Quelle
forme-parti pour l’autogestion ?
La
crise de la forme-parti est un élément de la crise politique
contemporaine. Elle en révèle la profondeur et la complexité. Le
discrédit et la désaffection qui frappent les partis politiques
sont d'une ampleur sans précédent. Tout ce qui surgit de neuf et
qui renouvelle les contestations anti-capitalistes sectorielles ou
globales depuis Mai 68 en posant la question d'un projet alternatif
de société s'est produit en extériorité des partis politiques, y
compris de ceux se réclamant du mouvement ouvrier.
Les
réponses que tentent d'apporter ces derniers à la crise de la
forme-parti sont dérisoires : :abandon
de telle notion, nouveau nom donné à telle instance voire
au parti lui-même,
personnalisation accentuée… Il
est vrai que toute leur ambition est de participer à la vie
politique telle qu’elle est et
aux institutions telles
qu'elles sont,
sans en remettre en cause les cadres, et de maintenir la cohérence
d’un appareil qui prend en charge la représentation des intérêts
sociaux légitimant
l’existence de ce parti. Pour les
autogestionnaires que nous
sommes, il s’agit de penser
cette crise et non de s’en tenir à
l’anecdote; l’apparition du nouveau est à ce prix. Pour cela un
bref retour historique s’impose.
Les
labyrinthes de la mémoire
Pour
le Marx du « Manifeste communiste », « les
communistes ne forment pas un parti distinct des autres partis
ouvriers, ils n'ont pas d'intérêts distincts de ceux du prolétariat
dans son ensemble. Ils ne présentent pas de principes particuliers
d'après lesquels ils prétendent modeler le mouvement prolétarien.
Voici ce qui distingue les communistes des autres partis prolétariens
: d'une part dans les différentes luttes nationales des prolétaires,
ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de
la nationalité et communs au prolétariat tout entier ; d'autre part
dans les diverses phases que traverse la lutte entre prolétariat et
bourgeoisie, ils représentent toujours l'intérêt du mouvement dans
son ensemble. Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la
plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, celle qui pousse
toujours plus avant toutes les autres. Théoriquement, ils ont sur le
reste de la masse prolétarienne l'avantage de comprendre clairement
les conditions, le cours et les fins générales du mouvement
prolétarien »
Cette
citation dans son intégralité, replacée dans le contexte du
jeune mouvement ouvrier, permet de mieux saisir les deux
caractéristiques majeures justifiant, aux yeux de Marx, à la fois
la constitution de l'aile la plus éclairée du mouvement ouvrier en
organisation politique distincte, et le lien que cette aile marchante
doit constamment entretenir sans sectarisme avec les autres
structures organisées et avec l'ensemble du mouvement ouvrier. Cette
seconde caractéristique a été le plus souvent oubliée
dans l'histoire du mouvement ouvrier dans ses phases ultérieures et
tout au long du XXe siècle par quasiment toutes les variantes se
réclamant de la tradition communiste
Pour
le Lénine
de « Que faire ? » la
conscience spontanée est synonyme d’illusion idéologique et
d’inorganisation. La conscience révolutionnaire ne peut être
développée que par un parti révolutionnaire
rassemblant intellectuels et ouvriers conscients et jouant un rôle
d’avant-garde, parti construit de haut en bas à partir d’un
noyau organisateur. Le « centralisme démocratique »
assure la subordination de la base au sommet, celui-ci
étant à ses yeux le congrès et non le sommet d’un appareil,
congrès où ont lieu les discussions, où se prennent les décisions,
où s’en vérifie l’application. Lénine veut
construire un parti sérieux, honnête, démocratique, et sa
critique du spontanéisme doit être entendue comme celle d'une
conscience spontanée livrée à elle-même et laissée sans travail
d'élucidation théorique visant à dégager une orientation. Cette
critique n’implique de la part de Lénine aucun mépris à l’égard
du mouvement spontané et des initiatives prises par les masses
elles-mêmes. C'est ainsi qu'il comprendra l'importance des soviets
en Russie. De fait le parti bolchevik fera la révolution d’octobre
17 en étroite relation avec le mouvement des masses, et,
notons-le, sans Secrétaire général ni Bureau politique, seulement
avec un comité central où Lénine est mis en minorité à plusieurs
reprises.
Dès
1904 ce modèle suscite la perplexité et l’inquiétude de
Rosa
Luxembourg qui
insiste sur la nécessité de respecter la démocratie interne et
pointe des risques de bureaucratisation. Rosa Luxembourg critique ce
qu'elle appelle l'ultra-centralisme de Lénine; elle craint que doter
le Comité central de pouvoir absolus n'aboutisse à renforcer
le conservatisme qu'elle juge inhérent à tout organe
institutionnalisé, vivant non seulement le Parti bolchevik mais
aussi la social-démocratie allemande. Pour elle "les
erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire
sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que
l'infaillibilité du meilleur comité central". Malgré
ses désaccords avec les bolcheviks, elle soutiendra avec
enthousiasme la révolution d'Octobre 1917.
Dans
un premier temps Trotsky s'oppose lui aussi aux conceptions de
Lénine qui supposeraient selon lui le contrôle de tous les membres
du Parti par un Comité central omniprésent. Il y voit une
conception abstraite et bureaucratique et préconise un
parti constitué d'organisations ouvrières autonomes
reconnaissant l'influence et les vues générales du Parti. En
Octobre 1917 il se rallie aux conceptions de Lénine
et adhère au parti bolchévik. Dès lors, il considèrera que
l'existence d'un parti révolutionnaire est la condition
indispensable de la révolution socialiste et se fait le champion du
parti comme instrument de la conquête du pouvoir, parti incarnant la
dictature du prolétariat en cumulant l'unité de volonté,
l'unité d'organisation et l'unité d'action.
Chez
Lénine, le
rôle d’avant-garde, la
subordination de la base au sommet, la verticalité, sont cohérents
avec une stratégie qui tout en admettant comme possible sur le plan
de la théorie une révolution pacifique et démocratique, prépare
de fait la conquête de l’Etat et la dictature du prolétariat par
des voies insurrectionnelles. Le parti bolchevik a pu abattre
le tsarisme et remporter la guerre civile. Mais construire
l’alternative, comme on dit aujourd’hui, a tout de suite fait
problème. Fonctionnant comme un Parti-Etat, centralisant
toute vie politique, concentrant la science de la vie sociale
et l’apportant de l’extérieur aux masses, le parti bolchevik n’a
pu tenir les promesses des soviets qu'il
a immédiatement
instrumentalisés : les masses ne
pouvaient plus s’approprier les conditions de leur vie sociale, de
leur transformation de soi ; le Parti-Etat se chargeait de fait
de faire la révolution à leur place. Non
seulement ce modèle est contradictoire
avec une stratégie visant à assurer l’hégémonie des pratiques
autogestionnaires dans la société civile,
mais le
bolchevisme, pratique, culture et organisation, est donc
caduc du tout au tout.
La
bureaucratisation quasi-immédiate de la Révolution d'Octobre 1917
pour des raisons objectives (situation d'arriération combinée aux
effets de la double guerre mondiale et civile) et subjectives
(limites propres et conceptions du parti bolchévik) va créer
le terrain où se développe la contre-révolution stalinienne, à la
fois en continuité et en rupture avec le bolchévisme.
Le centralisme démocratique devient un centralisme
autocratique, établissant par la terreur le pouvoir absolu du
Secrétaire général sur le parti et le peuple entier. Les
directions prennent un rôle fondamental et exercent leur pouvoir sur
les membres privés de toute autonomie. C’est ce modèle,
frauduleusement donné comme
fidèle au modèle
bolchevik, qui va régir la vie des quelques partis communistes de
masse d'Europe occidentale jusqu'aux années 80-90. En France,
ce stalinisme ordinaire va laisser la place à une
institutionnalisation grandissante et à des réflexes de survie de
la part de l’appareil procédant à des réformettes dans une
ambiance de sauve-qui-peut théorique, laissant plus de jeu aux
structures locales défendant chacune ses intérêts matériels
immédiats autour d'un réseau d'élus locaux de plus en plus réduit.
Au
début des années 20, Gramsci,
aux prises avec les premiers signes du stalinisme, voit les limites
du modèle bolchevik pour les pays capitalistes développés.
Pour pouvoir mener la guerre de position, pour que les classes
subalternes puissent devenir hégémoniques, c’est-à-dire
accéder à l’intérêt universel, le parti révolutionnaire
doit réintégrer les tâches politique dans la société civile et
ne peut plus être le seul centre de médiation politique, le seul
lieu de concentration de la vie politique. Le parti révolutionnaire
doit être autre chose qu’un anti-Etat. De fait Gramsci
renoue avec les meilleures théorisations de Lénine mais il ne
définit pas un modèle différent. Il ne pose pas la question des
relations avec les autres partis politiques et ne s’interroge pas
sur l’identification du parti et de l’Etat pendant la période de
transition.
N'en
déplaise aux « nouveaux
philosophes» des années 80 et devenue aujourd’hui idée reçue,
rappeler que la
bureaucratisation n’est pas l’apanage des partis
révolutionnaires. L’autoritarisme bureaucratique remonte au parti
social-démocrate allemand, le SPD, à la charnière du 19e
et du 20e
siècles. Trahissant les idées de Marx et d’Engels en matière
d’organisation, ce parti, qui conjugue l’autocratie
et le réformisme le plus plat, va fonctionner le premier
comme un appareil d’Etat où les directions toutes puissantes et
infaillibles règlent les affaires du parti à l’insu de ses
membres et imposent l’unanimité autour de sa ligne, où tout
se passe en haut, où la participation aux institutions et aux
élections est conçue comme une fin en soi, où le syndical et le
social est subordonné à l’intérêt du parti. C’est d’ailleurs
Kautsky, tête pensante du SPD, qui avance la thèse de la conscience
révolutionnaire apportée de l’extérieur aux masses, thèse
reprise par Lénine dans « Que faire ? ». Lénine qui
essaiera , tardivement mais en vain, de corriger le tir. De fait
toutes les organisations ouvrières qui vont s’installer dans les
institutions bourgeoises tout en évoquant de loin en loin la
révolution vont se bureaucratiser.
Les
tâches du présent
La
mémoire mise à jour, reste à accomplir les tâches du présent.
Ces tâches ne sont plus exactement celles que Marx proposait à
l'aile marchante du mouvement ouvrier, appelée communiste, au milieu
du XIXe siècle. Il s'agissait alors d'un jeune mouvement ouvrier
dispersé dans une nébuleuse de structures très diverses, sans
représentation politique significative .
Un
siècle et demi d'expérience du mouvement ouvrier et un capitalisme
largement renouvelé et mondialisé sont passés par là :
prolongement des révolutions industrielles, extraordinaire
développement des forces productives avec des effets profondément
contradictoires, révolution scientifique et technique, élévation
massive du niveau éducatif et culturel des populations au Nord comme
au Sud, mais aussi expérience des échecs tragiques des révolutions
anticapitalistes du XXe siècle comme des tentatives réformistes,
anciennes de couleur rose, et plus récentes de couleur verte,
visant à humaniser le capitalisme en prétendant faire l'économie
d'une transformation radicale. La crise de la représentation
politique et plus profondément de la politique elle-même est aussi
le produit de cette histoire tragique et de ces tentatives
inabouties. Ce n'est pas la politique comprise comme « chose
publique » et comme « les affaires de toutes et de
tous » qui est aujourd'hui rejetée, en particulier dans
les milieux populaires, mais la distance
grandissante qui s'est instaurée entre la société , ses besoins et
ses exigences, d'une part, et d'autre part la
représentation «professionnalisée» et le système politique ;
le tout sur fond d'absence de perspectives politiques
émancipatrices et de projet alternatif consécutives aux échecs de
toutes les composantes du mouvement ouvrier, comme de l'écologie
politique.. Cette crise renforce également dans les réseaux
associatifs et syndicalistes une méfiance tenace vis-à-vis du
politique, déjà alimentée par l'héritage négatif d'un siècle
qui a vu la grande majorité des partis -petits et grands- du
mouvement ouvrier s'efforcer de manipuler associations et syndicats,
et y parvenir dans bien des cas. La remarque vaut aussi pour les
partis écologistes, historiquement beaucoup plus jeunes et de
dimension plus modeste, mais qui ont tenté à leur tour de manipuler
par exemple les associations de défense de l'environnement à partir
des années 1980. Dans ce dernier cas, l'héritage est moins lourd.
Mais le tableau d'ensemble favorise pour nombre de syndicalistes et
d'associatifs l'illusion que l'activité politique est superflue et
que toute structure politique est à priori suspecte, alors que son
caractère généraliste -à la différence des associations et des
syndicats dont le champ d'activité est sectoriel- lui donne une
fonction de synthèse irremplaçable
C’est
donc au présent, et non en prétendant corriger les erreurs du
passé, que se joue la définition de la forme-parti. Notre thèse
sera qu’il ne faut pas tout abandonner de la forme-parti -la
fonction de mémoire, de socialisation et sa vocation d'ancrage
populaire demeurent nécessaires- mais qu’il faut la transformer en
parti-mouvement. A la fois parti et mouvement, celui-ci sera souple
et agile, capable de se dépasser lui-même,ne niant point la
spontanéité mais l’aidant à s’organiser elle-même,
organisateur permanent de prise de conscience et d’initiative
politiques, bannissant toute forme de politique professionnelle et
tout pouvoir des directions sur ses membres.
Ce
qui est décisif, c’est la fonction politique à assumer.
Pour une stratégie autogestionnaire qui ne fait pas de la conquête
de l’Etat un préalable, pour qui la participation aux
élections n’est pas l’activité principale, il s’agit de
favoriser sans attendre toutes les formes d’appropriation sociale
et de désaliénation et toutes les capacités à
s’organiser, débattre, décider, à développer dans la société
civile l’hégémonie des idées et des pratiques
autogestionnaires. Quelles sont dans cette perspective les
fonctions de la forme-parti ? Il s’agit de porter la
mémoire des luttes indispensable à leur pérennité, d’assurer la
synthèse entre l’expérience, la pratique et le projet; de
socialiser et mettre en cohérence les luttes ; d’organiser
l’expression des mouvements sociaux et des mobilisations citoyennes
dans les formes politiques générales qui leur évitent de
s’émietter en régressions de type catégoriel ou
corporatiste; d’intégrer en théorie et en pratique les luttes
dans un projet d’émancipation global sans lequel ne seront
pas mis en cause sur le fond les déterminations essentielles
du capitalisme, projet que les mouvements sociaux et les
mobilisations citoyennes ne développent pas spontanément, tout
au moins d'un point de vue global et avec une vision d'ensemble. Ce
travail de synthèse est d’autant plus crucial à notre
époque où reste à réaliser la convergence des luttes
féministes, écologistes, ouvrières et démocratiques.
Autogestionnaire
dans ses objectifs, le parti-mouvement le sera aussi dans son
fonctionnement. Les
pratiques autogestionnaires, et cela vaut pour la vie interne autant
que pour la vie publique, doivent être non pas institutionnelles, ce
qui est une forme de bureaucratisation, mais instituantes,
c’est-à-dire trouver dans les institutions auxquelles elles
donnent naissance leur prolongement et un point d’appui pour de
nouvelles conquêtes et de nouveaux pouvoirs.
L’organisation
interne
du
parti-mouvement donne
à voir la sincérité de ses convictions et la réalité de
son projet. Il s'agira de rompre avec la verticalité et
le centralisme, et non pas avec tout forme de centralité, lieu où
les pratiques se socialisent, où les propositions se
confrontent, où les décisions se prennent et se confirment après
débat. Priorité sera donnée aux formes de décision les plus
démocratiques. Le développement des réseaux est à la fois une
caractéristique majeure et extrêmement positive et l'une des
conditions des mobilisations citoyennes et de l'altermondialisme dans
la dernière décennie du XXe siècle. Cependant, le principe du
réseau ne peut se substituer au parti-mouvement : leurs fonctions ne
sont pas identiques, elles sont complémentaires et la forme-réseau
peut aussi se déployer au sein du parti-mouvement sans être sa
forme d'organisation dominante. Le réseau ne peut assumer l'héritage
de ce qu'il convient de conserver des fonctions antérieures de la
forme-parti, et il ne peut être paré de toutes les vertus
démocratiques : parfois, il est déjà lui aussi à travers
l'utilisation d'un outil comme internet le lieu à travers lequel se
construisent de nouvelles inégalités au sein même des
organisations associatives, syndicales et politiques, tendant à
favoriser les individus maîtrisant le mieux l'écrit et l'accès
aux sources d'information, et disposant de plus de temps libre que
d'autres. Mais la culture en gestation dans le mouvement
altermondialiste pourra apporter beaucoup pour favoriser les
initiatives individuelles et locales, dans la mesure notamment où
elle met l'accent sur «l' ici et maintenant» des actions à
entreprendre et laisse une grande initiative aux groupes et aux
individus.
Bannissant
tout autoritarisme et toute unanimité imposée, la centralité ainsi
conçue pourrait alors assurer sans coercition la cohérence de
l’organisation et sa pérennité, l’essentiel étant la
participation de tous et de toutes aux initiatives communes, à
l’élaboration de la stratégie, du projet et du programme, à la
critique permanente. La rotation des responsabilités, et la parité
dans tous les lieux d'animation collective -prenant la place
des anciennes « directions d'organisations »- sont
impératives. Le droit de tendance, lié au pluralisme fondateur
indispensable du parti-mouvement, doit être garanti, même s’il ne
suffit pas à assurer la démocratie. Priorité sera donnée
aux droits et aux initiatives des adhérentes et adhérents et à
leur formation critique qui doit tendre à devenir une auto-formation
permanente. Parce que l'activité politique s'inscrit dans le cadre
d'une citoyenneté active, et qu'elle doit devenir l'affaire de
toutes et de tous, le « parti-mouvement » combattra sans
concession la professionnalisation de la politique, qui est la
réponse de la bourgeoisie et de ses partis à la crise de la
politique et de sa représentation
Le
parti-mouvement reconnaîtra sans exception et sans restriction
l’autonomie des mouvements sociaux. Il
ne dirigera ni les syndicats, ni les associations, ni les mouvements
de masse et ne s’y substituera pas; il ne créera pas de tendances
politiques dans les syndicats et les associations. Avançons l’idée
sans doute paradoxale de « coopération conflictuelle »
pour exprimer l’idée que les luttes du politique et du
social contre leurs adversaires communs n’excluent nullement
contradictions et désaccord et exigent une critique réciproque et
menée au grand jour, un débat public et citoyen, dont les Forums
sociaux sont déjà une expression. Dans les mobilisations
citoyennes comme dans les mouvement sociaux, le parti-mouvement
n'aura nulle prétention à un rôle de direction : il agira dans
l'optique la plus unitaire et la plus respectueuse des structures
d'auto-organisation dont se dotent mobilisations citoyennes et
mouvements sociaux, en étant attentif aux nouvelles formes du
« front unique politico-social » telle que celles
qu'ont mis en place et expérimenté associations, syndicats et
forces politiques en Gwadlupe dans le cadre du Liyannaj Kont
Pwofitasyon (LKP) en 2008, et de la mobilisation qu'il a rendue
possible et déployée en 2009
Le
parti-mouvement prolongera sur le terrain politique les nouvelles
pratiques expérimentées avec succès au sein du mouvement
altermondialiste et
esquissées d'un point de vue pratique et théorique par les courants
autogestionnaire de l'après 68 ( PSU, Alliance marxiste
révolutionnaire, courants libertaires) à contre-courant du PCF et
des groupes trotskystes et maoïstes d'alors : le refus des pratiques
autoritaires, la rupture avec les rapports « parti-avant
garde-masses » dans lesquels le parti domine et manipule les
structures associatives et syndicales, et la construction de
nouvelles et fructueuses relations égalitaires, sans hiérarchie ni
chef d'orchestre et sans aucune domination de telle ou telle
structure sur les autres : les coopérations horizontales du
mouvement altermondialiste et des Forums sociaux dessinent la voie à
suivre
Le
projet du
parti-mouvement doit prendre pour fil rouge l’anticapitalisme.
Le féminisme et l’écologie ne sont pas les contradictions
secondaires du capitalisme qui serait la contradiction principale,
ils ne sont ni des contradictions secondes ni des contradictions
secondaires. Simplement, si les dégâts dans la nature sont vieux
comme l’humanité, ils deviennent sous le capitalisme
mondialisé une catastrophe permanente ; et si la domination
subie par les femmes a sa logique et son contenu propres, elle
recoupe en des points essentiels l’organisation capitaliste du
travail où les femmes occupent pour le plus grand nombre une place
subalterne.
Le
féminisme, en tant que revendication à l’égalité des droits, et
en tant qu’expression d’une émancipation spécifique, doit être
intégré à la définition même d’une société émancipée au
même titre que l’appropriation collective des moyens de
production.
Pour
l’essentiel les victimes de la catastrophe écologique sont les
victimes de la crise économique. La synthèse du rouge et du vert
est possible ; elle n’est assurée aujourd’hui par aucune
force politique à une échelle de masse. Le parti-mouvement devra en
faire une de ses tâches prioritaires : ni vieux paradigme rouge, ni
nouveau paradigme vert, mais contribution à une nouvelle synthèse
et nouveau projet alternatif
Autogestionnaire
dans ses objectifs, le parti-mouvement le sera aussi dans son
fonctionnement. Les
pratiques autogestionnaires, et cela vaut pour la vie interne autant
que pour la vie publique, doivent être non pas institutionnelles, ce
qui est une forme de bureaucratisation, mais instituantes,
c’est-à-dire trouver dans les institutions auxquelles elles
donnent naissance leur prolongement et un point d’appui pour de
nouvelles conquêtes et de nouveaux pouvoirs.
Le
parti-mouvement doit voir grand. Au
cœur de la crise qui secoue le capitalisme mondialisé, une forte
poussée d’individuation travaille la société. Dévoyée en
individualisme consumériste par la marchandisation, elle s’exprime
avec une force particulière dans la jeunesse. Les formes actuelles
de citoyenneté craquent de toute part. La socialisation sous
domination capitaliste impose de cruelles souffrances aux salariés
et sont souvent remises en cause. Des dizaines de milliers d’hommes
et de femmes s’interrogent, commencent à tirer les leçons des
expériences passées et des drames qui ont marqué le mouvement
ouvrier. On les retrouve dans les mobilisations féministes,
écologistes, antiracistes, sociales et dans les Forums sociaux de
l'altermondialisme. Les hommes et les femmes qui se retrouvent
dans ces mobilisations ont très souvent une méfiance profonde
et justifiée vis-à-vis des structures politiques, y compris des
structures qui se réclament de la gauche radicale, de
l'écologie politique et parfois encore du communisme, comme en
France. Leur culture, leur expérience, leurs aspirations, tout
alimente cette méfiance qui ne doit pas être
assimilée à une méfiance vis-à-vis du politique en tant que tel ,
et qui peut être dépassée si , ainsi que nous en
émettons l'hypothèse et comme nous en formons le souhait, le
parti-mouvement voit le jour comme une construction
politique commune dont ils et elles maitriseront entièrement le
processus, construction politique commune qui ne peut se réduire à
la transcroissance d'une force politique déjà existante, mais qui
requiert un pluralisme politique constitutif
Marx
se fixait comme objectif une société où le libre développement de
chacune et de chacun est la condition du libre développement
collectif. Aujourd’hui plus qu’à son époque lourds sont les
périls, mais mieux qu’à son époque existent les possibilités
d’une action émancipatrice. Telle est la raison d’être de
l’autogestion, comme pratique et comme éthique, avec les
conséquences qui en découlent sur le type d'organisation politique
nécessaire. S'organiser sur le plan politique demeure indispensable
car les fonctions du parti-mouvement ne peuvent être assumées par
aucune des autres structures par ailleurs nécessaires, encore
faut-il en redéfinir les modalités, en tenant compte du mouvement
réel, de la crise de la forme-parti et du projet autogestionnaire
Bruno
DELLA SUDDA et Romain TESTORIS
(article
extrait du livre « Autogestion : hier, aujourd'hui, demain »,
Syllepse 2010 – Repris dans l'Encyclopédie Internationale
Autogestion, 2015)
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