Nous assistons à l’émergence d’une mobilisation politique de type nouveau.
Les gilets jaunes se placent en interlocuteurs directs de l’exécutif. Telle est
la logique contemporaine de coupure entre l’Etat et les peuples, d’effondrement
des formes représentatives de démocratie. Les gilets jaunes sont pleinement de
leur temps, celui des printemps arabes, des places occupées et des ZAD.
Depuis quelques semaines nous assistons en direct à l’émergence d’une
mobilisation politique de type nouveau. Et depuis quelques semaines
gouvernement et partis partagent une erreur de diagnostic : cette
mobilisation ne serait qu’un cri de colère, un mouvement social spontanée qui
verrait sa vérité dans sa seule sociologie. Peuple des campagnes et des petites
villes, France des "territoires" oubliés ? Sans doute. Mais
surtout et d’abord mobilisation collective durable et populaire bien au-delà
des truismes sociologiques.
On a ensuite mis en
valeur de grands écarts dans les dispositifs idéologiques et les subjectivités
politiques mobilisées par les uns et les autres. Sans doute et l’auteur de ces
lignes n’a pas été le dernier à le souligner. Il en résulte un grand éventail,
parfois contradictoire, qui remonte des collectifs locaux. Qu’est-ce qui fait
unité, mobilisation et popularité ? Voilà la question importante. Cette
unité est construite sur deux axes forts. Le premier, qui part de la
contestation des taxes, déploie en fait le refus de l’injustice et des
inégalités qui s’aggravent. Le second est constitué par le refus de toute forme
de délégation et de représentation. La mise en place de porte-paroles reconnus
est aussi épidermiquement refusée que le fut d’emblée toute médiation partisane
ou électorale.
Les gilets jaunes se
placent en interlocuteurs directs de l’exécutif. Telle est la logique
contemporaine de coupure entre l’Etat et les peuples, d’effondrement des formes
représentatives de démocratie, d’effondrement, comme on dit, des "corps
intermédiaires". La démocratie parlementaire inventée à la fin du XVIIIème
siècle semble atteindre des limites historiques que l’explosion des populismes
nous raconte d’une autre façon.
Le populisme électoral
qu’il soit de droite ou de gauche est ainsi mis en défaut sur son propre
terrain. La revendication très vite posée d’un retour aux urnes apparaît au
mieux comme une tentative d’engranger électoralement la colère, au pire comme
un moyen de mettre fin à la mobilisation. De Gaulle n’a-t-il pas arrêté Mai-68
en dissolvant l’Assemblée nationale ? Mais le processus électoral
délégataire (et dilatoire) a perdu sa crédibilité. La démocratie qui est ici
incarnée est une démocratie d’exigence immédiate et une démocratie d’expertise
populaire.
Nul besoin de Nuit
debout place de la République : il y a aujourd’hui autant de "Nuit
debout" que de collectifs de blocage. Un récit commun s’y élabore. Une
expertise populaire des situations vécues s’y construit. Pourquoi faudrait-il
déléguer une once de cette nouvelle puissance à des professionnels du discours
d’Etat ? Pour un François Ruffin qui l’a compris et expérimenté, combien
de professionnels de la délégation de pouvoir, dans la majorité comme dans les
oppositions sont toujours sourds et aveugles ?
Les gilets jaunes sont
pleinement de leur temps, celui des printemps arabes, des places occupée et des
ZAD. Nul ne peut prédire ce qu’ils deviendront. Mais il est sûr que nous serons
confrontés à d’autres mobilisations de ce type dans les années à venir. Le
crépuscule du parlementarisme ne fait que commencer.
Alain Bertho (parution initiale Regards.fr)
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