vendredi 5 juin 2020

À l’ordre du jour, la sortie du capitalisme

Une trentaine de militants issus d’horizons différents lancent Initiative Capitalexit. Leur ambition est de produire un nouvel espace de débat collectif sur des contenus politiques de dépassement du système mortifère. 

« Suite à la crise sanitaire, de multiples voix s’élèvent pour construire le monde d’après. Mais pour les classes dominantes, il ressemble furieusement au monde d’avant, explique l’historien Jean Sève, l’un des membres fondateurs d’Initiative Capitalexit. Cette fragilisation de notre société est pour elle s une occasion rêvée de renforcer leur pouvoir et leur domination. » 

Dans un manifeste (lire ci-dessous), les signataires, qui organisaient mardi 2 juin une conférence de presse, partagent le constat fait par le philosophe récemment décédé Lucien Sève et son fils et coauteur dans Capitalexit ou catastrophe (la Dispute, 2018) : le système capitaliste est entré en phase terminale. Ce système a permis, par la surexploitation de la nature et par la destruction des habitats de la faune sauvage, l’émergence de cette pandémie, tout en étant incapable d’apporter des protections sanitaires à la hauteur. La recherche sans limite du profit est ainsi totalement responsable du démantèlement des structures de santé. Le capitalisme produit aujourd’hui une crise globale de civilisation, constituée de multiples crises imbriquées les unes aux autres. 


« Un mouvement général conduit par la classe des dépossédés » « Il faut donc sortir de ce système, reprend Cyril Melot, doctorant en science politique à l’université Vincennes-Saint-Denis-Paris-VIII. Par le passé, l’accession démocratique par voie électorale à la direction de l’État a presque systématiquement été ­récupérée par le capital, amenant alors à une trahison des engagements pris devant le peuple », explique-t-il pour démontrer la forte capacité du capitalisme à faire accepter et intérioriser ses normes et sa doctrine aux forces qui pourtant le contestent. 

Selon lui, les différentes alternatives de terrain comme les coopératives ou les ZAD préfigurent de réels moyens d’émancipation. « Mais, souffrant d’un manque de coordination entre elles et de généralité politique, elles ne peuvent créer les conditions d’un rapport de force suffisant pour imposer une sortie générale du capitalisme », conclut-il. 

« Notre objectif est de transformer cette prise de conscience en une dynamique inédite pour mettre fin à ce système, poursuit Nadia Salhi, syndicaliste CGT en charge de l’industrie et comptant également parmi la trentaine de signataires du manifeste d’Initiative Capitalexit. Nous sommes déterminés à défier les capitalistes sur le terrain du pouvoir et dans toutes les dimensions de la vie sociale. » 

À l’ordre du jour donc, « une intense entreprise de conviction couplée à différentes initiatives pratiques pour enclencher un mouvement général d’appropriation de tous les pouvoirs et de toutes les puissances sociales conduit et piloté par la classe des dépossédés ». 

Afin d’éviter la verticalité inhérente aux organisations traditionnelles, Initiative Capitalexit a fait le choix de prendre la forme de collectifs thématiques à « haute compétence d’initiatives et de réflexions ». Pour l’instant au nombre de quatre, ils traitent de sujets variés comme repenser la démocratie pour qu’elle se libère de ses entraves capitalistes, créer une économie dépourvue d’actionnaires, élaborer un système de retraite juste ou encore redéfinir le rôle et la place du service public dans notre société. Mais ces ­collectifs auront vocation à s’étendre, tant dans les thématiques que par une plus forte et plus importante représentativité sociale.  

À retrouver sur le site http://capitalexit.org 

Sylvestre Rome et Pierre Chaillan (L'Humanité)

Le Manifeste
La France entre en révolte. Un énorme «on n’en peut plus» monte de l’hôpital et de l’école, de l’atelier et du service, de la banlieue et de la ferme, des retraité.es et de la jeunesse. Une révolte? Non, sire, une révolution – révolution de sorte inédite qui vient à l’ordre du jour. Parce que les souffrances infligées aux femmes et aux hommes par le néolibéralisme crient assez. Parce que les gâchis dépassent désormais toute limite. Parce que devient imminente la menace de catastrophes d’ordre écologique, anthropologique, politique, voire de colossal effondrement économique. Un puissant «on n’en veut plus» est à construire d’urgence, et les tentatives se multiplient. Le drame est que sauf exception elles ne vont pas jusqu’à mettre en cause ce qui nous condamne à l’insupportable: un capitalisme entré en folie jusqu’à l’extrême désastre. Or on ne guérit pas en traitant les symptômes, il faut s’en prendre au mal même.
C’est ce qui définit la visée originale d’Initiatives Capitalexit (I.C.) 1 : contribuer à faire que s’engage sans délai la tâche impressionnante mais pressante d’en finir avec le capitalisme, d’amorcer la marche en direction d’une société où notre sort cessera d’être absurdement subordonné aux intérêts égoïstes d’une infime minorité. Tâche énorme, mais nous n’avons plus le choix. Et engager la sortie du capitalisme devient à vue d’œil non pas certes facile mais possible. Les moyens matériels et intellectuels de résoudre dans l’intérêt général nos lourds problèmes d’aujourd’hui et demain sont en croissance accélérée. Trop peu encore, mais de plus en plus, se développent les prises individuelles et collectives de conscience et de responsabilité. Là est le germe décisif d’un après-capitalisme viable et désirable.
Vers quelle forme concrète de société plus humaine s’agit-il d’aller, seul devra en décider le débat public à chaque pas démocratiquement arbitré entre citoyennes et citoyens bâtissant ce nouveau monde. Mais on peut dire sans risque d’erreur qu’elle travaillera à déployer notre pouvoir d’intervenir et décider ensemble dans tous les domaines où se façonne le monde et se déterminent nos existences. En généralisant notre appropriation commune et directe des moyens de production et d’échange, elle mettra fin à la propriété lucrative et garantira notre droit individuel et collectif à la propriété d’usage 2 – ainsi serons-nous en mesure de déterminer nous-mêmes les conditions, moyens et finalités de notre travail. En préférant la coopération à la marchandisation, elle s’activera à conjuguer satisfaction des besoins sociaux, respect de la nature et épanouissement des personnes. En faisant de la politique une compétence partagée, elle nous permettra d’avoir vraie part à la conduite des pouvoirs publics. C’est tout cela que visait Marx sous le nom de communisme. Le temps n’est plus aux demi-mesures: transformer pour de bon le monde et changer la vie est l’urgente décision dont toutes et tous, nous devons nous sentir comptable. Faire partager très largement cette conviction est la première tâche que s’assigne I.C.
Qu’il faille sortir sans délai du capitalisme, l’idée commence à s’en répandre, chose frappante. Mais comment cela va-til être faisable? Beaucoup se le demandent avec perplexité, voire anxiété. Les diverses voies supposées y conduire ont été historiquement invalidées. La conquête insurrectionnelle du pouvoir par une minorité agissante a débouché imparablement sur un autoritarisme doublé de bureaucratisme contrecarrant l’émancipation générale visée. L’accession démocratique à la direction de l’Etat par voie électorale s’est avérée presque à tout coup récupérable par le capital, et même intérieurement gagnée à sa cause jusqu’à une vraie trahison des engagements pris devant le peuple. Quant aux précieux essais de donner vie à des alternatives de terrain, s’ils matérialisent des possibilités émancipatrices, aucun n’est parvenu à créer un rapport de forces capable d’imposer quelque transformation sociale majeure.
C’est une voie inédite qu’il faut inventer, à partir de ce crucial fait nouveau: alors que le capitalisme tend à nous déposséder de tout pouvoir sur nos vies, la société sans classes et sans dominations à construire peut répondre aux aspirations du plus grand nombre. Elle vise l’appropriation collective des avoirs, des savoirs et des pouvoirs. Elle doit donc naître d’un révolutionnement démocratique conduit et piloté par cette immense majorité que constituent les dépossédé.es dans toute leur différence. Est à engager une intense entreprise de conviction en ce sens, bataille d’idées et initiatives pratiques correspondantes s’activant dès maintenant à transformer concrètement la vie sociale et rendant peu résistible l’exigence de réformes révolutionnaires, c’est-à-dire de transformations à caractère essentiel prenant force de loi. Un vrai changement d’ère.
Nombre d’efforts surgissent en ce sens, souvent à petit bruit médiatique. Il s’agit d’en faire un processus torrentiel, engageant une évolution révolutionnaire emportant toutes les défenses d’un système socio-politique disqualifié. Qui ne le ressent? Nous sommes à un tournant de l’histoire humaine. Le pire est possible, jusqu’à une disparition cataclysmique de toute civilisation. Le meilleur est pourtant à portée de main, si nous nous mettons en grand nombre à le rendre inévitable. C’est dans cette perspective que veut s’inscrire inventivement I.C.
Une évolution révolutionnaire ne se décrète pas, mais il importe à haut point qu’elle puisse être sagement pilotée. Elle appelle donc organisation appropriée. Ne peuvent convenir à l’autogestion d’une levée en masse ni le parti vertical, état-major contre-productif pour la prise d’initiative citoyenne responsable dont tout va dépendre, ni le mouvement d’allure horizontale dont la cohérence est suspendue au pouvoir d’un chef charismatique. Activer puissamment la bataille révolutionnaire voulue incite à former un vaste réseau durable de collectifs thématiques, chacun travaillant en toute maîtrise à élaborer et promouvoir une transformation précise dans l’échange de vues et d’expériences avec d’autres collectifs de même objet, la coordination nécessaire de l’ensemble étant l’œuvre d’une centralité horizontale non directive fonctionnant à la constante démocratie majoritaire..
C’est à engager la formation d’un tel tissu de collectifs que travaille et appelle le collectif provisoire d’animation d’I.C. Le maillage à tisser ne tend à concurrencer nulle organisation ou initiative amie, et la militance I.C. n’est exclusive d’aucune autre de visée compatible. L’objectif est d’ajouter à tout ce qui se fait d’utile en sens émancipateur un moteur de prise de conscience et d’initiative à vocation expressément postcapitaliste, révolutionnaire en un sens novateur du terme. Venir y travailler n’exige pas examen d’admission, seulement ferme adhésion à la tâche ici définie et engagement moral de respecter toujours la démocratie majoritaire. Les membres du collectif provisoire d’I.C. ont eux- et elles-mêmes des affinités et des cultures politiques diverses et ne sont pas d’accord sur tout. I.C. n’est synonyme d’aucune orthodoxie ancienne ou nouvelle, mais rêve yeux grand ouverts d’opposer au drame sans nom où nous courons la quête d’une issue exaltante enfin candidate au succès.



Les premiers signataires
Fañch Ar Ruz
Stéphane Blondin
Benoît Borrits
Michel Brossard
Joël Boularan
Marie-Claire Cailletaud
Pierre Chastang
Tom Corbin
Nicolas Dessaux
Bernard Devert
Patrick Fourgeaud
Bernard Friot

Pierre Godberg
Michel Lauvie
Annick Le Goff
Sylvie Mayer
Cyril Melot
Marie-Christine Nadeau
Hélène Oblet
Jean-Jacques Pavelek
Nadia Salhi
Jean Sève
Lucien Sèvedont nous tenons que le nom apparaisse par le rôle moteur qu’il a joué dans la naissance de cette initiative.
Mireille Sève
Patrice Thérond
Martin Vernaz
Gaëlle Yacoubi

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