Peinture de Jules Granjouan, musée de Nantes |
- 1 - Depuis 2008, la conjoncture européo-atlantiste n’a été stabilisée qu’au prix de lourdes hypothèques.
2007-2008 a mis au grand jour les
failles invraisemblables du monde de la globalisation financière,
spécialement sa forte dimension de spéculation immobilière. Depuis
la conjoncture mondiale n’a pas retraversé de ruptures d’ampleur
comparables et l’économie paraît même stabilisée en Amérique
du Nord, au Japon et en Europe.
Ce résultat n’a toutefois été
atteint qu’au prix de lourdes hypothèques :
• Une évolution de la hiérarchie
financière et politique au sein du système mondial des Etats : le
rachat par les finances publiques des dettes bancaires pèse
davantage sur certains Etats que d’autres, ce qui près de nous a
affecté brutalement les habitant.e.s du Portugal, de la Grèce et de
l’Irlande, mais aussi et d’une autre manière les populations
britanniques ;
• Un abaissement du coût des
matières premières : il accentue la concurrence entre pays
producteurs, ruinant les tentatives de réduire l’exploitation des
ressources fossiles et le dérèglement climatique d’une part,
générant de graves crises sociales d’autre part, dans le
continent africain et dans l’hémisphère sud des Amériques, le
Venezuela et le Brésil spécialement
• L’intensification des guerres
dans les zones productrices de pétrole au Proche et au Moyen Orient
: les interventions brutales des Etats de l’OTAN ont certes réduit
l’Etat islamique, mais les infrastructures et les équipements de
base ont été massivement détruits, rendant aléatoire les
souhaitables solutions politiques entre les différentes communautés
• Un durcissement des profondes
déchirures du tissu social : aux USA, la spéculation immobilière
et urbaine reste très élevée et les centaines de milliers de
ménages qui ont perdu leur logement dans la crise des subprimes
restent grevés dans leurs moyens de survie, exception faite du
timide Obamacare ; le Portugal, l’Espagne, la Grèce sont durement
touchés, mais aussi l’Europe centrale et une grande partie de la
Grande Bretagne ainsi que le nord de la France.
Ces évolutions de la décennie
s’opèrent sur fonds de tensions structurelles anciennes.
Le monde connait la plus grave crise
migratoire depuis le second conflit mondial. En fait, le système
inter-étatique connaît des collapses récurrents, dans le secours
aux populations des secteurs en guerre ou exposés à d’incessantes
catastrophes comme Haïti. Plus globalement, le vaste mouvement
d’urbanisation en cours s’effectue dans de très dures conditions
au sud, faute de transfert de savoir-faire, et devient un nouveau
terrain de conflits d’influence entre les grands Etats.
Le commerce intercontinental est
tributaire d’industries condamnées comme l’automobile. Seule la
croissance des marchés intérieurs asiatiques préserve le
capitalisme de ce que sa praxéologie désigne désormais comme la
menace mortelle d’une « stagnation séculaire ». Le rythme et les
orientations de cette croissance délimitent l’affrontement entre
les vieilles multinationales occidentales et les nouveaux géants
capitalistes issus de l’entrée dans « l’atelier du monde » des
pays émergents.
Une des dimensions déterminantes des
échanges continentaux et de circulation des personnes, les réseaux
urbains, est gravement affectée par des coûts démesurés de
l’immobilier et le secteur qui en extrait la rente a acquis dans
certaines économies - nord-américaine, britannique, espagnole,
française… - un poids démesuré au détriment des secteurs
capitalistes moins parasitaires.
En Europe et en France, les conflits
politiques se durcissent et leurs enjeux se radicalisent.
Les principaux courants politiques
formatés par les exécutifs occidentaux depuis 1945 (démocratie
chrétienne, libéraux, le « gaullisme » pour la France) sont
irréversiblement délités, ce dont les échéances électorales
donnent de plus en plus la mesure : le vote du Brexit, l’élection
de Trump et de Macron ainsi que la contestation de la CDU-CSU par
l’AFD sont autant de signes que les tensions sociales et politiques
tendent vers une nouvelle étape de confrontation. L’étatisme des
partis socialistes européens, sur lequel les PC du sud de l’Europe
se sont souvent alignés, n’a pas constitué la digue, le bouclier
social, qu’espéraient leurs électorats. Les cultures communistes
et socialistes qui étaient ancrées dans la vie politique de l’ouest
européen achèvent de s’effondrer.
Vers 2014 ou 2015, l’accumulation de
divers phénomènes a vraisemblablement ouvert un nouveau moment
politique.
Dans l’économie et les sociétés de
l’est et du sud de l’Europe, l’acmé des effets structurels du
carcan monétariste a été atteinte : le carcan monétariste
maintenu par la Troïka France-Allemagne-Grande Bretagne a sauvé les
grandes banques européennes mais au prix d’un saut dans l’inconnu
et les trois puissances ne s’accordent plus guère sur aucune
direction commune.
Le confinement du printemps arabe par
l’Union européenne s’approfondit alors dans une très dangereuse
militarisation des frontières. La « crise des migrants », i.e. la
faillite des coopérations étatiques dans l’accueil des
réfugié.e.s, l’exprime nettement : la confrontation engagée
évolue vers un moment où elle sera plus ou moins généralisée et
surtout frontale.
Les États du G7, en déficit de
légitimité dans les opinions politiques nationales, ne sont par
ailleurs plus non plus sur des orientations cohérentes. Les
oppositions d’intérêts entre grandes puissances occidentales ont
longtemps poussé chacune à sortir du libéralisme dirigé -
qu’avait installé le plan Marshall et la reconstruction du Japon -
pour maximiser sa croissance intérieure et booster ses exportations.
Ce sont ces mêmes oppositions d’intérêt qui produisent
aujourd’hui le Brexit et les «America first » et « France is
back » de part et d’autre de l’Atlantique.
L’Etat-néolibéral n’est en rien
le moins d’État qu’avançaient ses idéologues, ni a fortiori la
généralisation de la démocratie et du libéralisme politique
qu’ils prétendaient construire. Les exécutifs américain,
britannique et français avancent désormais des ensembles de mesures
proprement néo-conservatrices, dans un projet systémique avoué.
Que Trump y ajoute une vergogne très inspirée des succès d’un
Berlusconi ne doit pas masquer l’essentiel : la constitution de
part et d’autre de l’Atlantique d’orientations
néo-conservatrices gouvernementales très affirmées.
2. En 2017, la
France a résolument rejoint la coterie des gouvernements livrés à
eux-mêmes.
Depuis de longs mois, l’Italie et
l’Espagne sont entrées dans une phase baroque de gouvernements
radicalisant les recettes de l’Etat-néolibéral sans la
sacralisation du suffrage universel. Les élections de 2017 viennent
d’aligner la situation intérieure française sur cette pathologie
des institutions régulées par le suffrage universel en Europe.
Porte-voix du très conservateur corps
diplomatique français, Macron n’est que très partiellement
sensible à l’incrédulité que suscite Trump dans le continent.
L’aventurisme criminel de la reconnaissance de Jérusalem comme
capitale de l’Etat reconnu par l’ONU en 1948 ne rencontre pas
d’obstacles du côté des droites européennes : pourtant, la
radicalisation qu’elle précipite, y compris du côté d’Erdogan,
a des répercussions immédiates sur le continent. Et les dérives
inéluctables de la globalisation financière sont relancées par le
plan d’abattements fiscaux de l’exécutif américain, sans que la
zone euro ne prenne seulement acte de l’enjeu et que ses
gouvernements cessent leurs surenchères de moindre disant fiscal
auprès des multinationales.
Engagé dans son second semestre
d’exercice, le binôme Macron – Philippe n’est confronté à
aucune opposition intérieure sur la conduite à tenir dans cette
conjoncture européenne et mondiale. Au plan intérieur, il s’inscrit
avec précision dans la droite poursuite des politiques des trente
dernières années, donc sans que les promoteurs des étapes
antérieures, UDF, RPR et PS de Mitterrand et Rocard ne puissent
exprimer une nuance ici ou là. Surtout, il bénéficie du crantage
des contre-réformes massives menées ces dernières années sur la
militarisation des frontières et l’état d’urgence, sur la
liberté de licencier et de n’embaucher qu’en « juste à temps »
et à bas prix, sur la gestion en logiques assurantielles des organes
de mutualisation de la prévoyance vieillesse et maladie, sur le
niveau insuffisant des « prélèvements obligatoires »…
3. Le défi
politique posé au mouvement social de 2016 perdure
La confrontation à un gouvernement
central à ce point à l’abri de toute pression politico-sociale
n’est pas inédite pour le mouvement social. C’est la situation
qu’a installée Valls-Hollande dès qu’est passée la vague de
droite des dernières élections municipales. La contestation massive
de la fin de l’hiver et de tout le printemps 2016 a été une
première phase d’apprentissage des moyens de faire face dans une
telle configuration.
L’intervention des routiers sur le
chemin des ordonnances vient de montrer que de part et d’autre il y
a conscience que l’exécutif n’agit jamais hors de portée de
tout contre-pouvoir. Les manifestations de septembre et octobre 2017
ont eu pour fonction de garder mobilisés les délégué.e.s et les
équipes syndicales qui vont se trouver en première ligne dans la
dénonciation des conventions collectives et dans le bouleversement
programmé de l’UNEDIC, de l’apprentissage et de la formation.
Il est totalement prématuré de passer
du constat que les manifestations ont été limitées à la
conclusion que le salariat et le fonctionnariat sont entrés dans une
phase de résignation. Le recours massif aux CDD est de longue date
installé dans les usines et les services et obèrent les réactions
collectives - qu’elles portent sur le quotidien dans l’entreprise,
ou bien, à échéances rapprochées depuis une décennie, sur
l’agenda des « partenaires sociaux ». La SNCF, l’hôpital,
l’Université… font depuis deux décennies l’objet de gestions
régressives qui pèsent également et lourdement sur le quotidien
des salarié.e.s. et sur les postures individuelles et collectives.
Les critiques de la culture étatiste
des gauches françaises, spécialement les autogestionnaires, ne
peuvent ignorer le besoin de repenser la redéfinition en cours des
formes et des enjeux des luttes de classes. Les contradictions qui
traversent toutes les composantes du Front de gauche comme d’ailleurs
le mouvement altermondialiste et le courant libertaire y incitent.
Formation politique, Ensemble! est en
première ligne dans cette nécessité de clarification : elle s’est
fondée comme rassemblement des membres du cartel électoral qui ont
voulu au lendemain des élections municipales de 2014 sortir le Front
de gauche du face-à- face mortifère entre le Parti de gauche et le
Parti communiste. Les impasses dans lesquelles sont placées
aujourd’hui ces deux partis pèsent en conséquence fortement dans
leurs débats et sur leurs capacités d’initiative. Sauf à choisir
de se disperser, elles et ils auront - comme les libertaires et les
anticapitalistes - à débattre publiquement pour faire émerger des
axes d’intervention et d’animation en débat avec les animatrices
et animateurs de syndicats et d’associations de défense des droits
politiques et sociaux qui sont amené.e.s à assumer une dimension de
lutte politique.
4. Les nouvelles
lignes de clivage politiques se cristallisent : à rebours de la
mystification qui vante le « modèle social français »,
la main d’œuvre dans l’hexagone est plus que jamais exposée à
la dérégulation « attractive » pour l’employeur de
référence, la multinationale.
Il importe dans un plan de travail de
remettre sur le chantier la question des extrêmes droites et des
droites françaises. Quinze ans après la fusion du RPR et de l’UDF,
le parti de la droite provinciale et des beaux quartiers dénommé LR
a perdu toute prééminence dans l’échiquier politique
conservateur français et européen. Macron et Philippe sont en voie
d’asseoir une nouvelle droite en France : la mise à bas du code de
travail et l’incorporation au droit ordinaire de l’état
d’urgence aggravé, le discours de Calais et la mise en œuvre de
la sélection à l’entrée de l’université démontrent qu’il
s’agit d’une nouvelle droite à fortes tonalités
néo-conservatrices que l’exécutif, ses cabinets et ses préfets
sont en train d’accoucher. La carte électorale des élections
européennes et plus encore celle des élections municipales s’y
prêtent. Mais encore une fois, la conjoncture française est
enchâssée dans une évolution politico-sociale improbable du
capitalisme et la concurrence entre la nouvelle droite française et
LR est davantage suspendue aux chaos de cette mutation qu’à
l’aptitude à déployer des réseaux de notables dans les
départements et les communes.
Le rôle actif que le PS français a
tenu dans l’évolution de l’encadrement étatique des marchés
dans le continent depuis la nomination de Jacques Delors ;
l’hécatombe de municipalités de gauche, de conseillères et de
conseillers départementaux et régionaux de gauche en 2014 et 2015 :
ces deux héritages ne seront que très mal reconduits en 2019 et en
2020 par ce que le PS et ses ex-alliés de la gauche plurielle
conservent en appareils d’élu.e.s dans telle ou telle région.
Cumulant avec Le Pen et la vieille
droite 54,8% des inscrit.e.s à l’élection présidentielle,
l’élection à l’aulne de laquelle se pilotent les institutions
étatiques françaises (56 ,7% en 1965 et 53% en 1969), la nouvelle
droite de Macron mène une révolution conservatrice d’une ampleur
comparable aux privatisations massives de Thatcher : sauf à être
contrée dans la mise en œuvre (voir l’action des délégué.e.s
des salarié.e.s de Pimkie) et circonscrite dans l’étape de
dénonciation des conventions collectives, la dérégulation de
l’embauche, du licenciement, de l’apprentissage, de la formation
et des revenus de substitution fera de la France d’ici 5 ans le
marché du travail le plus « attractif » pour les multinationales
dans l’ouest du continent.
Au stade de l’installation des
nouveaux cadres juridiques pour les employeurs, la facilité d’action
qu’a obtenue l’exécutif résulte des 55% de suffrages
comptabilisés à droite et à l’extrême droite au soir du 23
avril. Elle résulte aussi de l’usure du « paritarisme » à la
française. Les mobilisations de 1995, 2003, 2010 et 2016 ont vu la
CFDT et ses alliés servir des exécutifs allant toujours plus loin
dans l’abaissement de la sécurité sociale, des retraites et de
l’assurance-chômage. L’aménagement des règles de
représentativité organisé par les mêmes exécutifs en 2009 les
favorise et entretient la concurrence que FO tente de leur opposer,
le tout dans la plus grande opacité pour les salarié.e.s. Une
grande part de la sphère syndicale française est aujourd’hui
organiquement intégrée aux stratégies patronales et étatiques et
contrebalance activement l’intervention auprès des salarié.e.s du
pole CGT, Solidaires, FSU.
Pour les autogestionnaires, la clé de
la résistance et du redéploiement est, dans la situation française
et européenne, la dynamisation du pôle syndical « luttes de
classes » et du mouvement social pris dans sa globalité et ses
complémentarités. Le mouvement social, ce sont ces structures
sociales, sociétales et syndicales à forte dimension politique, qui
initient des résistances, expérimentent des avancées. Ce sont ces
structures qui fondent l’assise des gauches sociales et politiques
européennes : elles mémorisent l’expérience, une condition
essentielle de la capacité à se déterminer entre les orientations
à gauche possibles.
5. Populismes ou
changement de société ?
Pour les autogestionnaires, et pour
tous les critiques du fétichisme de la politique et de l’étatique,
ce moment est avant tout un moment de mûrissement des nouvelles
conditions de luttes de classes. Ici aussi, l’usure des
référentiels soulève de redoutables difficultés, particulièrement
en France : l’usure n’épargne en effet pas des actrices et
acteurs politiques du champ situé à la gauche de ce que fut le PS,
deuxième parti de gouvernement de la 5ème République, et elle est
un des obstacles aux redéploiements qu’appelle la situation.
La gauche sociale et politique ne peut
pas orienter sa mutation vers la redécouverte du keynésianisme, y
compris dans sa version « socialisme d’Etat » des années 60 à
1983-84. Durant la phase de décolonisation, le libéralisme
administré sous tutorat nord-américain a reconstruit un appareil de
production et de distribution européen transnational dans l’ouest
du continent, avec pour bornes les régimes dictatoriaux de l’arc
méditerranéen. Depuis quatre décennies, la co-extension des
capitalismes nord-américain, japonais et européen a déplacé
l’échelle d’administration du libéralisme du plan national au
plan intercontinental, et le tutorat américain s’est accommodé
des concertations du G7 en complément du pivot de l’OTAN. Cette
administration étatique du libéralisme n’est jamais exogène des
rapports productifs essentiels, contrairement à ce qu’avance la
vulgate anti-libérale. Les versions de gauche de l’encadrement
étatique de « l’économie politique » courent depuis
les années 50 derrière une impossible « économie mixte »
selon l’improbable formule chère à Mitterrand. A des degrés
divers, par Sanders, Iglesias, Corbyn et Mélenchon reprennent cette
course là où l’ont quittée les Clinton, Gonzalès, Blair et
Jospin : l’urgence écologique, les inégalités de genre et
de classe, la confiscation par l’élite de pouvoirs toujours plus
étendus et ramifiés… servent l’argumentaire de ce retour
a-critique à leurs candidatures aux gestions étatiques.
Mais, l’activisme juvénile qui
caractérise leurs campagnes très personnifiées masque mal le
revivalisme du keynésianisme que ces leaders opposent à la faillite
de la social-démocratie européenne. Quelques slogans de campagne
électorale ne suffisent pas à affronter l’emprise des
multinationales mais ils peuvent accroitre la confusion « populiste
».
En France, logique de caporalisation
des scrutins présidentiels oblige, cette orientation se déploie
d’une façon plus dramatique encore que dans tous les autres pays
occidentaux. Dramatique car un pouvoir très centralisé mais peu
représentatif du point de vue du suffrage universel trouve de vraies
marges de manœuvre dans le très faible score des quatre
candidat.e.s de gauche : 21% des inscrit.e.s le 23 avril contre
24% en 1969, quand la gauche non communiste et le PC avaient été
désavoué.e.s dans les urnes pour être passé.e.s à côté de mai
et juin 68.
En France toujours, le PC a choisi de
préparer activement l’échéance municipale dans une configuration
voisine de celle qu’ils ont assumée en 1965 et en 1971 : leur
congrès de novembre y sera consacré. Visant une 3ème candidature
de Mélenchon en 2022, le PG est en quête d’une improbable
maîtrise de ses « groupes d’appui », dont il craint qu’ils ne
soient la porte d’entrée de solides appétits de recyclage. Pour
l’un et pour l’autre, l’élection européenne éludera
difficilement le jeu des fractions qui veulent en faire une affaire
de conflits d’organisation et une affaire franco-française.
Dans un environnement politique
outrageusement formaté par les pratiques électoralistes et le
manque de représentativité sociale, les courants autogestionnaires
ont pour levier d’œuvrer au développement d’espaces de
rencontres et d’initiatives ouverts, combinant expressément « le
local et le global », les enjeux immédiats et les échéances
qu’imposeront soit la nouvelle droite de Macron-Philippe, soit les
confrontations européennes et mondiales.
La tenue de forums reprenant
l’expérience et les enseignements de Nuits debout peut renouveler
les formes de dialogue entre les différentes composantes du
mouvement social dans ces échéances de confrontation. Une des
conditions dans cette voie est que les formations politiques doivent
expressément renoncer à toute prétention de « direction » de ce
dialogue. Car les déterminations des comportements économico-sociaux
ont profondément été transformées ces dernières décennies et,
d’une certaine manière, l’étonnant est que la recomposition des
comportements politiques ne vienne dans toutes ses implications au
premier plan que ces dernières années. Cette recomposition n’est
que très partiellement encore explicite, et la portée de Nuits
debout reste largement peu débattue, ce qui laisse le champ libre
aux mystifications des politicien.ne. s et des politologues.
La création, à distance des
institutions étatiques, d’espaces politiques ouverts est l’étape
à laquelle devrait œuvrer les autogestionnaires et tous les
critiques du « socialisme d’Etat ». C’est l’orientation que
développe Pierre Zarka depuis plusieurs années, l’initiation de
forums multiformes, à l’initiative d’une large palette de
formations, sociétales, syndicales et politico-sociales.
Dans les mois à venir, cette démarche
sera la condition pour que puissent intervenir les animatrices et
animateurs du mouvement social conduit.e.s à assumer une posture
politique dans la confrontation qui s’engage ; elle concrétise
d’ailleurs l’ambition de l’appel des cent de 2016.
Elle est également, dans un deuxième
temps, la condition pour inverser les logiques en place au PC et au
PG et ouvrir en leur sein l’alternative entre d’une part un choix
assumé de constructions des pluralités sociales et politiques et,
d’autre part, le choix de sélection de « compagnons de route »
auquel se réduit encore et toujours la ligne politique de larges
fractions de ces deux partis. Et le dialogue à nouer avec un courant
comme Alternative libertaire est dans cette visée également
essentiel.
Il faut aujourd’hui prendre la mesure
de la fin d’un de ces cycles d’intégration des courants
contestataires qui rythment l’ajustement des rapports sociaux
capitalistes et de leur pérennisation. La radicalisation des droites
occidentales, que la gestion des populismes européo-atlantistes a
habilement pilotée, arrive à une bifurcation. Le politique et
l’étatique ont ceci de commun avec le militaire qu’ils
privilégient la cooptation et la répétition. Il s’ensuit
aujourd’hui, à la base autant qu’au « sommet », la
reconduction à gauche de grilles de lectures inadaptées aux enjeux
identifiables ; c’est qu’elles sont conditionnées et
tributaires des données de programmation des échéances électorales
et de leur mise en scène médiatique, sur uTube comme sur TF1 ou la
BBC. Ces différents éléments conduisent à occulter les
transformations majeures en cours dans les dynamiques émancipatrices.
Ces dernières décennies, le mouvement
des femmes puis le mouvement altermondialiste ont prodigieusement
transformé le mouvement anticapitaliste, il est vrai encore bien
insuffisamment. En revanche, les mouvements issus de l’exigence de
citoyenneté des communautés immigré.e.s ont été tenu en lisière,
objet des cibles des partis de gouvernement, le PS épuisant toutes
les ressources de « l’assimilation républicaine » à
leur encontre (la politique paternaliste des « grands
frères »). Dans la dénégation des politiques étatiques
d’intégration, les vieilles forces politiques se réclamant du
mouvement ouvrier sont le plus souvent en Europe aveugles à ces
transformations et contradictions des pratiques et des aspirations.
Un tel fossé ne peut être comblé
qu’en travaillant à ce que les initiatives se calent, par-delà le
nécessaire refus de l’existant, sur un projet de société «
au-delà du capitalisme », sur un projet misant sur les dynamiques
d’appropriation de leurs conditions d’existence par les
différents groupes sociaux et sur l’aspiration transversale aux
mouvements de contestation d’une démocratie effective. L’ensemble
des liaisons politico-sociales est aujourd’hui en question : «
société civile » (au sens du 19ème siècle) / Etat ; Etat / «
société politique ». Ce qui « marche » facebookement
ou « pujadastement » ne doit pas nous faire oublier l’essentiel :
le retour en vogue des vieilles identités nationales occidentales
n’annonce que l’imminence d’un choc politique frontal.
En conclusion :
C’est une phase de maturation des
conflits politiques qui se poursuit dans des conditions éminemment
défavorables. Il importe particulièrement que se poursuivent les
croisements de réseaux sociaux et sociétaux qui initieront les «
nous valons mieux que ça » en gestation, comme il importe qu’à
leur échelle les autogestionnaires soient porteurs de mises en
perspective et de réponses collectives s’opposant à la
pérennisation des rapports sociaux constitutifs du capitalisme et de
la forme Etat.
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