vendredi 26 avril 2019

Printemps arabes : Un nouveau round ? par Hakim Ben Hamouda

Pour beaucoup, les révolutions du printemps arabe sont un vieux souvenir des beaux jours de révoltes de l’hiver 2011 et qui ont perdu leur attrait. Cette analyse qui cherche à rejeter loin dans notre mémoire cette nouvelle ère dans l’histoire politique du monde arabe ne manque pas de pertinence et de véracité. 

Les révolutions démocratiques dans le monde arabe ont connu deux grandes périodes historiques. La première a commencé en 2011 avec le début de la mobilisation dans les différents pays et s’est prolongée jusqu’en 2013. Il s’agit de la phase de l’espoir et la mobilisation sans précédent pour construire de nouvelles sociétés démocratiques. Ce sont les moments heureux des révolutions démocratiques avec ces mobilisations inédites qui ont été à l’origine de la chute de certains régimes comme en Tunisie, en Libye, en Egypte et au Yémen et ont fortement ébranlé d’autres comme c’était le cas en Syrie et au Bahreïn. Il s’agit d’un moment majeur dans l’histoire politique du monde arabe qui l’a ouvert sur un nouvel imaginaire politique marqué par les idéaux universels des droits de l’homme, de la démocratie et du pluralisme. 


Cette phase a contribué aussi à l’émergence d’une nouvelle dynamique politique marquée par la sortie des gens de l’ère de la peur, de l’angoisse et de l’enfermement dans l’espace privé pour échapper à l’autoritarisme des régimes en place. Les partis politiques se sont multipliés, les organisations de la société civile se sont développées et ont donné un nouveau dynamisme à l’espace public arabe et ont permis de l’enrichir après des décennies de marginalisation et de silence. 

Mais, cette phase pleine d’espoir et de rêves va se refermer au bout de deux années pour ouvrir une nouvelle marquée par la violence, les guerres et le terrorisme. L’ensemble des pays du printemps arabe vont alors connaître le recul des révolutions démocratiques et leurs dérives, et vont entrer dans une période d’instabilité politique, de guerre et de brutalité qui va effacer l’espérance démocratique et en faire un rêve loin d’atteinte. Ainsi, après l’intervention des armées du CCG au Bahreïn et la destitution du Président Mahmoud Morsi en Egypte, la Syrie, la Libye et le Yémen ont sombré dans des guerres civiles d’une rare violence qui ont détruit les fondements de l’Etat et de la société. 

Seule la Tunisie a échappé à ce désastre des printemps arabes mais avec des attentats terroristes, une grande instabilité politique et des crises économiques et sociales profondes. 

Ces guerres et cette violence sans précédent et les difficultés ont eu des effets négatifs sur les révolutions démocratiques et les printemps arabes. La confiance des gens dans le projet démocratique a reculé et on a assisté à la montée de l’idée de la restauration et du retour aux anciens régimes qui ont été en mesure d’assurer la paix et la sécurité en dépit de leur caractère autoritaire. 

Par ailleurs, beaucoup de régimes arabes qui ont réussi à éviter ces révolutions ont trouvé dans leurs dérives un argument pour défendre leur présence et leur légitimité mise à mal. L’échec des printemps arabes et leurs dérives violentes ont conduit à un chaos que nous n’avons jamais connu dans l’histoire de l’Etat post-colonial. 

Après l’espoir d’une véritable rupture dans l’histoire de l’autoritarisme arabe, c’est désormais l’inquiétude, le désenchantement et la peur de l’avenir qui l’emportent. Ce sont ces reculs, voire même ces échecs qui ont été à l’origine de la marginalisation des idées révolutionnaires des printemps arabes qui sont progressivement entrées dans l’histoire et ont été emportées par l’oubli. 

Or, ces révolutions démocratiques vont frapper de nouveau au Soudan depuis la fin de l’année 2018 et en Algérie avec les marches du vendredi qui ont commencé le 22 février dernier contre le cinquième mandat du Président Bouteflika. Les rassemblements de masse dans les deux pays nous ont rappelé ceux de la première génération des révolutions arabes avec cette quête de démocratie et cette volonté de rupture avec un ordre politique désuet. 

Et, même si ces deux révolutions sont dans leurs premiers développements et que leur avenir est encore incertain, il est possible d’esquisser l’hypothèse d’une nouvelle vague de révolutions démocratiques et d’un retour de l’onde révolutionnaire de la première vague des printemps arabes. 

En dépit des spécificités des différents pays et de leurs trajectoires historiques différentes, il est possible de souligner des rapprochements entre la première vague des révolutions et la seconde vague que nous sommes en train de vivre tant dans leurs origines que dans leurs dynamiques de développement. 

Au niveau des origines des révolutions des printemps arabes, il est possible de mettre l’accent sur quatre causes essentielles que l’on peut retrouver dans les différents pays en dépit de la diversité de leurs trajectoires politiques et historiques. 

La première cause est d’ordre politique et réside dans l’enfermement des régimes politiques arabes dans une logique autoritaire et autiste qui est à l’origine d’une coupure sans précédent entre les régimes de Ben Ali, de Moubarak et de Kadafi et de leurs populations, qui sont devenus anachroniques par rapport à l’évolution du monde et aux revendications des classes moyennes. On retrouve aujourd’hui cet enfermement en Algérie avec un Président Bouteflika qui a atteint un degré d’épuisement physique ne lui permettant plus de gouverner. Le pouvoir est accaparé par un petit groupe de proches et des membres de sa famille qui ont marginalisé toutes les institutions de manière définitive. On retrouve également la même situation au Soudan où le président Al Bashir avec un groupe de proches et sa famille qui se sont accaparés le pouvoir depuis leur échec dans la gestion de la crise du Sud et sa séparation avec le Nord. Les crises politiques dans la plupart des pays arabes et l’échec des projets de modernisation autoritaire de l’Etat indépendant ont conduit à l’enfermement des pouvoirs politiques et à leur fuite en avant dans une gestion autoritaire de l’espace public devenue surréaliste et anachronique. Ces développements ont été à l’origine d’importantes évolutions politiques et ont amené les populations à sortir de leur réserve pour commencer à manifester et à se mobiliser contre ces régimes pour exiger une plus grande ouverture des systèmes politiques. La fin de la peur a été à l’origine de ces grandes mobilisations et du début de la fin de l’autoritarisme « oriental ». 

La seconde cause à l’origine des printemps arabes est d’ordre économique et concerne l’épuisement des modèles de développement et de modernisation mis en place par la plupart des pays arabes. En Algérie, si la question économique a contribué à lui épargner la première vague des révolutions avec la hausse importante des salaires et des dépenses sociales, elle jouera un rôle majeur dans la nouvelle vague de révolutions et la chute du régime au cours des dernières semaines. En dépit des tentatives de diversification, l’économie algérienne reste rentière et sa dynamique est fortement liée à l’évolution des cours internationaux de pétrole et de gaz. La hausse de ces cours qui ont flirté avec les 120 $ au cours des années 2012-2014 a permis au pouvoir de peser sur les mouvements sociaux à travers la hausse des dépenses sociales. Or, le retournement de la conjoncture et la chute des cours sur le marché mondial à partir de 2015 vont avoir un impact majeur sur l’économie algérienne dont le déficit des finances publiques passera de 1,4% en 2013 à 15,7% en 2016. Les réserves en devises vont également baisser et passer de 200 milliards de $ en 2013 à 60 milliards en 2018. La détérioration de la situation économique et la multiplication des crises seront à l’origine des politiques d’austérité qui seront mises en place par les différents gouvernements à partir de 2014 et qui nourriront les contestations sociales. De même, le Soudan a commencé à connaître une crise économique profonde avec la séparation du Sud et la baisse des revenus de l’Etat du pétrole, ainsi que l’embargo appliqué par les grands pays développés. Le gouvernement soudanais a également appliqué des politiques d’austérité avec la réduction des dépenses de l’Etat, notamment en matière de subvention des produits de base. Ces politiques ont été à l’origine d’une forte augmentation et d’une inflation estimée par les autorités à 70%. Cette spirale inflationniste sera à l’origine de l’éclatement des contestations avant la fin de l’année 2018. 

La troisième raison à l’origine de cette seconde vague de révolution démocratique est l’accentuation du chômage particulièrement auprès des jeunes diplômés, la marginalisation sociale et l’accroissement des inégalités. Ces évolutions ont contribué à la remise en cause de la légitimation de l’Etat moderne qui a joué un rôle important dans le développement social et dans l’émergence de la classe moyenne devenue le porte-drapeau de la modernisation économique et sociale. Les crises sociales vont entamer la légitimité de l’Etat moderne et vont renforcer la contestation sociale. 

La quatrième raison qui est au centre des deux vagues de révolutions démocratiques dans le monde arabe concerne la montée de la corruption et du népotisme. Ce sont les familles et le cercle proche du pouvoir qui sont au cœur de la corruption. Cette corruption rampante a des effets non seulement économiques avec la baisse de l’efficacité des investissements mais aussi au niveau des valeurs avec la dévalorisation du travail en faveur des lobbys et des hommes d’influence qui deviennent les points de passage au gain facile. Le développement de la corruption sera à l’origine d’un rejet des cercles proches du pouvoir par les populations. 

Parallèlement aux causes, les convergences entre les différentes vagues de révolutions démocratiques se retrouvent également au niveau de leurs dynamiques. En dépit de la diversité des différentes trajectoires, il est possible de mettre l’accent sur quatre caractéristiques essentielles dans le déroulement des révolutions démocratiques. 

La première caractéristique concerne la grande participation populaire. Ces révolutions ont réussi à réunir de larges franges de la population des différentes couches sociales dans une coalition historique qui ont réussi à dépasser la peur de l’Etat et des appareils de répression. Ces mouvements ont été marqués par une grande spontanéité et l’absence de directions politiques avec la marginalisation des partis politiques et des forces politiques traditionnelles. Si cette spontanéité a été une des forces majeures de ces révoltions, elle va rapidement poser la question de l’absence d’horizons politiques clairs à ces mouvements. 

La seconde caractéristique de ces mouvements concerne leurs côtés pacifique et civil et qui ont résisté à toutes les tentatives des appareils répressifs de les pousser vers le cercle de la violence. Cet engagement et cette volonté de maintenir le caractère pacifique se sont nourris de l’expérience de la première vague de révolutions où l’apparition de la violence a été à l’origine de leurs dérives et de leurs échecs. Par ailleurs, l’expérience algérienne et l’éclatement de la guerre civile après le printemps de 1988 avec ses 200 000 victimes ont joué le rôle de repoussoir devant le recours à la violence. 

La troisième caractéristique concerne la grande participation des femmes en Algérie comme au Soudan où l’étudiante Ala Saleh est devenue l’une des icônes du soulèvement. Cette présence rappelle que le rejet des régimes post-coloniaux ne se limite pas aux questions politiques et économiques mais aussi aux questions du genre. Ces pouvoirs ont poursuivi le caractère patriarcal de nos sociétés et la modernisation n’a pas touché l’égalité des droits pour les femmes. Cette participation massive des femmes dans cette nouvelle vague de révolutions montre leur détermination à faire de ce mouvement non seulement une libération de l’autoritarisme mais doit toucher également la culture patriarcale hégémonique dans nos sociétés et qui est à l’origine de l’exclusion des femmes de l’espace public. 

La quatrième caractéristique de ces mouvements est leur côté festif avec une participation sans précédent des artistes et des intellectuels. Ces mouvements ont connu également un développement rapide de l’humour qui a particulièrement touché les représentants du pouvoir et particulièrement les plus corrompus. Ces mouvements sont devenus de grands happenings qui ont permis aux gens d’investir de nouveau l’espace public et de reconstruire le line social dans une manifestation joyeuse et heureuse. 

Il est difficile aujourd’hui de prévoir les évolutions futures des mouvements en Algérie et au Soudan. Mais, le degré de mobilisation et d’engagement nous laisse penser que ces pays ont entamé une véritable transition démocratique. A ce propos, nous voulons souligner quatre leçons essentielles de la première vague des révolutions démocratiques. 

La première concerne la nécessité de poursuivre le caractère pacifique de ces mouvements. 

La seconde leçon a trait à la nécessité de fonder la nouvelle République sur de nouvelles bases constitutionnelles. 

La troisième est liée à la justice transitionnelle et la nécessité d’en faire un véritable processus de réconciliation. 

La quatrième leçon se rapporte à la nécessité de définir des programmes économiques et sociaux afin de répondre aux attentes des populations. 

En dépit de la dérive de la première vague des révolutions des printemps arabes, les mobilisations en Algérie et au Soudan ouvrent une nouvelle ère et redonnent un espoir au changement démocratique dans le monde arabe. Il est à espérer que ces nouvelles vagues retiennent les leçons de la première afin que l’espoir du changement démocratique reste vivace. n

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