a pas été touchée directement par ces
mouvements, n’est pourtant pas exempte de ces constats parfaitement
perceptibles dans les luttes ou lors des consultations électorales. Le pays
traverse une véritable crise de la démocratie représentative que la
« classe politique » s’évertue à ignorer. S’agissant de la politique
énergétique, la souveraineté du pouvoir constituant ne s’est jamais exercée et
la délégation de pouvoir a même été largement obstruée par la technocratie.
Les
politiques énergétiques en France
Historiquement,
la politique énergétique n’a donné lieu à aucun débat public et citoyen
d’ampleur. Le choix de l’accélération du programme du nucléaire civil, décidé
dans le cadre du Plan Messmer en 1974 et dans la plus grande opacité, est
intimement lié à celui du nucléaire militaire résultant des orientations
géostratégiques de l’après-guerre et de la création du Commissariat à l’énergie
atomique (CEA) en 1945. Dès lors, le débat a été largement confisqué par l’Etat
et les ministères de la Défense et de l’Industrie. De plus, cette orientation a
été mise en œuvre par l’entreprise nationalisée EDF sous l’égide étroite de la
technostructure et avec le consentement de la fédération CGT de l’énergie dans
le cadre du compromis historique. Le choix du nucléaire est donc lié à celui
d’un état fort, autoritaire et centraliste comme on peut l’observer dans les
états les plus nucléarisés du monde. Le primat du tout nucléaire a donc annihilé
tout développement à grande échelle des énergies renouvelables, il a pérennisé
inexorablement le rôle tout puissant de l’Etat et donc généré l’absence de tout
débat démocratique et citoyen sur l’avenir énergétique.
L’attribution
des permis d’exploration et d’exploitation des huiles et gaz de schiste en 2010
a résulté de la même logique, celle d’une centralisation excessive de la
décision, cantonnée à quelques services ministériels et corps d’Etat et à la
signature apposée par un ministre servile. En France, les choix énergétiques
ont toujours ignoré les principes élémentaires de la démocratie, y compris ceux
très insuffisants de la démocratie représentative, comme le Parlement.
Aujourd’hui
encore, la politique énergétique n’est toujours pas réellement débattue à une
échelle de masse. Le Grenelle de l’environnement (2007), même s’il s’agissait
de la première opération de concertation à grande échelle du monde associatif,
a volontairement occulté certains sujets (comme le nucléaire) et l’on sait ce
qu’il est advenu de nombre de décisions. Ce simulacre de concertation n’a, à
aucun moment, associé les citoyen-ne-s, il s’est limité à associer les
« experts » et les professionnels du secteur associatif largement
subventionné pas des subsides publics.
Sous le
gouvernement Ayrault, la feuille de route de la Conférence environnementale (2013)
et du débat national sur la politique énergétique n’a guère dépassé le stade
des bonnes intentions de la Convention d’Aarhus[1]
et s’est cantonnée à « améliorer la gouvernance environnementale » en
préconisant une rationalisation des procédures environnementales qu’il s’agit
d’engager « sans diminution des exigences ». La loi-cadre sur la
décentralisation, au demeurant fort critiquable, a néanmoins pris en compte les
« questions de la biodiversité et de l’énergie » afin de rendre les
collectivités territoriales acteurs majeurs de la transition écologique[2].
Au-delà
de certaines intentions louables, la loi sur la transition énergétique adoptée
en juillet 2015 se maintient dans le carcan libéral et austéritaire, elle
privilégie la croissance verte, « génératrice de surconsommation et
n’intégrant pas la finitude des ressources » ; sous la pression des
lobbies industriels, elle renonce à la socialisation du secteur de l’énergie ;
le scenario énergétique ne remet pas en cause le nucléaire et les modes de
transport actuels ; elle néglige la mise eu œuvre d’une véritable
politique de recherche ; l’absence de transparence sur les décisions, la
mise en place et le suivi des politiques s’inscrivent dans la continuité et
l’opacité qui ont toujours prévalues dans le secteur de l’énergie (Sud Energie,
2015). A la veille de la 21e conférence climatique (COP21) qui se
déroulera en décembre à Paris, il s’agit là d’une vraie occasion manquée mais
pouvait-il en être autrement avec le pouvoir en place qui conduit une
véritable politique de classe ?
Alors que
les crises climatique et énergétique vont avoir des conséquences
incommensurables pour l’avenir de la planète, les décisions pour demain doivent
sortir impérativement du giron de la technocratie et être transférées
provisoirement aux différentes instances élues. Mais, ce ne sera pas suffisant
car la démocratie représentative est totalement discréditée et se trouve de
plus en plus sous l’influence des lobbies. Il y a donc urgence à construire une
articulation entre démocratie représentative et démocratie directe, cela passe
par la mise en place de réelles instances de décision citoyenne, que nous
définissons comme « démocratie active ».
Des
expérimentations de démocratie active ailleurs
Depuis
une vingtaine d’années, des expériences de participation et de décision
citoyennes ont été expérimentées sur d’autres continents : le Budget
participatif à Porto Alegre repris par plus d’un millier de collectivités dans
une trentaine de pays (Della Sudda & Neuville, 2010: 83), des Conseils
locaux de planification publique aux conseils communaux au Venezuela (Neuville,
2010 :196), des formes de participation active au Kerala en Inde (Borrits,
2010), etc., sans être directement transposables, celles-ci peuvent servir de
référence.
Plus près
de nous, en Europe, la « planification énergétique » mise en œuvre
dans la municipalité de Kolding (Danemark) dès 1994[3],
a décidé de réduire de 75 % les émissions de CO2 d’ici 2021 ; les
programmes d’autosuffisance énergétique de Marinaleda et Matarredonda
(Andalousie)[4]
basés sur l’éolien et le solaire démontrent qu’il est possible d’agir à
différents niveaux. Ces exemples ne sont pas exhaustifs, de nombreux
éco-quartiers Vauban à Freiburg et Kronsberg à Hanovre (Allemagne), BedZED à
Londres, Vesterbro à Copenhague, Hammarby à Stockholm, Eva Lanxmeer à Culemborg,
etc.[5]
ont largement innové et réussi à réduire de manière conséquence les
consommations d’énergie, voire même passer en énergie positive.
Ce qui
est possible dans plusieurs états et collectivités dans le monde pourrait être
instauré en France dans des formes à définir démocratiquement. Cela passerait
par la mise en œuvre d’une planification démocratique écologique, reposant sur
des assemblées populaires élues à différents échelons pour définir une nouvelle
politique énergétique. Aujourd’hui, le savoir n’est plus l’apanage des classes
dominantes et les citoyen-ne-s sont parfaitement en capacité d’opérer des choix
pour l’intérêt général. L’expérimentation des forums citoyens l’a démontrée
amplement (ex : OGM).
Pour une
transition énergétique socialisée et démocratisée
Dans la
société de demain que nous souhaitons autogestionnaire, les biens communs
universels (l’eau, l’air, la biodiversité) et les biens publics (énergie,
transports, télécommunications) devront échapper à toutes formes de
marchandisation et être socialisés, ce qui n’impliquera pas nécessairement la
nationalisation. Quels que soient les échelons de compétences (national,
régional ou local), les citoyen-ne-s, les associations, les syndicats devront
être associés pleinement aux décisions et à la gestion des entreprises ou des
régies publiques. L’essentiel des services publics de proximité pourraient être
gérés par des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), tels que l’eau,
les déchets, les énergies renouvelables, l’éolien, le solaire, etc. Il est à
relever que par la volonté de collectifs de citoyen-ne-s et de collectivités
locales, le processus est engagé puisque le nombre de SCIC s’est accru très
rapidement ces cinq dernières années et qu’il existe actuellement 442 SCIC,
dont près d’un quart orientent
leurs activités vers l’environnement (préservation, gestion des déchets, auto
partage et énergies renouvelables…)[6].
Rappelons
l’histoire de l’électrification rurale en France, non pas pour en faire un
modèle mais pour méditer sur les capacités citoyennes et municipales capables
de pallier les carences de l’Etat. A la fin du XIXe siècle, l’Etat ne
souhaitait pas la développer sur l’ensemble du territoire et les entreprises
privées ne l’estimaient pas suffisamment rentable. Des fermiers et des
municipalités s’organisèrent et créèrent des coopératives pour produire et
acheminer l’électricité dans les campagnes. A posteriori, l’Etat admit
les régies municipales d’électricité (1900), il fit adopter une loi qui créa
les Sociétés d’intérêt collectif Agricole d’électricité (SICAE) pour donner un
statut aux coopératives créées spontanément par les fermiers. En 1937, 96 % des
communes et 90 % de la population bénéficiaient de l’électricité (Massé, 2005).
La
transformation sociale et politique de la société implique de rompre
radicalement avec les pratiques actuelles qui consistent à déléguer la gestion de
l’énergie aux intérêts privés capitalistiques (une des conséquences de la loi
énergie de 2000)[7] et
à confisquer le pouvoir de décision. Le discrédit de la démocratie
représentative s’explique en partie par l’opacité de la gestion publique, le
refus d’entendre les mobilisations populaires (eau, huiles et gaz de schiste,
nucléaire, etc.) et l’absence de concertation des usager-ère-s et des travailleur-se-s
à tous les niveaux.
La
perspective autogestionnaire pose donc les questions de la propriété, du
financement, des modes de gestion et de la composition des instances de gestion
des services publics, ce qui peut se résumer par la nécessité impérieuse de
« démocratiser radicalement la démocratie ».
La
définition d’une nouvelle politique énergétique implique évidemment la remise
en cause des modes de production, la sortie de la logique productiviste et la
relocalisation d’une partie de l’économie pour réduire de manière substantielle
le transport de marchandises, extrêmement énergivore, ainsi qu’une reconversion
écologique de l’industrie.
Pour ce
faire, il ne s’agit pas tant de « reprendre un contrôle citoyen » mais de créer
les conditions d’un véritable pouvoir de décision citoyen, tout en multipliant
les expérimentations citoyennes, dont il faudra tirer les enseignements. Il est
aujourd’hui nécessaire de dépasser la seule référence aux contre-pouvoirs pour
élargir le contrôle citoyen et construire des espaces d’autonomie populaire
réconciliant ainsi la vie quotidienne et l’action politique. Donc de passer à
des formes collectives de résistance à des formes collectives d’organisation et
d’expérimentations.
Engager
une transition post-capitaliste
Une véritable
transition impliquerait de prendre la décision d’arrêter le nucléaire en
France. Pendant la phase transitoire, le pays aurait besoin d’énergies fossiles
(gaz, charbon), qui représenteraient 30 % de la production d’électricité si on
souhaitait arrêter le nucléaire en 10 ans. C’est pourquoi parallèlement des
mesures radicales devraient être prises dans les secteurs qui émettent le plus
de gaz à effet de serre : les transports, le bâtiment et l’agriculture
intensive.
La
transition énergétique doit s’insérer dans la transition écologique globale
pour permettre une réduction substantielle de la consommation d’énergie. Il
s’agit aussi d’engager cette transition tout en évitant deux écueils, d’une
part, la mutation du système vers un capitalisme vert et une économie verte (d’ailleurs
déjà engagée) et, d’autre part, le choix d’une évolution de type réformiste
comme celle préconisée par certaines organisations de gauche (Tanuro, 2010). De
ce point de vue, le « Manifeste écosocialiste » du Parti de gauche,
tout au moins dans sa version initiale, ne se montrait pas à la hauteur des
enjeux et fut notamment critiqué par Daniel Tanuro qui considérait qu’il se
situait dans une perspective « davantage étatiste et centralisatrice
qu’autogestionnaire et décentralisée », dans la mesure où « elle fait l’impasse
sur la nature de classe de l’Etat, pare la République française de vertus
qu’elle n’a pas et présente pour ainsi dire une conception « top-down » de
l’émancipation socialiste »[8].
Si le concept d’écosocialisme a suscité des débats, il convient de relever que
celui-ci est en constante évolution.
En effet,
depuis la rédaction du « Manifeste écosocialiste international » en
2001 ou même la « déclaration écosocialiste de Belém » en 2009, il
s’est affiné[9]. Les travaux de Daniel Tanuro le démontrent avec la
redéfinition du rôle des sciences, des technologies et du progrès, qui est
appréhendée différemment dans une prise de distance claire avec le scientisme, tout
comme l’articulation entre la centralisation et la décentralisation avec la préconisation
de l’interconnexion de réseaux énergétiques décentralisés : « Leur
gestion démocratique par les communautés et dans l’intérêt collectif des
habitant-e-s est une possibilité réelle dont les écosocialistes doivent se
saisir en posant des revendications locales concrètes de contrôle et de
participation plutôt que de se cramponner au modèle obsolète de la grande entreprise
nationalisée » (Tanuro, 2015). Si pour la
reconversion de l’industrie, nous suggérons plutôt la co-élaboration de
contre-plans alternatifs (voir ci-après – Hardy, 2010) à l’exercice du contrôle
ouvrier par les seuls syndicats, les points de vue tendent à converger.
La
transition souhaitable implique que le système productif, donc les choix
politiques (propriété sociale, système financier …), soient en cohérence avec
les changements économiques, en mutation rapide dans un processus cohérent,
bien qu’en adaptation semi permanente. Cette transition est d’autant plus
nécessaire à penser et à engager que l’énergie, encore plus que d’autres
questions écologiques, est au cœur du système et un de ses déterminants
principaux aussi bien pour la production et la distribution que pour la
consommation.
Des
objectifs structurels et des mesures de court terme
Il s'agit
de réaliser une reconversion écologique de l'économie dans sa globalité et dans
chaque secteur de production et d'échange : énergie, industrie, agriculture,
distribution, aménagement et urbanisme. Dans ses trois composantes (production,
consommation et échange), le système économique à construire devrait répondre
aux objectifs suivants :
• la satisfaction
prioritaire et totale des besoins humains fondamentaux : alimentation,
formation, logement, santé, culture ;
• la limitation
des autres productions avec priorité pour les biens et services améliorant les
conditions de vie et de travail, la recherche d'un usage collectif et économe
des biens durables (transport, logement, équipements culturels et touristiques,
…) et l’accès le plus équitable possible de tous aux biens et aux services ;
• la répartition harmonieuse de la production
sur tout le territoire ;
• la recherche (avec les pays voisins et amis)
de formes de coopération et d'échange répondant aux critères ci-dessus pour
chaque pays concerné.
Ces orientations permettraient de répondre à la
question de l'évolution de la production et de la répartition des biens ou de
la richesse en dépassant les débats entre décroissance, objection et type de
croissance, tout en s'inscrivant dans une recherche de sobriété. C'est
dans le cadre de cette transition que les mesures de court terme devraient être
adoptées afin :
-
d’engager des crédits importants dans la recherche sur les énergies
renouvelables en commençant par réaffecter ceux consacrés au nucléaire et à
ITER ;
- de
développer un mixte énergétique (hydraulique, solaire, éolien, biomasse,
géothermie, etc.) à grande échelle qui permettrait de produire autant que 25
réacteurs nucléaires en 10 ans ;
- de
renoncer aux projets d’exploration et d’exploitation des gaz et huiles de schiste
et d’annuler tous les permis qui ont été attribués ;
-
d’économiser l’énergie en mettant un frein aux gaspillages. Grâce aux seules
économies d’énergie, 23 réacteurs nucléaires pourraient être arrêtés sur 10
ans.
Mais
l’efficacité (réduction des gaspillages, meilleures technologies, etc.) ne
suffira pas. Selon Daniel Tanuro, il faudra la conjuguer avec la sobriété en
réduisant la demande finale d’énergie de moitié environ dans l’Union européenne[10].
Conjuguer
la démocratie « réelle » et la justice sociale
L’enjeu
de la transition dépasse largement nos frontières et concerne l’ensemble de la
planète. Il nous faut donc raisonner à cette
échelle. L’exploitation fossile a explosé avec le développement du capitalisme
(elle représente 90 % des sources d’énergie) et l’accaparement des ressources
génèrent de nombreux conflits. Le nucléaire ne représente que 2 % de la
production mondiale.
Les
enjeux géostratégiques sont énormes. Ils supposent de repenser les rapports
entre les états et d’engager une redistribution mondiale en revoyant les
échanges et en premier lieu en réduisant les transports. Pour répondre aux
enjeux climatiques aux horizons 2020 et 2050, un changement radical de notre
système énergétique s’impose, il devra respecter un équilibre Nord-Sud et
garantir la justice sociale.
Ce
changement implique :
• Une
réduction importante de la consommation en énergie des pays du Nord et l’arrêt
du nucléaire en France. Ce postulat remet en cause les logiques capitaliste et
productiviste.
• Une
critique radicale de la croissance capitaliste et la décroissance d'une partie
de la production matérielle (en particulier ce qui a trait à l'armement et la
publicité) et des transports routiers, individuels et aériens, par la
relocalisation et le développement d'une autonomie alimentaire à une échelle
des territoires - échelle qui doit être déterminée par la démocratie active -,
ainsi qu'un renforcement des luttes contre les grands projets inutiles et
imposés (GPII).
• Une
contestation de la logique du « capitalisme vert », qui n’est pas en mesure de
répondre aux enjeux énergétiques et écologiques. Les mesures techniques -dites
d’efficacité- qui représentent 70 % dans le scénario négaWatt[11]
favorisent notamment les profits des multinationales. L’urgence écologique
impose la mise en œuvre de solutions reposant sur le choix de techniques
appropriables, renouvelables et durables, de même qu’une production
décentralisée et diversifiée.
• Une articulation entre une démocratie économique et
sociale, -qui exclut la production et la distribution de l’énergie de la sphère
du marché et du profit- et une démocratie active articulant une forme
représentative et des processus de démocratie directe (budgets participatifs,
instances de décisions citoyennes ayant pour objet l'élaboration des projets,
le suivi de leur mise en œuvre et l'évaluation de leur réalisation, avec
éventuellement reconsidération de ceux-ci), qui pourrait se concrétiser dans le
cadre d’une « planification démocratique écologique ».
Le défi
est donc bien de conjuguer la « démocratie réelle » et la justice sociale, ce
qui implique :
- une
articulation entre les niveaux national et local en termes de production et de
distribution d’énergie : entre un service public national (pôle public de
l’énergie) et des instances locales : régies publiques contrôlées par les
citoyen-ne-s et les travailleur-se-s et des coopératives (SCIC). La loi Energie
de 2000, dite Cochet, a dérégulé la production de l’électricité et favorisé les
profits, elle doit être révisée ;
- des campagnes
pour valoriser les gisements d’emplois que représente la transition écologique,
articulées avec une réduction du temps de travail, sans perte de salaire et
avec embauche compensatoire et réduction des rythmes de travail. Selon une
étude conduite par Philippe Quirion, sur l’effet sur l’emploi de la mise en
œuvre du scénario négaWatt, les créations d’emplois nettes iraient de 220 000 à
330 000 en 2020 et de 570 000 à 820 000 en 2030 (Quirion, 2013). Seulement 7
ans après avoir décidé de sortir du nucléaire, l’Allemagne comptait 235 000
emplois permanents dans le secteur des énergies renouvelables.
- une
reconversion écologique de l’industrie (automobile, agroalimentaire, sortie du
nucléaire, etc.) et une relocalisation des activités avec de petites unités de
production ;
- un
développement important des transports collectifs respectueux de
l’environnement (Trains, tramways, etc.)
-
l’élaboration de contre-plans alternatifs associant les travailleurs-ses, les
syndicats les associations et les citoyen-ne-s afin de garantir les droits
sociaux et le respect de la nature tout intégrant de nouveaux rapports de
production et de nouvelles organisations du travail ;
- une
prise en compte des besoins sociaux (accès à l’eau et à l’énergie pour toutes
et tous) et la mise en œuvre d’une péréquation indispensable entre les niveaux
national et local incluant la gratuité des premières tranches et des
tarifications progressives par un véritable programme d’éradication de la
précarité énergétique ;
- un plan
de lutte contre les pollutions aux particules fines (responsable de 42000 décès
prématurés en France chaque année) ;
- une
convergence des luttes sociales et écologiques pour peser sur les orientations
politiques à un niveau macro, les luttes accélèrent la prise de
conscience ;
- une
valorisation des terrains d’expérimentations (agriculture, auto-construction,
productions coopératives d’énergie renouvelables, etc.) ;
- des
réflexions citoyennes au niveau des territoires permettant de mutualiser les «
intelligences » et de développer des alternatives concrètes innovantes. Des
coordinations locales entre les coopératives de production et des instances
politiques participatives permettraient d’y parvenir.
Le chemin
sera long et pourtant il y a urgence à engager des mesures radicales face à l’ampleur
croissante des dégâts engendrés par les crises climatique et écologique. D’ores
et déjà, ici et là, des « sentiers de l’utopie » se dessinent qui
peuvent contribuer à construire des chemins de l’émancipation et des germes de
pouvoir populaire pour une transition écologique et énergétique (Frémeaux &
Jordan, 2012). Ces expériences s’inscrivent en rupture avec la logique
productiviste, le modèle de développement capitaliste et le primat des intérêts
privés. Mais une rupture totale impliquera assurément un affrontement à grande
échelle avec la classe dominante.
Richard
Neuville - Juin 2015
(Une version initiale de l’article avait été publiée
sur le site de l’association pour l’autogestion le 10 avril 2013 : http://www.autogestion.asso.fr/?p=2792
)
Article publié dans Autogestion, l’encyclopédie
internationale, Syllepse, 2015, p.2051-2061.
Pour en
savoir plus
Benoît
Borrits, « Le Kérala : vers une démocratie pleine et entière… », Juin 2010.
Consultable sur : http://alterautogestion.blogspot.com/2010/07/le-kerala-vers-une-democratie-pleine-et.html
Bruno
Della Sudda et Richard Neuville, « Budget participatif » dans Lucien Collonges, Autogestion
hier, aujourd’hui, demain, Paris, Syllepse, 2010.
Manuel
Castells, Redes de Indignación y Esperanza, (Les réseaux de
l’indignation et de l’espoir), Alianza, Madrid, 2012.
Isabelle
Frémeaux, John Jordan, Les sentiers de l’utopie, Paris, La découverte
Poche / Essais, 2012.
Vincent
Gay (Coord.), Pistes pour un
anticapitalisme vert, Paris, Syllepse, 2010.
André
Gorz, (Michel Bosquet), Ecologie et politique, Paris, Galilée, 1975.
Jean-Pierre
Hardy, « Contre-plans alternatifs », dans Lucien Collonges, Autogestion
hier, aujourd’hui, demain, Paris, Syllepse, 2010.
Michaël
Löwy, « Ecosocialisme et planification démocratique », dans Lucien
Collonges, Autogestion hier, aujourd’hui, demain, Paris, Syllepse, 2010.
Michael
Löwy, Écosocialisme, Les Petits Libres, Mille et une nuits, 2011.
René
Massé, « Histoire de l'électrification rurale en France », Édition « Études et
travaux en ligne » du Gret. N°03. 2005. http://www.riaed.net/IMG/pdf/Histoire-electrification-rurale-France.pdf
Arno
Munster, André Gorz ou le socialisme difficile, Paris, Lignes, 2008.
Richard
Neuville, « Conseils communaux et double pouvoir au Venezuela» dans Lucien
Collonges, Autogestion hier, aujourd’hui, demain, Paris, Syllepse, 2010.
Philippe
Quirion, L’effet net sur l’emploi de la transition énergétique en France,
CIRED CNRS, Avril 2013.
Sud
Energie / Solidaires, « Une loi de transition énergétique soumise au
marché », Janvier 2015. http://www.sudenergie.org/site/2015/01/une-loi-de-transition-energetique-soumise-au-marche/
Daniel
Tanuro, L'Impossible capitalisme vert, Paris, La Découverte, 2010
Daniel
Tanuro, « Les chantiers de l’écosocialisme révolutionnaire », Intervention
lors du week-end de mobilisation sur le climat 10-12 avril 2015 à Cologne.
Site academia.edu : http://www.academia.edu/12095608/Les_chantiers_de_l%C3%A9cosocialisme_r%C3%A9volutionnaire
[1]
La Convention d’Aarhus a été
adoptée en juin 1998 par 39 Etats. Elle définit des principes sur l'accès à
l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à
la justice en matière d'environnement.
[2]
Site du ministère de l’écologie,
du développement durable et de l’énergie, http://www.developpement-durable.gouv.fr/Constats-et-objectifs,30231.html
[3]
« De la campagne des villes
européennes durables », p.9 - 2003. Consultable sur : http://euronet.uwe.ac.uk/www.sustainable-cities.org/News%20spec%20French.pdf
[4]
Mohamed Belaali, « Nouvelles de
Marinaleda », Le Grand Soir, Août 2011. Consultable sur : http://www.legrandsoir.info/nouvelles-de-marinaleda.html
[5]
« Les écoquartiers », Site
internet Habitatcoop. http://www.habicoop.fr/spip.php?article305
[6]
Chiffres clés SCIC, Site Inter
Réseaux SCIC : http://www.les-scic.coop/sites/fr/les-scic/documentation/chiffres-cles
http://www.les-scic.coop/sites/fr/les-scic/l-annuaire-scic/scic-activite
(Consulté le 24/05/2015). Voir par
exemple la SCIC ENR Pays de Rance, Côtes d’Armor : http://www.scic-energiesrenouvelables.fr/
[7]
Loi n° 2000-108 du 10 février
2000 relative à la modernisation et au développement du service public de
l'électricité : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000750321
[8]
Daniel Tanuro, « A propos du «
Manifeste écosocialiste » du Parti de Gauche », Site Contre Temps, Mars 2013 : http://www.contretemps.eu/interventions/propos-%C2%AB-manifeste-%C3%A9cosocialiste-%C2%BB-parti-gauche
[9]
« Manifeste écosocialiste
international », Co-rédigé par Michaël Löwy et Joel Kovel, 2001, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article7891
La
« déclaration écosocialiste de Belèm », 2009, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article13522
[10]
Daniel Tanuro, op.cit.
2013.
[11]
Association négaWatt, Scenario
négaWatt 2011 : http://www.negawatt.org/scenario-negawatt-2011-p46.html
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