La mobilisation de ces dernières semaines doit servir de leçon à la gauche populaire, incapable de surmonter ses divisions. Plutôt que de multiplier les partis et les mouvements, elle doit constituer des collectifs locaux, lieux de débats et d'action citoyenne.
Tribune.
La «gauche populaire», appelons ainsi celle qui s’est retrouvée sur le vote Mélenchon à la présidentielle de 2017, a vu les gilets jaunes reprendre une bonne part de ses revendications. Et pourtant elle n’en ressort pas revigorée. A-t-elle vraiment compris la leçon qui lui a été administrée ?
Elle prétend «donner le pouvoir au peuple». Mais elle est elle-même incapable de le laisser à son propre «peuple».
Ses fractions rivales aspirent, chacune, à montrer aux autres la voie à suivre, voire à les englober. Aucune d’elles ne peut rassembler le tout, encore moins y inclure le potentiel révélé par les gilets jaunes. Toutes, au fond, se résignent à l’idée qu’on réglera finalement au mieux les comptes au sommet, par voie de petits arrangements. En attendant, chacune va de son côté à la défaite générale.
Le paradoxe est que leurs perspectives sont plus convergentes que jamais. La France insoumise ne parle plus de plan B pour l’euro. Les communistes se sont démocratisés. Génération·s a rompu les amarres avec le vieux PS. L’exigence écologique, portée par les Verts est devenue une charte pour tous. Chacun bien sûr a son point fort, son point d’honneur, et surtout ses intérêts propres.
Mais, en 2012 déjà, l’existence d’un programme commun avait ramené l’espoir et permis de regrouper les forces. En 2017, l’effondrement, les divisions et le discrédit du PS et le ralliement des Verts, avaient permis de rassembler près de 20 % des suffrages sur un candidat commun. Et voilà à nouveau la division !
La surprise vient du côté des gilets jaunes. Ils ont montré que l’on peut faire de la politique «autrement» : à l’horizontale. On a vu toute une population, supposée plus ou moins hors-jeu, manifester une conscience et une compétence insoupçonnées, capable de mener à l’échelle du pays une action de longue durée qui laissera des traces dans la culture nationale.
Il ne s’agit pas, pour la gauche populaire, de mimer les gilets jaunes. Elle doit simplement comprendre que le «peuple» auquel elle s’adresse ne la prendra pas au sérieux tant qu’elle n’aura pas changé sa pratique politique.
L’idée est simple, et certains la mettent en avant depuis 2012. Ce que ne peuvent ni la forme «parti», ni la forme «mouvement», l’une menacée de sclérose bureaucratique, l’autre de dérive charismatique, seule le peut la forme «collectif».
Que les diverses organisations de la gauche populaire, sans rien abandonner de leur identité ni de leur dynamique propre, appellent à la constitution, en chaque localité ou circonscription, de collectifs dans lesquels se retrouveront toutes les personnes, membres ou non d’un parti, d’un syndicat ou d’une association, prêtes à s’engager sur les grandes orientations communes.
Et qu’elles reconnaissent à ces collectifs locaux, où elles seront elles-mêmes présentes et influentes à travers leurs membres, la pleine responsabilité politique à leur niveau : la charge de mener le combat social et citoyen, de proposer des candidats aux élections locales et nationales, etc. Non pas de simples «assemblées générales», souvent utiles mais par essence volatiles, mais des collectifs durables et incontestables par leur forme démocratique d’association.
La remontée disciplinée vers le sommet n’est pas très difficile à concevoir, l’essentiel étant que le collectif central soit issu des rangs des collectifs de base et demeure sous leur contrôle, et par là d’autant plus capable d’imagination, d’initiative et de réaction.
Les différents partis et mouvements, présents et à venir, y trouveront leur espace naturel, où ils se développeront selon leur culture propre, à partager comme un bien commun. Mais le pouvoir restera ancré en bas.
Cela exigera, bien sûr, quelques principes corrélatifs d’organisation tout simplement démocratiques. En tout premier lieu, la limitation de la réitération des mandats, s’agissant tant des dirigeants que des candidats présentés aux charges électives, les uns et les autres ayant amassé, au terme de leur engagement, un capital de pouvoir qui est à rendre au peuple.
Ce n’est qu’ainsi que pourra naître, aujourd’hui en France, une grande force politique populaire, diverse et cohérente. Et ce peuple d’ouvriers et d’employés, de chômeurs et d’indépendants, ce grand nombre dont les gilets jaunes sont l’image et le symbole, et qui s’est révélé si «politique», pourra peut-être y reconnaître les siens.
Jacques Bidet Philosophe, membre d’«Ensemble!». Auteur de «"Eux" et "Nous"? Une alternative au populisme de gauche» (Kimé, 2018)
Cette tribune a été publiée initialement sur Liberation.fr
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