8,5
% des voix à l'élection présidentielle de 1892, 10% à l'élection de
1894 : le People Party ou Parti du Peuple des USA reste un exemple
inégalé d'une protestation aboutie par les urnes. C'était dans les
États-Unis de la deuxième révolution industrielle.
Le moment politico-social
L'oligarchie
- que Jack London mettra en accusation en publiant en 1908 le Talon de
fer - est alors en pleine ascension. Les financiers et les capitaines
d'industrie bénéficient toujours des effets démultiplicateurs des
budgets de la guerre de Sécession et des reconstructions consécutives.
Les conseils d'administration qui président à la construction des
chemins de fer se font octroyer de larges bandes foncières de part et
d'autre des tracés qu'ils négocient.
Spéculation
et corruption adhèrent de toutes parts à un formidable développement de
la grande industrie, de la mécanisation agricole et des métropoles
urbaines.
Les Républicains abolitionnistes règlementent timidement les
conglomérats industriels ; ils tentent, également timidement, de
contraindre les États du sud et le Parti Démocrate à lever leurs veto au
droit de vote des anciens esclaves.
Le
mouvement ouvrier est en croissance exponentielle dans les lieux de
travail, grèves multiples et effervescence syndicale réunies.
La convention de 1892 du Parti du Peuple retient un programme
réformiste, au moins sur le papier : nationalisation des chemins de fer,
du téléphone et du télégraphe ; baisse du temps de travail dans
l'industrie ; réquisition des terres inutilisées par les compagnies
ferroviaires ; abolition du suffrage indirect pour l'élection des
sénateurs ; référendum populaire.
The People's Party dans les premiers pas du bipartisme
Pour
leur premier positionnement, les comités du Parti du Peuple recherchent
l'alliance des unions du travail dans les secteurs de grande industrie
et l’appui des Républicains dans les États du sud. Leur recrutement
privilégie les petits exploitants du coton et les fermiers du blé
menacés par la dégradation de leurs sols et par les fermes géantes.
Factuellement,
le million de voix que réunit leur « ticket présidentiel » en 1892
facilite la défaite du président républicain sortant au profit de son
prédécesseur démocrate.
Très
vite le Parti du peuple entérine la victoire des Démocrates. Il
soutient les mesures les plus brutales, notamment l'annulation - pour un
gros demi-siècle - de l'obligation fédérale faite aux États d’intégrer à
leurs législations les droits civils des Noirs. En 1896, les membres du
Parti du Peuple se fondent dans la convention et le programme
présidentiels des Démocrates.
Les deux usages de la catégorie en sciences politiques
Dans
la vulgarisation de l'histoire américaine, cette levée électorale des
"petits" contre le Big business et les premiers pas du bipartisme
états-uniens n'est que brièvement évoquée. Est-ce parce qu’elle cadre
mal avec l'image lisse du marketing du Parti Démocrate du 20ème siècle ?
Cette courte mais massive jacquerie électorale donne la jauge de la
brutalité des premières présidences démocrates.
Rappelons
sur ce point que l’inversion des positions droite/gauche entre le Parti
Démocrate et le Parti Républicain intervient bien plus tard et très
incomplètement : les droits civils des noirs et métis ne sont à nouveau
reconnus qu'à compter des années soixante.
L’intégration
du Parti du Peuple par les Démocrates, du parti des « petits » par le
parti du Big business, n’anticipait pas du tout ce mouvement historique.
Il en a même été à l’exact opposé.
Peu
cité historiquement, l'épisode occupe par contre une grande place dans
la science politique des universités américaines : elles en ont conçu
une catégorie d’analyse de la pathologie des régimes de suffrage
universel, la catégorie du "populisme".
La
catégorie a longtemps été utilisée pour discréditer les oppositions aux
stratégies impérialistes en Amérique latine et en Amérique centrale.
Avec utilité en revanche, les universités européennes l'emploient depuis
1995 pour analyser les stratégies qui actualisent les politiques
d'extrême droite défaites en 1945 ; il s’agit notamment de distinguer
ces stratégies de la crise endogène des démocrates chrétiens (arrivée au
pouvoir de Berlusconi par exemple) et de la radicalisation générale des
droites européennes (en Autriche et en France notamment).
La genèse de la notion n’offre aucune prise à l'ambiguïté : il n'y a de populisme en suffrage universel que vers la droite.
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